BAUDELAIRE: DES LESBIENNES AUX FLEURS DU MAL
Publié le 25/06/2011
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BAUDELAIRE a montré singulièrement peu de hâte à imprimer ses poèmes, et moins encore à les rassembler en volume. Ses adversaires le raillaient de s'être fait une réputation de grand poète sans montrer ses productions. Cette réserve si rare s'était manifestée dès 1843, lorsqu'il avait retiré sa collaboration au recueil de l'École normande. Elle s'explique principalement sans doute par l'appréhension de livrer au public des oeuvres qui risquaient de n'être ni comprises ni appréciées. Ce n'est pas seulement le sentiment d'une originalité dangereuse, mais aussi le doute habituel de l'artiste, exprimé déjà dans Idéolus, et auquel Baudelaire, en dépit de quelques rodomontades, fut sujet autant et plus que beaucoup d'autres. Ce doute l'a entraîné parfois jusqu'à envisager un renoncement à la poésie : « Et si mon livre fait long feu, après ? quoi ? le drame, le roman, l'histoire même peut-être. « C'est ainsi qu'il écrit à sa mère en 1851. A la veille même de la première édition des Fleurs du Mal, il en est encore à se demander si ses poésies peuvent intéresser qui que ce soit en dehors d'un « cercle intime «.

«
expriment la confiance dans la réalisation des plus hautes aspirations de l'homme, au delà de la mort, et Le Tonneaude la haine dispense une sorte d'enseignement moral.
De profundis clamavi et La Cloche fêlée (nous donnons à tousces poèmes leurs titres définitifs), correspondraient aux dépressions et aux misères de la vie, tandis que Les Hibouxapporteraient en conclusion une philosophie du détachement de l'action qui représente assez bien l'état moral deBaudelaire après ses déceptions politiques.Le manuscrit des douze poèmes destinés à la Revue de Paris en x852 est plus difficile à étudier, parce que nous nesavons pas si l'ordre dans lequel ils nous sont parvenus aurait été celui de leur publication.
Dans l'ensemble, ils sontaussi d'inspiration spiritualiste, avec, toutefois, le cri de révolte du Reniement de saint Pierre, sur lequel nous auronsà revenir, et qui, de toute façon, se place sur le même terrain, étant une protestation élevée au nom du rêve,c'est-à-dire de l'idéal,On voudrait bien avoir un compte-rendu complet de cette « longue dissertation » dont parle Asselineau, et quiaboutit un certain soir, au café Lamblin, à l'adoption du titre proposé par Hippolyte Babou : Les Fleurs du Mal.L'image des « fleurs » est sans doute de Baudelaire, qui s'en était servi dès sa jeunesse, mais l'idée de génie a étéde les associer au « mal » dans une formule aussi heureuse.
Le fait même de cette discussion collective estsymptomatique de l'importance attachée par Baudelaire au choix du titre : « grande affaire 1 et Dieu sait s'il en futquestion », rapporte le même Asselineau.
C'est le 7 avril 1855 qu'il apparaît pour la première fois, sous la plume deBaudelaire, dans une lettre au secrétaire de la Revue des Deux Mondes, à propos des dix-huit poèmes qui allaient yparaître le ter juin.
Ce titre, dès qu'il est retenu, implique nécessairement une certaine coloration du recueil.
Mais,titre pétard comme le premier, dans un sens plus profond, il reste mystérieux comme le second, et pourrait couvrirdes textes très différents, voire opposés.
On en a même contesté la propriété, ce qui peut se justifier, selonl'interprétation qu'on donne du titre, et, parallèlement, du contenu de l'ouvrage.Baudelaire lui-même a visiblement modifié son dessein de 1855 à 1861.
Toutefois l'axe de son oeuvre est resté lemême.
C'est désormais en fonction du problème du mal qu'elle se construit.
Les poèmes de la Revue des DeuxMondes semblent choisis pour poser ce problème dans toute sa violence.
