Apprécier ce jugement de Flaubert en l'appliquant particulièrement à l'œuvre de Boileau : Nous nous étonnons des hommes du siècle de Louis XIV; mais ils n'étaient pas des hommes d'énorme génie. On n'a aucun de ces ébahissements, en les lisant, qui vous fasse croire en eux à une nature plus qu'humaine comme à la lecture d'Homère, de Rabelais, de Shakespeare surtout; non! Mais quelle conscience! Comme ils se sont efforcés de trouver pour leur pensée les expressions justes ! Quel travail
Publié le 01/03/2011
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Peut-on trouver deux écrivains plus opposés, en apparence du moins que le truculent auteur de la Tentation de Saint-Antoine, et le sévère législateur de l'Art Poétique ? L'un est épris de couleurs et de reliefs excessifs, l'autre se montre si mesuré qu'il en semble parfois monotone. Or, en dépit de ces oppositions de tempérament, Flaubert admire Boileau et le place aussi haut que son idole : Victor Hugo. Comment expliquer cette curieuse sympathie ?
«
En 1657, la mort de son père le rend indépendant.
Désormais, rien ne viendra troubler son culte pour les lettres.Confiné dans le célibat, il recherche la société des autres écrivains, car Boileau n'est ni sévère ni ennuyeux.
C'est unjeune critique plein d'enthousiasme et de verve qui se rue impétueusement sur les mauvais poètes.
Flaubert dut êtreagréablement surpris, en lisant ses œuvres complètes, de trouver tant d'entrain et tant de joie de vivre, témoincette chanson à boire :
Allez, vieux fous, allez apprendre à boire !
On est savant quand on boit bien :
Qui ne sait boire ne sait rien.
Il fréquente Chapelle, Charles de Sévigné, mais aussi Molière et La Fontaine.
Lorsque l'Ecole des femmes estattaquée, il prend sa défense et encourage Molière :
En vain mille jaloux esprits, Molière, osent avec mépris Censurer ton plus bel ouvrage...
Si tu savais un peu moinsplaire Tu ne leur déplairais pas tant.
(Stances à M.
de Molière, sur sa comédie de l'Ecole des femmes, que plusieurs gens frondaient, 1663.)
Or Boileau n'ignorait pas que Molière avait rompu avec la société bourgeoise et l'Eglise en se faisant comédien, maisl'art l'emporte sur la religion dans son amitié.
De même, lorsque les gens d'esprit disputent pour savoir quelle est tameilleure de la Joconde de La Fontaine ou de celle de M.
Bouillon, il n'hésite pas à se ranger du côté de La Fontaineet il le soutiendra toujours.
Sa longue intimité avec Racine débute par des discussions littéraires.
Il examine l'Ode àla Renommée et corrige la Thébaïde.
C'est peu à peu que son admiration pour Corneille fait place à celle de Racine et qu'il aime à louer l'écrivain etl'homme.
Foncièrement bon, il aide Linière, dont il a écrasé l'œuvre.
Plus encore que ses amitiés, ses haines sontlittéraires.
Il échange des insultes avec Perrault, laudateur des Modernes, mais se réconcilie bientôt avec lui (1701).Nul plus que lui au grand siècle n'a considéré la littérature comme un métier, comme le plus noble des métiers, celuiqui donne un sens à la vie et triomphe de la mort.
Boileau sait qu'il manque d'imagination et d'invention
poétiques (cf.
Satire II à M.
de Molière, 1664); mais il rachète ces défauts par une haute probité intellectuelle etune conscience artistique sans complaisance.
Avant de critiquer les autres, Boileau s'est critiqué lui-même.
Toutjeune, il écrivit quelques sonnets précieux, ni meilleurs ni pires que ceux des auteurs à la mode.
Il guérit vite decette maladie.
L'excès contraire pouvait, par contre, tenter sa verve satirique.
L'auteur du Lutrin allait-il s'abaisserau burlesque ? Sa clairvoyance l'en préserve et lui fait trouver la mesure, ce classicisme raisonnable et vigoureuxaussi loin des mignardises que des grossièretés.
Les Satires et le Lutrin offrent quantité d'exemples de versexcellents, véritables modèles de précision et de fermeté.
Voici une rue de Paris, encombrée de chaises, de carrosses et de laquais :
Et plus loin des laquais, l'un l'autre s'agaçant, Font aboyer les chiens et jurer les passants.
(Satire VI; Sur les embarras de Paris.)
N'imagine-t-on pas le repas ridicule en lisant ces vers :
On a porté partout des verres à la ronde Où les doigts des laquais dans la crasse tracés Témoignaient par écritqu'on les avait rincés.
(Satire III; v.
139-140-141)
Aussi, grâce à cette conscience toujours en éveil, Boileau û su faire ce qu'il a fait et son œuvre dure autant quecelle de Hugo.L'Art Poétique est loin d'être une simple imitation de
La poétique d'Aristote ou de l'Epître aux Pisons d'Horace.
Boileau s'est souvenu de ses années d'apprentissage et bien souvent ses préceptes généraux sont des confidencesdéguisées.
Ses expériences personnelles, celles de Molière et de Racine ont confirmé les conseils des maîtresantiques.
Quel est donc le chemin qui mène à la perfection ?
Tout d'abord, il faut avoir une doctrine sûre, aimer la raison, c'est-à-dire posséder une claire conscience du butpoursuivi et des moyens appropriés..
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