APRES LE ROUGE ET LE NOIR - LES DERNIERES ANNEES DE STENDHAL
Publié le 14/03/2011
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Rouge et Noir se vendit un peu mieux que les précédents ouvrages de Stendhal. De son vivant, il fut réimprimé deux fois. Personne cependant n'y vit une œuvre destinée à survivre, — sauf Goethe qui, en causant avec Eckermann, a devancé dès 1831 le jugement de la postérité. A peine quelques articles à demi favorables dans une ou deux revues; rien dans la Revue des Deux-Mondes qui fit attendre jusqu'à 1843 son article d'éreintement. Dans les journaux, l'impression fut celle de l'étonnement ou même du scandale. Balzac qui, à vrai dire, n'était qu'un débutant encore obscur et collaborait au journal le Voleur, n'y parlait qu'avec une sorte d'effroi de cette « conception d'une sinistre et froide philosophie « : — « Ce sont de ces tableaux que le monde accuse de fausseté par pudeur, par intérêt peut-être. M. de Stendhal nous arrache le dernier lambeau d'humanité, de croyance, qui nous restait. « Et Mérimée lui-même, habitué à ne pas se gêner avec son ami, lui écrivait : « Il y a dans le caractère de Julien des traits atroces dont tout le monde sent la vérité, mais qui font horreur. Le but de l'art n'est pas de montrer ce côté de la nature humaine. «

«
relâche, sans mesure; il rédige rapports sur rapports qu'il envoie à Paris, et ne tarde pas à se voir réprimandé pourles avoir adressés directement au ministre, au lieu de les faire passer par l'ambassade française de Rome.
Et d'autrepart, la police pontificale le guette, le surveille de près, l'accuse de se montrer chez des gens suspects, chez desrépublicains.
Qu'il est malaisé d'être utile au bien du service ! qu'il est difficile, quand on se nomme Stendhal, de seplier aux routines des bureaux, et d'observer constamment la réserve du diplomate !
Et de nouveau la même plainte s'élève, identique, invariable : « Je crève d'ennui !» Il a sous ses ordres un certainLysimaque Tavernier dont les comptes sont sans cesse à refaire, qu'il regarde comme un espion, et avec lequel il sequerelle du matin au soir.
Si du moins il avait la croix ! Il a beau solliciter de droite et de gauche, elle se faitlongtemps attendre.
Il ne sait avec qui causer, il sent venir « l'asphyxie morale ».
Il tente de s'intéresser à desfouilles entreprises dans le voisinage, il en entreprend à son compte et découvre un beau buste de Tibère qui serapour le comte Molé.
Mais des bustes antiques, des marbres funéraires, cela ne le touche pas beaucoup.
C'est la viequ'il aime, c'est son amour de la vie, son éternelle curiosité de la vie qui est son génie et sa force.
Il n'y peut tenir,il s'affranchit de la résidence qui est le premier de ses devoirs.
Que Lysimaque se débrouille tout seul! Il fait unvoyage à Naples, d'innombrables séjours à Rome.
A Rome, il a un moment l'illusion de renaître ; il fréquente le palaisde la princesse Caetani, celui du comte Joseph Cini, qui a une jeune femme de vingt ans, et selon son habitude ils'éprend d'elle.
Mais il a un rival, un rival qui est son ami, et ses cinquante ans croient faire un grand sacrifice àl'amitié en renonçant à soupirer pour les vingt ans de la comtesse.
Volontiers, il va s'asseoir au café Greco qui est lerendez-vous des écrivains et des artistes; ou bien il monte jusqu'à la villa Médicis dont le directeur est HoraceVernet.
Il y a là, entre autres jeunes pensionnaires, Berlioz, qui frémit et a peine à se contenir en l'entendant parlermusique à sa façon, et le peintre Hébert.
Celui-ci, près d'un demi-siècle plus tard, devenu à son tour directeur de lavilla, se souviendra du singulier visiteur, et dira à Maurice Barrés, de passage à Rome : « Vous aimez Stendhal ?C'était un vieux monsieur de beaucoup d'esprit, mais quinteux.
Je l'ai bien connu, c'était mon cousin.
M.
Barrés, jene sais pas si mon cousin vous aurait amusé autant que ses livres.
