BARTHES Roland : sa vie et son oeuvre
Publié le 15/11/2018
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«
thèse
analysant le discours de la mode féminine ( 1957-
1963), thèse non soutenue et publiée plus tard sous le
titre de le Système de la mode, 1967.
Ce travail faisait de
son auteur l'un des sémiologues français les plus en vue,
dans le sillage direct et saussurien du grand théoricien
danois Louis Hjelmslev.
On le verra clairement avec les
travaux arides mais élégants des Eléments de sémiologie
(publiés dans la revue Communications, puis en volume,
1964) et sur la rhétorique et son histoire (in Communica
tions).
A la différence de tous les sémioticiens, y compris
Jakobson, il exposait une théorie du sens comme englobé
dans une vaste parole humaine, et de la sémiologie
comme entièrement subordonnée à une sorte de linguisti
que généralisée.
« li n'y a de sens que nommé et le
monde des signifiés n'est autre que celui du langage»
(É léments de sémiologie).
Après cette crise théorique, dont les produits lui
conféreront auprès de l'institution le statut requis pour
entrer au Collège de France une dizaine d'années plus
tard (1976), Barthes revient à une lecture-écriture, fré
missante et retorse, des textes qui l'excitent : une nou
velle de Balzac sur la transgression sexuelle et le vieillis
sement, Sarrasine (SIZ.
1970), puis les écrits
obsessionnels, structuraux et fascinants de la trilogie
Sade, Fourier et Loyola ( 1971 ), qui sont les prétextes à
de superbes exercices herméneutiques.
Aussi important,
le déchiffrage d'un vécu flottant et profond, celui de
l'aliéné culturel, du« barbare en Asie », l'essai l'Empire
des signes (1970).
De moins en moins marquée par la
rigueur du discours théorique institutionnel -rigueur
assumée en tant qu'objet de désir (« J'ai traversé un rêve
- euphorique -de scientificité >>, in Tel Quel, n° 47)
-, l'écriture de Barthes retrouve le contact charnel avec
les horreurs de la socialité qui donnait aux Mythologies
leur plus grand pouvoir.
Une éthique hédoniste qu'on
peut juger compensatoire, un recours probablement
désespéré au plaisir -derrière lesquels on sent l'an
goisse, l'ennui, la désillusion ...
-, un raffinement psy
chologique qui fait trop facilement évoquer Proust, ou
Gide, donnent aux dernières œuvres leur ton de confi
dence imparfaite et leur vibration lucide-j'entends que
la clarté y est hésitante, c'est-à-dire sans artifice -
devant les écrits littéraires (le Plaisir du texte, 1 973)
comme devant le texte ambigu de la mémoire person
nelle (Roland Barthes par Roland Barthes, 1975).
Cette
vibration devient tremblement devant le discours assez
désespérant des tricheries du sentiment érotique (Fra g
ments d'un discours amoureux, 1977).
Barthes, après un
banal accident de la circulation, se laisse entraîner par la
persuasion de la mort, bien peu de temps après sa mère.
Et son dernier texte, sur la photographie (la Chambre
claire, 1980), est une méditation sur la trace iconique,
sur le temps et sur la mort.
« Avec des choses intellectuelles, nous faisons à la
fois de la théorie, du combat critique et du plaisir » (R.B.
par R.B., p.
94).
Cette phrase est la meilleure définition
de son projet.
Théorique, en effet, la conception d'une
écriture-lecture qui ne fait que« tisser autour de l'œuvre
sa couronne de langage » (Critique et Vérité); mais aussi
critique, car seule capable de dégager « le lieu où le sens
se forme et "prend" -comme une crème, une sauce,
mais aussi un ciment>> (J.
Rey-Debove, in Semiotica,
32-1 ).
Cette « prise » est la doxa, somme des tautologies
sociales et culturelles, qui se donnent pour naturelles et
renvoient tyranniquement au Code.
Enfin, cette concep
tion vise au plaisir, équivoquement recherché, lié à la
névrose et à la perversion, celles mêmes du sens qui
circule de l'écrivain au texte et au lecteur.
Écrivain, ce théoricien de l'écriture l'est.
Sa convic
tion d'impuissance historique se reflète en une démarche
rompue, où le lexique est semé de plongées étymologi
ques, de savantes hésitations sémantiques, comme la phrase
l'est de parenthèses correctives, pour aboutir à
cette matité décapante, à cette évacuation de l'ineffable,
du douteux, qui auraient pu faire de Barthes un grand
classique.
