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Balzac, Le Père Goriot, « L'odeur de pension »

Publié le 25/07/2012

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· L’humidité suggère la pingrerie de Mme Vauquer qui ne chauffe pas la maison, la crasse renvoie au passage du temps, la graisse annonce la nourriture peu raffinée d’une cantine. · En fait, l’odeur de pension du salon de Mme Vauquer est tellement nauséabonde que le narrateur ne peut s’empêcher d’avoir une réaction personnelle. Voyons donc en quoi ce texte est subjectif. II/ La présence du narrateur 1/ Une évocation subjective · Quel que soit le désagrément réel de cette odeur, les procédés qui la caractérisent ont une valeur argumentative. 

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« rez-de-chaussée, le narrateur incite le lecteur à faire une comparaison avant de l'inviter avec lui dans la salle à manger.· Le champ lexical du raffinement « salon », « élégant », « parfumé », « boudoir » est valorisant mais dans ce contexte son emploi est purement ironique.

Le lecteurpourra aussi imaginer que ce salon immonde tient lieu de « boudoir » à mme Vauquer lorsqu'il fera sa connaissance quelques pages plus loin.· L'exclamation « Eh bien » et l'adverbe « peut-être » sont des modalisateurs qui soulignent le dégoût et l'ironie du narrateur.· La tonalité scientifique de la longue phrase « Peut-être pourrait-elle se décrire si l'on inventait un procédé pour évaluer les quantités élémentaires et nauséabondesqu'y jettent les atmosphères catarrhales et sui generis de chaque pensionnaire, jeune ou vieux » est humoristique.

Elle connote par l'hyperbole les atmosphèrescatarrhales, la toux et l'haleine fétide des pensionnaires toujours enrhumés et les odeurs intimes, propres à chacun (« sui generis »).· Enfin, le texte s'achève par une remarque ironique du romancier qui feint de ne pas vouloir alourdir sa description de peur de paraître ennuyeux : « il faudrait enfaire une description qui retarderait trop l'intérêt de cette histoire, et que les gens pressés ne pardonneraient pas ».

Cette prétérition (figure qui consiste à annoncerqu'on ne va pas parler d'un sujet alors qu'on ne fait qu'en parler) est une critique de ceux qui considèrent les descriptions comme des temps morts dans la narration,sans faire l'effort d'en comprendre la signification.3/ La présence émotive du narrateur· La présence émotive du narrateur apparaît aussi dans les déformations que l'imagination de Balzac fait subir à la réalité.· Les hyperboles font de cette salle un lieu étouffant et inquiétant « crasse » tellement épaisse qu'on y voit « se dessiner des figures bizarres », « gravures exécrables »qui « ôtent l'appétit ».· Le malaise est amplifié par les métaphores et les comparaisons.· Balzac confère aux meubles une dimension épique et fantastique : « Il s'y rencontre de ces meubles indestructibles, proscrits pourtant, mais placés là comme le sontles débris de la civilisation aux Incurables ».· L'adjectif hyperbolique « indestructibles » suggère l'idée d'une éternité dans la laideur ; la métaphore « proscrits », à résonance historique et politique, ainsi que lacomparaison « débris de la civilisation » sont reliés par le thème de l'exil et de l'exclusion.III/ Une description préparant l'action1/ La fonction de la description· Cette description pose le problème de la fonction de la description dans l'économie du roman.· A première vue, elle est un moment statique, qui suspend la narration et diffère le déroulement de l'intrigue.

Elle retarde ce que les « gens pressés » jugent l'essentiel.· Pourtant, en décrivant cette salle à manger pouilleuse, Balzac entre dans la narration proprement dite.

Il éduque le regard de son lecteur : il lui apprend à déchiffrerles apparences.· Chez Balzac, le décor n'est pas un ornement, il est un monde qui explique par avance le caractère des pensionnaires.· La description est donc une explication qui détaille le réel en l'orientant vers des fins morales en narratives.

Elle a une valeur psychologique et dramatique.2/ L'influence du milieu· Cette description illustre aussi la théorie de l'influence réciproque de l'être vivant et du milieu.· Cette théorie est prônée par le biologiste Geoffroy Saint-Hilaire auquel est dédié Le Père Goriot.· De la biologie, Balzac adapte cette idée à son analyse de la société.· Pour le romancier, une harmonie existe entre la personne et le cadre de vie.· Les lieux ont une signification morale, ils exercent un déterminisme sur les hommes et vice versa.3/ Des objets reflet des êtres· Les objets sont pour Balzac le reflet des êtres.· Ils annoncent la venue des pensionnaires et laissent pressentir une société misérable.· Au fil du texte, ils sont même assimilés à des personnes.

Cette personnification se développe à partir du mot « hospice » précisé par l'allusion à « l'hospice desIncurables », lieu par excellence de la misère et de l'exclusion.· Ainsi, les « chaises » sont « estropiées », les « paillassons piteux », les « chaufferettes misérables », « les charnières défaites ».· Finalement le mobilier est carrément assimilé, en une accumulation hallucinante d'adjectifs, à un moribond : « ce mobilier est vieux, crevassé, pourri, tremblant,rongé, manchot, borgne, invalide, expirant ».

La bouffonnerie grisante de cette énumération produit un effet comique d'humour noir.· Le spectacle s'est peu à peu mué en une vision d'apocalypse : la salle à manger prend la forme d'un monde humain dérisoire.

Le mot « apocalypse » veut d'ailleursdire « révélation » et ce décor révèle bien les êtres !· Dépossédés de leur valeur décorative et utilitaire, les objets sont réduits à leur fonction symbolique.

Leur laideur, leur hétérogénéité, leur mauvais goût deviennentmétaphoriquement les signes tangibles de la déchéance et de la médiocrité d'un groupe social à la dérive.Conclusion· En conclusion, cet extrait n'est pas simplement l'évocation d'un lieu.· Balzac écrira plus loin à propos de Mme Vauquer : « toute sa personne explique la pension comme la pension implique sa personne ».· A travers le décor, Balzac laisse donc également pressentir la misère des pensionnaires.

Les objets sont traités comme un terrain d'investigation sociologique.· Mais la réalité n'est pas seulement l'occasion d'un documentaire, elle est transfigurée par l'imagination d'un poète qui déchiffre les données visibles en les projetantdans une perspective épique et symbolique.. »

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