AVANT LE ROUGE ET LE NOIR - L'ENFANCE ET LA PREMIERE JEUNESSE DE STENDHAL
Publié le 14/03/2011
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Le Rouge et le Noir est un chef-d'œuvre, mais un chef-d'œuvre dont la lecture laisse une impression de malaise. On le dirait écrit en collaboration par un psychologue hors pair et par un sophiste qui se fait un jeu de confondre le bien et le mal, et de nous présenter un ambitieux sans scrupule sous l'apparence d'un héros. C'est le portrait minutieusement fouillé et amoureusement peint d'un jeune homme intelligent, mais pauvre, né dans le peuple, qui s'élève au-dessus de sa condition à force de ruse et d'hypocrisie; tour à tour aimé d'une femme de la haute bourgeoisie et d'une jeune fille noble, ce « pauvre enfant «, comme l'appelle l'auteur, se venge de n'avoir pu épouser la seconde en tirant un coup de pistolet à la première, et, condamné à mort, meurt en « beauté « après un dernier anathème à la société.
«
et de révolte.
L'époque où il a grandi est celle où croulait l'ancien régime, où la France secouait le vieux joug, et detemps à autre il entendait par sa fenêtre des cris d'émeute, des coups de fusil ou le chant de La Marseillaise.
Iln'aspirait qu'à se libérer lui aussi, à s'évader, comme jadis Jean-Jacques Rousseau dont il se grisait.
L'occasion allait s'offrir.
Les « écoles centrales » venaient d'être fondées.
Elles ne ressemblaient pas plus aux collèges royaux qu'ellesremplaçaient qu'aux lycées impériaux qui leur ont été substitués dès 1802.
Créées par les idéologues, elles n'avaientplus pour but de donner la vieille culture littéraire et morale, mais un enseignement utilitaire et moderne, d'éveillerchez les jeunes gens l humeur philosophique et le sens des réalités, de former des esprits positifs et libres.
Une deces écoles s'ouvre à Grenoble à la fin de 1796, grâce en partie au docteur Gagnon, et son petit-fils en suit les courspendant trois ans.
Là, tout lui plaît, ses professeurs, ses camarades, son travail.
Car l'école centrale mène à l'Ecolepolytechnique, et entrer à Polytechnique ce serait quitter sa famille, Grenoble, rompre sa chaîne.
Il y a des fils quitravaillent pour faire plaisir à leurs parents; il travaille, lui, pour leur échapper.
Au bout de trois années, il remportele prix de mathématiques, et du même coup obtient de son père, en octobre 1799, la permission d'aller à Paris seprésenter au concours de Polytechnique.
Tous les siens versent des larmes en lui disant adieu, et son père, leprétendu bourreau, en verse autant ou plus que le bon grand-père et la petite sœur; tous pleurent, excepté lui quicroit sortir d'une prison.
Mais sait-il au juste ce qu'il veut? Le saura-t-il jamais ? Arrivé à Paris il laisse passer le moment de se présenter àPolytechnique.
Il flâne par les rues, cherchant la femme idéale, l'âme sœur qui saurait le comprendre ; ou bien,rentré dans sa chambrette, s'escrime à composer des comédies, en vers de douze ou quinze pieds.
Il tombe malade.Un vieux cousin, Noël Daru, se met à sa recherche, le déniche et le fait transporter dans son bel appartement de larue Bellechasse.
Le bonhomme a plusieurs filles et deux fils dont l'un, Pierre, occupe une haute situation dansl'administration militaire, et qui sera bientôt le comte Daru, grand organisateur des armées de Napoléon.
Le nouveauvenu se voit cordialement accueilli; on le soigne, on le guérit, on s'efforce d'apprivoiser ce sauvageon et de luitrouver un emploi.
Quelques mois avant Marengo, Pierre Daru l'emmène bon gré mal gré à son bureau, au ministèrede la Guerre, lui dicte des lettres, ne se rebute pas en le voyant écrire cela avec deux l, l'initie un peu à lapaperasserie, et en partant pour l'Italie avec le Premier consul l'invite à l'y rejoindre promptement.