»
Grâce à l'ambassadeur de France qui a pitié de lui et ferme les yeux, il prolonge tant qu'il peut sa flânerie.
Mais enfinil ne peut pas être toujours à Rome, dont, du reste, il commence à se lasser, aussi bien que de toute l'Italie, jadis sapatrie d'adoption.
Personne avec qui « faire une de ces parties de volant qu'on appelle avoir de l'esprit ».
Commenaguère Rivarol réfugié à Hambourg parmi des lourdauds, il peut dire : « A quoi bon m'extravaser pour ces gens-là? »Une fois de plus il est en proie à cette nostalgie de Paris qui l'avait tant tourmenté vers 1820, à la fin de ses «années milanaises ».
Paris, il ne l'a revu qu'une fois, en 1833, après trois ans d'exil, et pour si peu de temps ! unmois de congé au bout duquel Civita-Vecchia lui a semblé plus stupide, plus morte que jamais.
Il se sent si seul qu'il est sur le point de se marier avec la fille d'une blanchisseuse ; sa réputation d'athéisme faitmanquer le mariage.
A force toutefois de se chercher des refuges, il finira bien par en trouver quelques-uns.
La nature en a peut-être unpour lui, du moins par instants.
Il n'a pas l'âme d'un promeneur solitaire qui s'enfonce dans la forêt, se perd dans la campagne, s'attarde en delongues contemplations, et entre peu à peu en communication avec l'âme des choses, avec Dieu.
Mais si un beaupaysage romain vient s'offrir à ses yeux, il le goûte, il le savoure, et pour une heure il ne s'ennuie plus.
Je me trouvais ce matin à San Pietro in Montonio, sur le mont Janicule, à Rome.
Il faisait un soleil magnifique; unléger vent de siroco à peine sensible faisait flotter quelques petits nuages blancs au-dessus du mont Albano; unechaleur délicieuse régnait dans l'air, j'étais heureux de vivre.
Je distinguais parfaitement Fraseati et Castel-Gandolfo,qui sont à quatre lieues d'ici, la ville Aldobrandini où est cette sublime fresque de Judith du Dominiquin.
Bien plus loinj'aperçois la roche de Palestina et la maison blanche de Castel San Pietro qui fut autrefois sa forteresse.
Au-dessousdu mur contre lequel je m'appuie, sont les grands orangers du couvent des Capucins, puis le Tibre et le prieuré deMalte, et un peu après, sur la droite, le tombeau de Cécilia Metella, Saint-Paul et la pyramide de Cestius.
En face demoi, je vois Sainte-Marie-Majeure et les longues lignes du palais de Monte-Cavallo.
Toute la Rome ancienne etmoderne, depuis l'ancienne voie Appienne avec les ruines de ses tombeaux et de ses aqueducs jusqu'au magnifiquejardin du Pincio, bâti par les Français, se déploie à la vue.
Ce lieu est unique au monde, me disais-je en rêvant, et la Rome ancienne, malgré moi, l'emportait sur la moderne,tous les souvenirs de Tite-Live me revenaient en foule.
Sur le monde Albano, à gauche du couvent, j'apercevais lesPrés d'Annibal.
Dans la lecture aussi il trouverait un refuge, s'il pouvait à son gré se procurer des livres.
Il n'en a guère.
Il estrevenu de Paris rapportant quatre volumes de Balzac.
Il relit la Marianne de Marivaux qui, par hasard, lui tombe sousla main.
Trop souvent, il en est réduit à la Quotidienne et à la Gazette de France.
Un jour, il est vrai, dans unebibliothèque, il découvre un volumineux manuscrit italien qu'il fait aussitôt transcrire, un recueil de récitsromanesques et tragiques, où réapparaît cette ardente humanité de la Renaissance qui est à ses yeux l'humanitéidéale.
Il les prend pour des histoires vraies, pour d'authentiques documents, et pendant de longs jours, que dis-je ?pendant des années, il s'en délectera.
Mais avec une activité cérébrale telle que la sienne, lire n'est qu'une pauvre ressource, et son vrai refuge c'estl'écriture.
Il écrit de nombreuses lettres que, par prudence ou besoin de mystification, par manie, il signe des noms.
»
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