Avocat, cultivé, amoureux du « beau langage », Clamence a pour seule arme la parole.
Publié le 26/09/2018
Extrait du document


«
E X P 0 S É S F C H E S
La respiration
Le phrasé suit les états d'âme de Clamence : longues phrases dans le lyrisme,
brèves dans l'aveu.
On a pu même noter un rythme saccadé lorsqu'il étouffe dans
sa chambre, calqué sur la dyspnée de Camus.
Les phrases brèves des pages 150 et 151 sont celles d'un homme exalté mais fiévreux.
Ill -LA LANGUE COMME ARME
La logorrhée enveloppante
Si la stratégie de Clamence est celle de l'araignée guettant sa proie, le venin par
lequel il
l'anesthésie puis s'en rend maître est la parole: «Dès que j'ouvre la
bouche, les phrases
coulent» (p.
16).
Ce« trop-plein» étourdit l'auditeur, qui a
tout juste la place de réponses polies ( « merci, vous êtes courtois » ).
Certes, on
plaint le solitaire qui peut enfin se confier et ne contrôle plus son débit, mais
l'œil
reste vigilant et le laisser-aller n'est qu'apparent.
Celui qui a la parole a le pou
voir ; Camus le démontre dans la nouvelle initialement voisine de La Chute, Les
Muets,
qui sont des ouvriers tonneliers silencieux et dignes, parfait contrepoint de
notre avocat bavard.
Lyrism~~ ironi~
Parfois, Clamence semble se laisser aller à son émotion et à des développe
ments lyriques, sur la Grèce de l'innocence, sur la fête des jours présumés heu
reux (p.
34).
Ces élans sont presque toujours interrompus par une remarque froide
ou cynique, preuve de leur absence de spontanéité.
Ainsi l'ironie* ou le cynisme
sont-ils toujours en contrepoint d'un faux abandon ;
ce sont parfois des bons
mots, le plus souvent l'expression paradoxale de l'indignation, par exemple sur
l'efficacité dans le« nettoyage» du ghetto par« nos frères hitlériens».
De même,
la dernière page lance un appel émouvant à la jeune noyée, pour qu'elle le sauve ;
mais aussitôt, une remarque cynique sur la température de l'eau rappelle sa lâcheté
et brise l'émotion.
L'ironie est sa figure favorite: procédé de duplicité, puisqu'on dit le contraire
de ce que l'on pense, en laissant au contexte le soin de rétablir la vérité.
Figure de
distanciation par rapport au réel, elle traduit la révolte et le refus lucide, seules
solutions possibles dans l'impuissance de la condition humaine.
!!!:1mour* ~ mot~~~~-~prit
L'ancien avocat parisien se complaît dans un tourbillon de bons mots.
S'ils
peuvent paraître superficiels, ils sont souvent chargés de sens.
Apprenant que
l'interlocuteur connaît Dante,
il s'étonne en une interjection banale: «Diable! »
(p.
88.) Or, c'est justement de la vision de Satan par Dante qu'il veut parler.
..
Par
fois, il propose même une devinette (p.
125), en forme d'énigme.
Mais l'énigme
n'est-elle pas la définition même de Clamence? Lorsqu'il utilise des métaphores*,
elles sont parfois ornementales, mais plus souvent pédagogiques: ainsi l'assimila
tion des nuages du ciel hollandais à des colombes, qui suggéreront l'attente déses
pérée de la réconciliation avec Dieu.
Conclusion : Le langage est une arme pour Clamence, ainsi que le note
R.
Quilliot, dans sa préface à l'édition de La Pléiade : « li semble se
prendre au piège des mots,
et c'est nous qui nous retrouvons prisonniers.».
»
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