Au Livre IV des Confessions, Jean-Jacques Rousseau écrit : « Je voudrais en quelque façon rendre mon âme transparente aux yeux du lecteur, et pour cela je cherche à la lui montrer sous tous les points de vue, à l'éclairer par tous les jours, à faire en sorte qu'il ne s'y passe pas un mouvement qu'il n'aperçoive, afin qu'il puisse juger par lui-même du principe qui les produit. » Vous direz si vous vous reconnaissez dans le portrait d'un tel lecteur.
Publié le 26/07/2013
Extrait du document
Introduction
Dans les Fragments autobiographiques regroupés sous le titre Mon
portrait, Rousseau limite, métaphoriquement, son rôle d'autobiographe : «
Je suis observateur et non moraliste. Je suis le botaniste qui décrit la
plante. « « Montrer «, « éclairer «, « rendre [s]on âme transparente «, ce
sont bien les mêmes procédés que Rousseau évoque au Livre IV des
Confessions. Refermant le récit de sa « première jeunesse «, il réitère
dans un texte essentiel le pacte qui le lie au lecteur. Lui recueillera,
reproduira, rendra lumineux et transparents les moindres « mouvements
« de sa vie, « sous tous les points de vue « et « par tous les jours «. Le
lecteur aura la tâche difficile de réduire leur multiplicité en unité et de «
juger par lui-même du principe qui les produit «. La question est de savoir
dans quelle mesure l'auteur n'induira pas le jugement.
Introduction
I. Tout dire...
a) ... « par tous les jours « : dire l'insignifiant
b) « rendre mon âme transparente « « dire l'obscur et le caché «
c) Ressaisir le « mouvement «
II. Qui est le juge ?
a. Le rôle du lecteur
b. Rousseau juge de Jean-Jacques
c. L'impossible « transparence «
Conclusion
«
seizième année.
Les Livres II et III s'étendent sur une période plus courte,
huit à neuf mois pour le premier, dix -huit pour le second.
Le Livre IV
raconte la période d'avril 1730 à octobre 1731 : Rousseau a dix -neuf ans,
le récit de sa « première jeunesse » est terminé.
Certes, le narrateur ne
s'embarrasse pas de dates précises, mais il jalonne son parcours de
not ations temporelles qui permettent d'en mesurer la durée : « peu de
jours après mon arrivée », « après avoir passé quatre ou cinq jours à
Belley », « en moins d'un an », etc.
Le résultat est que le lecteur éprouve
effect ivement le sentiment de ne jamais quitter le personnage et de le
suivre « dans tous les recoins de [s]a vie ».
- « rendre mon âme transparent e » « dire l'obscur et le
caché »
L'insignifiant prend cependant parfois des tournures étranges.
Dans
les « allées sombres » et les « réduits cachés » d'où il exhibe son sexe
sans risquer d'être vu, Rousseau, au seuil du Livre III, semble aller
che rcher la partie de son âme la plus profondément enfouie.
Les notations
d'ombre et de lumière ne manquent pas.
Au sens propre, d'abord.
Rou sseau est sensible à « l'aurore du matin », il se réveille plus tôt que
tout le monde « pour voir lever le soleil » ; inversem ent, c'est quand il se
pr omène « sous les ombrages dans un vallon » qu'il rencontre Melle
Galley et Mlle de Graffenried.
Au sens figuré, ensuite.
« J'ai fait le premier
pas et le plus pénible dans le labyrinthe obscur et fangeux de mes
confessions », écrit -il après l'aveu de la jouissance qu'il éprouve à recevoir
la fessée de Mlle Lambercier.
De fait, Rousseau éclaire, il révèle « tous les replis » de son âme.
De
là vient qu'il parle de ce qu'il est socialement interdit de dire : la faute et
le sexe.
Il aba ndonne M.
Le Maître « écumant au milieu de la rue ».
Il
accuse injustement Marion alors qu'il éprouve pour elle une affection
secrète.
Mais surtout, il se masturbe, il s'exhibe, il jouit à être châtié, et il
le dit.
Mais se reconnaissant « un goût bizarre, toujours persistant même
après l'âge nubile, et porté jusqu'à la dépravation », il ajoute aussitôt que
ce goût lui « a conservé les mœurs honnêtes qu'il semblerait avoir dû [lui]
ôter ».
Le plaisir du double interdit, celui de faire et celui de dire, aggr ave
la faute.
Le cercle des contradictions se referme : peut -on se faire
pa rdonner quand le plaisir à confesser la faute est à ce point intense...
?
— Ressaisir le « mouvement »
Tout dire n'est cependant pas se perdre dans la succession des faits,
fussent -ils des plus inavouables.
L'essentiel semble être plutôt de faire
apercevoir au lecteur le « mouvement » qui enchaîne ces faits.
Rousseau
n'a pas voulu dresser un portrait statique.
S'il croque ci et là, en quelques
traits saillants, une esquisse de person nage comme par exemple M.
Simon, rares en revanche sont les passages où il s'attarde sur son propre
tempérament.
Encore, quand il se l'autorise, est -ce pour constater des
contradictions impossibles à résoudre : « Deux choses presque inalliables
s'unissent en moi [...] : un tempérament très ardent, des passions vives,
impétueuses, et des idées lentes à naître, embarrassées, et qui ne
prése ntent jamais qu'après coup » (Livre III).
L'autoportrait ne reproduit
pas un moi qui soit un objet fixe, mais les mouvanc es imprévisibles de la.
»
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