Certes Baudelaire a pris soin de prévenirl'accusation d'immoralité, par l'épigraphe empruntée aux Tragiques d'Agrippa d'Aubigné, épigraphe reprise au frontonde la première édition :
On dit qu'il faut couler les exécrables chosesDans le puits de l'oubli et au sépulcre encloses,Et que par les escrits le mal ressuscitéInfectera les moeurs de la postérité ;Mais le vice n'a point pour mère la science,Et la vertu n'est pas fille de l'ignorance.
Cette défense est assez fragile, car si le raisonnement paraît sans défaut, il est aisé d'en faire des applicationscontestables.
Voilà sans doute pourquoi Baudelaire y a renoncé après 1857.
Les poèmes eux-mêmes sont dansl'ensemble extrêmement noirs.
Après une suite de plaintes douloureuses ou nostalgiques, l'amour est maudit en unesérie de poèmes que L'Amour et le Crâne termine dans une note de férocité sarcastique.
Ce n'était probablementpas une conclusion, car de sérieux indices portent a croire que ces dix-huit poèmes formaient seulement la premièrepartie d'un ensemble plus important qui aurait paru en deux fois, et qui aurait comporté un épilogue, dont Baudelaireindique le canevas dans sa lettre du 7 avril 1855: « Laissez-moi me reposer dans l'amour.
— Mais non, — l'amour neme reposera pas.
— La candeur et la bonté sont dégoûtantes.
— Si vous voulez me plaire et rajeunir les désirs,soyez cruelle, menteuse, libertine, crapuleuse et voleuse ; — et si vous ne voulez pas être cela, je vousassommerai, sans colère.
Car je suis le vrai représentant de l'ironie, et ma maladie est d'un genre absolumentincurable.
» Cet épilogue n'a pas été composé.
Baudelaire n'en a retenu que la seconde partie, et il en a tiréL'Héautontimorouménos, qui exprime un sentiment profondément amer, mais qui n'a pas l'atrocité du projet primitif.Celui-ci étalait avec une cruauté presque insoutenable, les tares les plus affreuses de la nature humaine : « joli feud'artifice de monstruosités, dit Baudelaire, un véritable Epilogue digne du prologue au lecteur, une réelle Conclusion.» Telle est bien en effet la conclusion d'une oeuvre vouée au mal, mais la clef en serait trop bien cachée, si l'auteurlui-même ne nous renvoyait à son prologue Au Lecteur, dont nous verrons bientôt l'importance capitale, Car à luiseul il suffirait à conférer à l'oeuvre entière sa résonance spirituelle et religieuse.
Mais il ne faut pas regretter quel'épilogue n'ait pas été réalisé selon le plan primitif : sous une forme aussi brutale il avait toutes chances d'aggraverle malentendu dont son auteur est encore trop souvent la victime.L'édition de 1857 consacra ce malentendu, on le sait, par un procès en conclusion duquel Baudelaire fut condamné àune légère amende et contraint de retirer six pièces jugées immorales, bien que ses intentions ne fussent pasincriminées et qu'il fût rendu hommage à son talent.
Malgré la gêne qui se manifeste dans les termes de cejugement, il a fallu trois quarts de siècle pour que le procès pût être revisé et la condamnation révoquée.Pourtant, Baudelaire n'avait pas tellement tort de se montrer stupéfait autant qu'indigné, car si par certainesviolences et ambiguïtés d'expression il avait favorisé le malentendu dont il se plaignait, il avait en revanche trèsclairement proclamé le fond de sa pensée.
Il dit la stricte vérité lorsqu'il répète que son livre ne respire que «l'horreur du mal », qu'il « en ressort une terrible moralité.
» De plus, quelle que fût la violence de certains poèmes,ce recueil, si on le jugeait « dans son ensemble », comme il le demandait, n'aurait dû tromper personne, car les troissonnets qui en formaient la conclusion sous le titre général de La Mort, opposaient tous les trois aux insuffisanceset aux misères terrestres une foi fervente dans les compensations de la vie future, selon la théologie chrétienne laplus orthodoxe.
Enfin, si ce livre était, selon son expression, « destiné à représenter l'agitation de l'esprit dans le mal», la pièce liminaire Au Lecteur indiquait clairement la signification qu'il attachait à la présence du Mal au coeur del'homme..
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