Après avoir écrit : «Au même Baudelaire appartient une autre initiative. Le premier parmi nos poètes, il subit, il invoque, il interroge la Musique...», Paul Valéry affirme : «Ce qui fut baptisé : le Symbolisme, se résume très simplement dans l'intention commune à plusieurs familles de poètes (d'ailleurs ennemies entre elles) de reprendre à la Musique leur bien.» (Avant-propos à La Connaissance de la Déesse, dans Oeuvres, Pléiade, t. I, p. 1270-1272. Valéry pense à la phrase où Mallarm
Publié le 04/07/2011
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1896 ; Valéry, notamment contexte du passage à commenter ; abbé Bremond, La Poésie pure).
Bien entendu, cettepoésie pure n'est qu'une limite inaccessible tant qu'on se sert des mots.
Mais cette limite, beaucoup de symbolistesinclinent à croire que c'est précisément la musique.
L'esthéticien anglais, Walter Pater, très admiré des symbolistes,écrivait que «tous les arts aspirent à rejoindre la musique».
En effet, quand on exclut de n'importe quel art tout cequi est didactique, tout ce qui est matière, on trouve une pure harmonie, voisine de la musique (voir par exemplel'architecture, si chère à Valéry : quand on chasse du monument tout ce qui est utilité, pesanteur, pierres mortes,etc., il subsiste de pures harmonies d'ordre quasi musical, XXe Siècle, p.
163, texte 3, et p.
154-157).
Précisément,le but par excellence du poète symboliste, c'est d'atteindre avec des mots de plus en plus légers, de plus en plusimpalpables, de plus en plus réduits à leur pure puissance incantatoire, sinon la musique, au moins le degré depureté de l'art musical : on pense naturellement à Verlaine, à cette musique qu'il réclame «avant toute chose», àcet Impair «Sans rien en lui qui pèse ou qui pose» (XIXe Siècle, p.
506).2 Les suggestions de la vie profonde.
Mais, objectera-t-on, cet art désincarné et ainsi allégé ne présente plusaucun rapport avec la vie.
En fait, à ce degré de pureté, l'art, qu'il soit musical, poétique, ou autre, se borne àsuivre et à suggérer les mouvements mêmes de la vie inconsciente.
D'une façon plus générale, musique ou poésiepure sont des arts «de participation» et non de représentation.
En termes plus simples, ils ne sont que pure duréeet sont la vie intérieure de celui qui les compose et de celui qui les écoute.
On reconnaît là un idéal tout à faitsymboliste, celui que l'on peut sommairement appeler l'idéal de la suggestion (Ibidem, p.
522, texte 20), en prenantbien garde toutefois que la suggestion n'est pas nécessairement la subjectivité et que le flux poétique ou musical nesuggère pas n'importe quoi.
A ce sujet notamment, Baudelaire insiste beaucoup : entendant l'ouverture deLohengrin, il prétend trouver bien des traits communs dans les analyses qu'en proposent le programme du ThéâtreItalien, le musicien Liszt et lui-même.
Sans doute les «impressions», comme on dit improprement, ne sont pas lesmêmes, mais elles émanent d'un registre commun que Baudelaire définit par l'isolement, une lumière qui grandit etdiminue ensuite, une sensation d'espace et de béatitude.
C'est que la musique, comme la poésie, donne accès, par-delà le monde intérieur, à un univers mythique et mystique.
Musique et poésie sont des instruments de pénétrationdu monde, font subir une «opération spirituelle, une révélation» (Baudelaire, Article sur «Richard Wagner etTannhäuser à Paris», 8 avril 1861, Pléiade, t.
II, p.
781-786).3 La musique et les «Correspondances».
Comment s'expliquer ce mystérieux pouvoir des mots ou des sons,indépendamment, bien entendu, de leur valeur signifiante ? C'est ici que la réflexion sur la musique va nous mener aucœur même du symbolisme : les sons ne sont pas un phénomène isolé ; dans le monde des Correspondances, toutse tient : «Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.» (XIXe Siècle, p.
457.) Et même peut-on penser queles sons, qui sont moins nécessairement représentatifs que les couleurs, sont un moyen de choix pour pénétrer aucœur de cet Univers unifié.
Très souvent c'est une mélodie qui crée l'unité d'un poème baudelairien, tel l'air de violonqui domine Harmonie du soir.Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir...Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige (Ibidem p.
461.)Il est plus délicat de se servir à cette fin musicale des mots proprement dits, car on a toujours tendance à accorderla primauté à leur sens ; mais certains procédés d'audition colorée, tels que les suggère le fameux sonnet desVoyelles de Rimbaud (Ibidem, p.
488), permettent de les utiliser comme clef pour l'unité mystique d'un univers qu'ils'agit de déchiffrer.
Sans aller si loin, parler des grands bois amènera à évoquer l'orgue (Les Fleurs du Mal,Obsession), citer certains grands peintres fera invinciblement penser à certains musiciens (Baudelaire voit un rapportévident entre Delacroix et Weber, entre Watteau et un air de valse, Ibidem, Les Phares).
Mais la Correspondance laplus fréquente dans Les Fleurs du Mal est celle de la musique et de la mer (cf.
le poème intitulé La Musique), parfoispar l'intermédiaire des grottes marines et des orgues basaltiques (cf.
le sonnet La Vie antérieure, XIXe Siècle, p.457).
Dans le jeu subtil des Correspondances, des Symboles et des Analogies, la musique permet de multiplespassages.Bref, les symbolistes sont littéralement hantés par la musique : celle-ci est l'asymptote de toute «poésie pure», elleest l'art de la suggestion et de la durée par excellence.
Enfin, naturellement idéaliste, elle est un moyen de choixpour faire sentir l'idéalité du monde ; à la fois immédiate et transcendante, tombant sous les sens sans aucun effortet pourtant stimulant l'esprit et l'imagination, elle est une merveilleuse source de symboles : les poètes symbolistestireront des effets surprenants des violons, des cloches, des voix.
Quoi de plus étrange, par exemple, que l'inflexiond'une voix :Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L'inflexion des voix chères qui se sont tues.(Verlaine, Mon Rêve familier, dans Poèmes saturniens, Ibidem, p.
498.)Pourtant ils n'abdiquent jamais devant la musique, ils engagent la lutte avec espoir et orgueil : leur bien, pensent-ils, c'est la musique qui l'a pris, il ne tient qu'à eux de le récupérer.
III les familles de poètes ennemies entre elles
Examinons donc sur quel plan les poètes symbolistes vont engager la lutte ; parcourons rapidement ce domainequ'ils accusent la musique d'avoir usurpé à son profit exclusif ; essayons d'étudier les instruments et les résultats deleur lutte.
Nous pouvons relever deux directions essentielles, qui sont à la fois les deux directions essentielles dusymbolisme et les deux grandes tendances de l'art musical.1 La lutte avec le «mode mineur» (Verlaine) ou les suggestions de l'inconscient.
On distinguera:a) Les instruments avec lesquels le poète rivalise.
Ce sont de préférence des instruments isolés, indépendammentde l'orchestre ; par exemple, le violon, mais le violon de la musique de chambre ou mieux encore le violon destziganes dans la rue, les «violons/De l'automne» (Ibidem, p.
500) ; généralement des instruments anciens et un peugrêles : luth ÇIbidem, p.
501, texte 5, v.
3), clavecin, mandoline, ou un peu populaires : l'orgue de Barbarie, les.
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