Après avoir expliqué Le Coeur de Hialmar, vous définirez l'art de Leconte de Lisle dans les Poèmes Barbares.
Publié le 05/05/2011
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Le Coeur de Hialmar
Une nuit claire, un vent glacé. La neige est rouge. Mille braves sont là qui dorment sans tombeaux, L'épée au poing, les yeux hagards. Pas un ne bouge. Au-dessus tourne et crie un vol de noirs corbeaux. La lune froide verse au loin sa pâle flamme. Hialmar se soulève entre les morts sanglants, Appuyé des deux mains au tronçon de sa lame. La pourpre du combat ruisselle de ses flancs. — Holà ! Quelqu'un a-t-il encore un peu d'haleine, Parmi tant de joyeux et robustes garçons Qui, ce matin, riaient et chantaient à voix pleine Comme des merles dans l'épaisseur des buissons ? Tous sont muets. Mon casque est rompu, mon armure Est trouée, et la hache a fait sauter ses clous. Mes yeux saignent. J'entends un immense murmure Pareil aux hurlements de la mer ou des loups. Viens par ici, Corbeau, mon brave mangeur d'hommes Ouvre-moi la poitrine avec ton bec de fer. Tu nous retrouveras demain tels que nous sommes. Porte mon coeur tout chaud à la fille d'Ylmer. Dans Upsal, où les Jarls boivent la bonne bière, Et chantent, en heurtant les cruches d'or, en choeur, A tire-d'aile vole, ô rôdeur de bruyère ! Cherche ma fiancée et porte-lui mon coeur. Au sommet de la tour que hantent les corneilles Tu la verras debout, blanche, aux longs cheveux noirs. Deux anneaux d'argent fin lui pendent aux oreilles, Et ses yeux sont plus clairs que l'astre des beaux soirs. Va, sombre messager, dis-lui bien que je l'aime, Et que voici mon coeur. Elle reconnaîtra Qu'il est rouge et solide et non tremblant et blême; Et la fille d'Ylmer, Corbeau, te sourira ! Moi, je meurs. Mon esprit coule par vingt blessures. J'ai fait mon temps. Buvez, ô loups, mon sang vermeil. Jeune, brave, riant, libre et sans flétrissures, Je vais m'asseoir parmi les Dieux, dans le soleil.
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A l'est s'élève le corbeau de la bruyère; après le corbeau arrive l'aigle plus grand encore.
Je serai la pâture de l'aiglequi viendra boire le sang de mon coeur.Dans le poème nordique, Hialmar fait ses confidences non au corbeau, mais à son compagnon à qui il remet sonanneau d'or pour sa fiancée.
Il regrette ses amis, sa fiancée et voit sans joie son funèbre destin.• Le Chant de Regnar Lodbrocle, plein d'une ardeur guerrière, a donné des indications pour le caractère de Hialmar.Le héros ne regrette pas la vie; il évoque les batailles passées et aspire à retrouver les braves au paradis d'Odin :
Cinquante et une fois, j'ai livré de grands combats.
Dès ma jeunesse, j'ai rougi de sang les flèches.
Je ne croyais pasqu'il y eût plus valeureux homme que moi.
Les Ases 2 peuvent m'appeler.
Je ne regrette pas la vie.
A présent, je désire mourir.
Les messagères envoyées par Odin viennent m'inviter à entrer dans les salles.
Joyeux,j'irai boire la bière avec les Ases, assis sur des sièges élevés...
Je meurs avec joie...
• Le Mariage dans la Mort, pièce de Lope de Vega, semble avoir suggéré au poète le don du coeur.
Le chevalierfrançais Durandart confie son coeur à son compagnon Montesinos pour qu'il le porte à sa bien-aimée Belerme.
• Le rôle du corbeau a été inventé par Leconte de Lisle.
En 1860, il avait publié dans la Revue Contemporaine unpoème à caractère symbolique, intitulé Le Corbeau.
Le Corbeau représentait l'homme primitif aux instinctssanguinaires; poussé par une faim inexorable, il se ruait au carnage, ne respectant personne.
Il n'est donc passurprenant que le poète, lui ait attribué une fonction sinistre dans Le Cœur de Hialmar.Les deux premières strophes évoquent un champ de bataille, où gisent les cadavres.
Seul Hialmar vit encore.
