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Après avoir lu le discours de Rousseau, couronné par l'Académie de Dijon (1755), Voltaire écrit à Jean-Jacques pour combattre sa thèse.

Publié le 10/02/2012

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discours

J'ai lu votre discours; je devrais plutôt dire : je l'ai entendu, car il y

circule une ardeur d'éloquence qui lui prête véritablement une voix. Je vous

remercie du plaisir qu'il m'a causé. Reviendrons-nous au siècle d'or ? Seraitce

le rameau d'olivier annonçant enfin le. terme de ce déluge de mauvais

goût qui ne cesse de monter depuis cinquante ans? Ce coup d'essai vous

élève de cent toises au-dessus des petits grimauds pleins d'eux-mêmes, c'est-à-

dire de rien, ...

discours

« nous d'attribuer la ruine de l'Empire à la seule corruption des mœurs.

Les causes en sont nembreuses et très diverses.

Lorsqu'il succomba sous leur effort, au moins dut-il à l'éclat des arts de tomber avec la grâce élégante d'un gladiateur sur l'arène, et d'être comme embaumé dans.

la mémoire des.

gérré­ rations reconnaissantes.

Mais est-il bien sûr qu'il ait été renversé? Si sa puis­ sance semble s'être évanouie au milieu de l'effroyable cataclysme des inva­ sions, ce n'a été qu'un cauchemar.

Du creuset ardent, elle sort métamor­ phosée, plus effective et plus noble.

En effet, ne voyez-vous pas les vain­ queurs se dépouiller bientôt de leur grossière barbarie pour revêtir la livrée du vaincu, je veux dire sa civilisation·? Combien le pouvoir intell'ectuel que Rome exerce désormais ne l'emporte-t-H pas sur 1•autorit:é toute brutale et matérielle que lui avait acquise autrefois 'l'héroïsme des légions? A partir de cette époque, elle n'a plus cessé d'étendre ses conquêtes pacifiques, et aujourd'hui tous ceux qui pensent se réclament d'elle.

Que nous le voulions ou non, vous et moi nous sommes de ses sujets.

Vous vous êtes plu à montrer, dans l'antiqu~té, l'art en fort mauvaise com­ pagnie; ne tournez qu'un peu le regard et veuillez remarquer que notre xvng siècle, le premier peut-être de teus les siècles, offre l'intîme union ,de l'intelligence et de la.

vertu.

Chose remarquable; celui..:là seul est alors tenu pou.r honnête homme, qui présen:te un pareil accord dans sa personne.

Hélas:! ce spectacle· a beau ne ctatter que d'hier., i1 est loin : le bon goût décroît de jour en jour, et avec la même hâte les mœurs dégénèrent.

Si la philosophie n'arrête cette double décadence, comptez que les arts et les mœurs sombre­ ront à la fois.

Le ciel nous préserve de ce malheur! Votre opinion supposée exacte, les hommes éclairés seront nécessaire­ ment des coquins, et les êtres incultes des modèles admirables.

L'expérience crie le contraire; Avouez· que ni Cicéron, ni' Varron; ni Lucrèce; ni Virgile; ni Horace; n'eurent la moindre part aux proscriptions.

Marius était un igno• rant; le .barbare Sylla, le craiJuleuoc Antoine, l'imbécile Lépide; lisaient peu Platon et Sophocle·; et pour ce tyran sans courage, Octave surnommé si lâche· ment Auguste, il ne fu.t un· détestable assassin que· dans le temps où il fut privé de la société des gens de lettres.

Avouez que Pétrarque et Boccace ne firent pas naître les troubles de l'Italie; avouez que le badinage de Marat n'a pas produit la Saint-Barthélemy, et que la- tragédie· du Ci11 ne causa· pas les troubles de la Fronde.

Les grands crimes n'ont guère _été commis que par de célèbres ignorants.

Ce qui fait et fera toujours de ce monde une vallée de larmes, c'est l'insa­ tiable cupidité et l'indomptable or,g.ueil des hommes, depuis.

Tham.as Koul!Ï.· Kan,.

qui ne savait pas lire, jusqu'à, un cGmmis' de la dGuane, lpli ne sait que chiffrer.

Les lettres nourrissent l'âme, elles l'élèvent, elles la sortent d'elle­ même : ce qui est bénéfice net pour, le bien,.

puisque la plupart de nos fautes n'ont pour origine que l'égoïsme, et autres sentiments bas.

Si les arts se respectent, ils seront déjà utH'es à la vertu; par contre; ils ne peuvent la blesser sans se nuire.

Mais quelle sera donc leur efficacité lorsqu'ils s'em'­ ploieront directement à la servir? Admirez· plutôt : Bourda-loue et Bossuet l'érigent sur le piédestal de leur sublime éloquence; la verve· de Boiieau fus~ tige pèle-mêle les mauvaises actions et les mauvais vers; Molière lapide· les vices des éclats· de son rire; le théâtre de Gorneille est une école de grandeur d'âme.

Tous les écrivains, je ne le sais que trop; n'ont point imité· cet exem­ ple; plus d'un a exploité son talent au seul profit du mal.

Je conviens avec vous que l'abus est condamnable et qu'il faut le poursuivre.

Mais ji:! vous le. »

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