Il se laisse faire,d'abord parce que Daru l'intimide et qu'il n'ose pas lui tenir tête; et puis, voyager, voir du nouveau, n'est-ce pasbien tentant ? Il n'a pas de titre officiel, point d'uniforme, mais il a un pistolet, un grand sabre, et un cheval assezdifficile sur lequel il tâche, non sans peine, de faire bonne figure.
Il franchit le Saint-Bernard, contourne le fort deBard dont les boulets ne lui font pas baisser la tête, et à peine en territoire italien, à Ivrée, assiste à unereprésentation du Matrimonio Segreto, de Cimarosa, qui est pour lui l'enivrante révélation de la musique.
Toutl'enchante dans le pays où il vient de pénétrer ; il lui semble découvrir la beauté.
A Milan, il retrouve Pierre Daru etle jeune frère de celui-ci, Martial, bon compagnon s'il en fut.
Il reprend ses fonctions de secrétaire oud'expéditionnaire; mais le soir, avec Martial, il fréquente la Scala, les bals, tous les lieux de plaisir, s'offrant desdistractions dont sa santé se ressentira toujours.
Grâce à son très puissant cousin Pierre, qui ne fait pas grand casde ses talents administratifs, mais qui veut se montrer bon parent, il est nommé d'emblée sous-lieutenant au 6edragons.
Il endosse son beau costume, va se présenter à son colonel, et s'en revient aussitôt à Milan, dans lesservices d'état-major.
Toute sa vie il se souviendra fièrement de sa sous-lieutenance ; il ne se lassera pas dereparler de son casque aux longs crins noirs, de son vaste manteau — qui était vert, quoiqu'il le qualifie de blanc —,et de deux canons pris par lui dans une charge héroïque au combat de Castel-Franco, le 12 janvier 1801.
On peutêtre assuré que, s'il avait eu à se battre, il se serait bien battu; plus d'une fois, au cours de son existence, il s'estcomporté en homme qui n'a pas peur.
Mais la prise des deux canons n'est qu'une de ces gasconnades dont il estcoutumier; le 12 janvier 1801, il paraît à peu près démontré qu'il n'avait pas quitté Milan, et en tout cas il n'aurait pucharger ce jour-là à Castel-Franco avec le 6e dragons qui en était à près de cent kilomètres.
Cependant, la campagne de Marengo prend fin.
Il suit de ville en ville le général Michaud dont il est devenu l'aide decamp; il s'amuse, fait bonne chère.
Il ne rejoint son régiment qu'à la fin de l'année, demande un congé, et, rentré enFrance, donne sa démission de sous-lieutenant.
Evidemment l'esprit de suite n'est pas ce qui le caractérise.
Le voilà sur le pavé de Paris, sans profession, et fort peu disposé à en chercher une.
Son père, qui est décidémentun bien méchant homme, au lieu de le gronder et de lui couper les vivres, lui sert une pension de deux cents francspar mois.
Deux cents francs! quelle dérision! Il s'indigne, crie misère, et tout de même, en empruntant de droite etde gauche, trouve moyen de se pavaner l'après-midi en habit noisette, gilet en duvet de cygne, culotte nankin, lesoir en culotte de peau, habit bronze cannelle, bas de soie et triple jabot.
Il est un habitué de la Comédie-Française, s'insinue dans le monde des acteurs, dans la loge de Talma ou de Mlle Duchesnois Dugazon, prend desleçons de déclamation avec Larrive et s'amourache de toutes les femmes qu'il rencontre.
Mais il réserve une bonnepart de son temps à l'étude, dévore des centaines de bouquins, et sue sang et eau à rimer une comédie intituléeLetellier.
Essayons de nous le représenter tel qu'il est alors, à vingt ou vingt-deux ans, et de le définir, dans la mesure où unêtre si changeant, si contradictoire, se prête à la définition.
Au physique, l'ex-officier de dragons est un grand gaillard épais et lourd, fortement charpenté.
A l'école centrale,ses condisciples l'avaient surnommé « la tour ambulante ».
A Milan, certaine dame de mœurs faciles, la Pietragrua,.
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