Nous tenons à donner cette pièce, qui est l'Art poétique de l'École symboliste. Ce rythme impair déroute d'abord l'oreille formée aux rythmes classique:, romantiques et parnassiens ; il a cependant son charme. Ces vers se coupent après la quatrième syllabe, et forment deux hémistiches de quatre et cinq pieds.
A Charles Morice.
De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l'Impair Plus vague et plus soluble dans l'air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. Il faut aussi que tu n'ailles point 5 Choisir tes mots sans quelque méprise : Rien de plus cher que la chanson grise Où l'Indécis au Précis se joint. C'est des beaux yeux derrière des voiles, C'est le grand jour tremblant de midi, 10 C'est, par un ciel d'automne attiédi, Le bleu fouillis des claires étoiles ! Car nous voulons la Nuance encore, Pas la couleur, rien que la nuance ! Oh ! la nuance seule fiance 15 Le rêve au rêve et la flûte au cor! Fuis du plus loin la Pointe assassine, L'esprit cruel et le Rire impur, Qui font pleurer les yeux de l'Azur, Et tout cet ail de basse cuisine ! 20 Prends l'Éloquence et tords-lui son cou! Tu feras bien, en train d'énergie, De rendre un peu la Rime assagie. Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où? Ah ! qui dira les torts de la Rime ! 25 Quel enfant sourd ou quel nègre fou Nous a forgé ce bijou d'un sou Qui sonne creux et faux sous la lime? De la musique encore et toujours! Que ton vers soit la chose envolée, 30 Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée Vers d'autres cieux à d'autres amours. Que ton vers soit la bonne aventure Eparse au vent crispé du matin Qui va fleurant la menthe et le thym.... 35 Et tout le reste est littérature.
[Jadis et Naguère, Fasquelle, éditeur.)
QUESTIONS D'EXAMEN
I. — L'ensemble. — Pièce de vers qui est l'Art poétique de l'École symboliste. — 1° A qui s'adresse Verlaine? (A Charles Morice, un adepte de la nouvelle école...) ; 2° Quelles sont les principales règles que lui prescrit Verlaine? — a) Avant toute chose, mets de la musique dans tes vers; — b) Et, dans ce but, préfère le rythme impair; — c) Ne choisis pas de mots trop précis..., etc.); 3° Ne joint-il pas, ici, dans une certaine mesure, l'exemple au précepte? (Oui, ce poème est écrit en vers de neuf syllabes (rythme impair) ; d'autre part, il donne l'exemple de l'imprécision d'expression, de la nuance... : C'est le grand jour tremblant de midi, — Le bleu fouillis des claires étoiles...)] 4° Verlaine ne réagit-il pas contre la théorie de l'École parnassienne? (Il condamne la raideur du vers parnassien : Que ton vers soit la chose envolée..., — les exigences de la rime : Oh ! qui dira les torts de la rime!...). Le symbole et le Symbolisme. — 1° Quelle différence de signification y a-t-il entre : un symbole, terme souvent employé en poésie, et le Symbolisme (poésie symboliste) ? — Un symbole, ou allégorie, est une image à laquelle ont recouru parfois certains poètes pour donner plus de clarté et plus de force au sentiment ou à l'idée qu'ils exprimaient; — exemples : A. de Musset (le symbole du Pélican, dans la Nuit de mai), — A. de Vigny (La Bouteille à la mer), — Sully Prudhomme (Le Vase brisé), — Ch. Baudelaire (L'Albatros).... — Le Symbolisme est une école poétique, venue à la suite de l'École parnassienne...; 2° En quoi consiste le Symbolisme? Le Symbolisme a introduit la musique en poésie, s'est appliqué à choisir des mots, ou même de simples sons, ayant une valeur musicale, à substituer la nuance à la couleur, afin de traduire les émotions vagues, les rêves, les élans mystérieux de l'âme humaine. Mallarmé disait : « Les Parnassiens, eux, prennent la chose entièrement et la montrent; par là, ils manquent de mystère. C'est le parfait usage du mystère qui constitue le Symbole... « Le Symbolisme doit donc exprimer le mystère de notre vie intérieure.
II. — L'analyse de la poésie. — i° Étudiez chaque strophe et indiquez nettement les règles que préconise Verlaine; 2° Quelles sont les règles en usage qui se trouvent ainsi condamnées? 30 Que doit surtout éviter le poète, d'après Verlaine? (La pointe..., l'esprit, le rêve impur..., l'éloquence, c'est-à-dire tout ce qui est recherche, artifice..., tout ce qui est littérature...).
III. — Le style ; — les expressions. — 1° Quels vous paraissent être les caractères distinctifs du style, dans cette poésie? (La précision..., — la souplesse..., le rythme..., l'énergie (Fuis du plus loin la Pointe...; Prends l'Éloquence et tords-lui son cou! —...); 3° Expliquez les expressions suivantes : la nuance seule fiance le rêve au rêve..., — Et tout cet ail de basse cuisine..., — rendre un peu la rime assagie..., — ce bijou d'un sou....
IV. — La grammaire. — 1° Indiquez un synonyme de méprise; 2° A quel temps est employé le verbe aller, dans : que tu n'ailles... ; 3° Analysez les pronoms contenus dans la 1re strophe — nature et fonction de chacun d'eux.
Rédaction. — Rapprochez, — toutes les fois qu'il est possible, — les règles préconisées par Verlaine des préceptes de Boileau, dans l'Art poétique. Quelles remarques vous suggère ce rapprochement ? Quelles nouveautés apporte Verlaine dans la poésie?