Lesstrophes 3 et 4 contiennent l'inutile appel du guerrier à ses camarades, qui, le matin encore, chantaient comme desmerles dans l'épaisseur des buissons, et la description du moribond.
La mission du corbeau est exposée dans lesstrophes 5, 6, 7, 8.
C'est la partie la plus importante du poème; chaque strophe a d'ailleurs un sujet particulier : lecorbeau arrache le coeur; il s'en va à Upsal; il aborde la fiancée; il lui remet la sanglante offrande.
Le poème se clôtpar les adieux à la vie.Ainsi la structure de la pièce montre une progression dans l'horreur, rehaussée encore par le sourire de la filled'Ylmer, qui n'existait pas dans le poème nordique.Les personnages.
Trois personnages apparaissent dans le poème : le Corbeau, la fille d'Ylmer, Hialmar.• Le Corbeau brave mangeur d'hommes a depuis toujours une sinistre réputation chez les poètes : c'est l'oiseau demort qui dépèce les malheureux pendus de Villon et que le Gringoire de Banville montre réjoui et picorant.
Le Corbeaude Leconte de Lisle est quelque peu différent : il conserve sans doute sa rapacité naturelle, mais il a de plus ducaractère.
Le poème nordique le désignait par son lieu d'origine : le corbeau de la bruyère; le poète français l'appellerôdeur de bruyère.
Le corbeau fait partie de ces animaux libres, poussés par leur seul instinct.
Entre lui et le guerriermourant existe une sympathie barbare.
Comme le soldat, l'oiseau a une arme, son bec de fer; comme lui, il est lefamilier de la mort : c'est un brave adversaire à qui l'on peut confier une mission.
• La fille d'Ylmer est dépeinte dans la septième strophe.
Alors que les jarls boivent la bonne bière avec la grossegaieté des hommes bien nourris, la blanche fiancée, au sommet de la tour, rêve.
C'est l'attente anxieuse de la jeunefille fidèle, songeant au guerrier lointain.
Comment va-t-elle accueillir le sombre messager? On pense à la belle Aude,à Yseult, qui d'amour tombent mortes.
Mais la fille d'Ylmer est brave comme Hialmar : elle sourit au corbeau.
Couleurs.
• Hialmar incarne les vertus du guerrier nordique.
Il aime la vie, les compagnons joyeux et robustes, labonne bière, sa fiancée, mais par dessus tout la guerre, la lutte sauvage.
Aussi quitte-t-il la vie sans mélancolie; duchamp de carnage, il va s'élever vers les Dieux, dans le soleil.
Le poème se termine non par le râle du mourant, maispar un cri de joie.
La comparaison de la fille d'Ylmer et de Hialmar avec leurs modèles montre que Leconte de Lisle a durci leurcaractère.
La fiancée avait prédit le destin fatal du jeune homme, sans aucun doute pour le retenir auprès d'elle :elle me disait que je ne retournerais jamais près d'elle.
Devant le coeur rouge et solide de son fiancé, elle ne pleure,ne gémit, ni ne s'étonne : elle sourit devant cette preuve irréfutable de la fidélité et de la bravoure.Regnar Lodbrock a donné à Hialmar sa mort joyeuse, la satisfaction d'avoir mené à son terme une existence debrave.
Le personnage de Leconte de Lisle, tout en conservant les traits essentiels des héros nordiques, s'est paréde couleurs romantiques et s'est durci, lui aussi.
Les tableaux.
Le poème s'ouvre sur un paysage lunaire, où tout concourt à donner une impression d'effroi : lanature, les hommes, les animaux.
Le tableau ne comporte que trois tons : sur le fond blanc de la neige et du cielblafard ressortent, en un contraste brutal, le rouge pourpre du sang et le noir des corbeaux.Le portrait de la Fiancée est aussi une symphonie en noir et blanc, avec toutefois quelques tons dégradés : Lescheveux noirs s'atténuent dans le gris des corneilles, la blancheur du visage s'allie à la blancheur plus mate del'argent fin des anneaux, à la clarté des yeux.A ces deux tableaux statiques s'opposent les évocations des héros durant leur vie : l'animation des rires et deschants, la joie plus animale des festins.
Une couleur vive et chaude éclaire ces spectacles de vie : l'or des cruches.
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