Ses exigences de critique, son savoir même le
lui ont interdit- peut-être aussi son refus de la science,
antivaléryen.
Car la conception barthésienne du littéraire
rend intenable la position de l'écrivain.
Celui-ci est
contraint de croupir dans le cachot du sens social, de
l'idéologie, de s'engluer dans la sauce figée du langage
hérité, s'il ne fait éclater ce sens en volant, en« maquil
lant» les signes; en trichant, seul contre l'Histoire.
« Tous ceux [ ...
]qui sont hors du Pouvoir sont contraints
au vol du langage» (R.B.
par R.B.).
L'issue serait ce
«discours debout [ ...
] plein de terreur » (le Degré zéro)
qui est aujourd'hui le discours poétique le plus plein, et
que Barthes n'a fait que côtoyer.
L'écrivain, pour lui,
n'existe que par la pluralité des lectures : «Celui qui
agit le texte, c'est le lecteur, et le lecteur est pluriel »
(Sollers écrivain).
Le sens du texte n'est jamais la« pro
priété>> de l'auteur, mais l'effet d'une action quasi phy
sique (un« muscle », qui« courbe » l'esprit), et cet agir
a un moteur, le plaisir, force individuelle qui permet de
mettre en œuvre, dans le texte, une modernité propre,
capable de défaire le joug du langage.
Barthes fut ce déchiffreur de tout discours, explora
teur de cet« empire des signes » sous lequel nous vivons.
En témoignent aussi ces neuf volumes d'Essais critiques,
publiés entre 1964 et 1987.
Mais il savait que l'on ne
peut se libérer de la contrainte des signes qu'en usant
d'eux : contre le poids des symboles, il évoquait le pou
voir d'autres signes, signaux -le fameux « message » à
«décoder>> , vocabulaire d'ingénieur dont les imbéciles
se gaussent sans avoir tenté de Je comprendre- et peut
être surtout symptômes, révélateurs de l'homme total,
avec son inconscient.
[Voir aussi CALLIGRAMME, CRITIQUE
LllT�RAIRE, PHILOSOPHIE ET LITTÉRATURE, RHÉTORJQUE ET LIT·
TtRATURE, SÉM IOLOGIE ].
BIBLIOGRAPHIE Œuvres complètes en cours de publication au Seuil, sous la
direction d'E.
Marty (t.
1, 1993).
A co nsulter: Louis-Jean Calvet, Roland Barthes, 1111 regard
politique sur le signe, Payot, 1973.
Nombreux articles, parmi
lesquels on peut citer : Jean-Louis Bouttes, « Faux comme la
v érit é », Critique, n• 341, octobre 1975; Josette Rey-Debove,
«Roland Barthes ou !"Éthique du sens>>, Semiotica, 32, 1-2,
1980; la revue Tel Quel, dont il était proche, a consacré un
numéro spécial, en 1971 (n° 47), à Roland Barthes.
Hommage
aussi que l'amusant pastiche de M.-A.
Burnier et P.
Rambaud, le
Roland Barthes sans peine, Balland, 1978.
Enfin et surtout, ses
propres commentaires, dans : le Grain de la voix, entretiens,
1962-1980, Le Seuil, et Prétexte : Roland Barthes, colloque de
Cerisy, 1977, coll.
« 10/18 >>.
Plusieurs numéros spéciaux de
revues lui furent consacrés après sa mort : notamment Poétique,
n• 4 7, 1981; Critique, n•• 423-424, 1982; Communications.
n° 36,
1982; Texwel n• 15 (Paris VII, 1984).
Voir aussi : Philippe
Roger, Roland Barthes, Roman, Grasset, 1986; Vincent Jouve,
la Liuérawre selon Roland Barthes, Minuit, 1986; Louis-Jean
Ca.lvet.
Roland Barthes, Flammarion, 1990; Roland Barthes et
la photo : le pire des signes, les Cahiers de la photographie,
Contrejour, 1991; Bernard Comment, Roland Barthes vers le
neutre, Bourgois, 1991.
Philippe Roger a retrouvé dans la revue Cahiers de l'étudiant,
Copar, 1942, un te x te écrit par Barthes à 27 ans : Culture et
tragédie..
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