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APOLLINAIRE Guillaume : sa vie et son oeuvre

Publié le 14/11/2018

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apollinaire

APOLLINAIRE Guillaume, pseudonyme de Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky (1880-1918). Bâtard, métèque et fauché, Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky était triplement qualifié pour devenir le liquidateur de l’héritage symboliste, le trouble-fête des ronrons académiques, l’explorateur des voies où s’engageaient les dadaïstes et les surréalistes et le plus grand poète français du début du xxe siècle. La bâtardise, on le sait, prédispose aux lettres. Faute d’identité génétique, l’enfant sans père se fait un nom, court, à travers masques et fictions, après une identité protéiforme qui se dérobe sans cesse, dans la hantise du morcellement et l’espoir d’une com

 

munion panique avec le cosmos. Ainsi fit Apollinaire, ballotté entre ses doubles romanesques et mythiques (Croniamantal et Saintariste, Merlin le fils du diable et Orphée le déchiqueté), mais animé par la soif gargantuesque de « Vendémiaire ». Cette fragilité fit de lui le sismographe de la rupture historique qui lézarda la « Belle Époque ».

 

L’origine étrangère de cet enfant, qui jusqu’à sept ans parla italien et polonais, redouble sa vulnérabilité et renforce sa vocation. Elle avive sa sensibilité aux singularités ethniques et culturelles (la Wallonie, la Rhénanie, le monde méditerranéen, Prague, les Balkans, la judéité) et au brassage cosmopolite de l’Europe. Elle lui confère l’étonnement devant la langue française nécessaire à sa poésie, l’attention de l’oreille aux possibilités combinatoires du signifiant, une sensualité gourmande devant la variété des vocables et les trésors du dictionnaire, le goût de surprendre et de se surprendre.

 

Enfin, l’impécuniosité d’Apollinaire l’excluait d’emblée du monde des nantis et des héritiers de l’institution littéraire, de ceux qui portent avec eux le cadavre de leur père et la littérature selon Sainte-Beuve. Elle le jetait à la rue, aux quartiers pauvres, aux bordels miteux, aux ateliers bohèmes, aux casernes et aux tranchées, aux simples gens, aux choses vues. Elle le condamnait sans doute à des piges perpétuelles et à des compilations hâtives, mais aussi à trouver, trouver sans cesse.

 

Écrits alimentaires et érotiques

 

Apollinaire n’était pas de ces rentiers qui peuvent mûrir une œuvre dans le silence et le confort, ni de ces fonctionnaires écrivains dont la matérielle est assurée. Pour vivre de sa plume, il lui fallut, comme Balzac, se plier à bien des travaux alimentaires. Sans parler du feuilleton Que faire? qu’il rédigea comme nègre en 1900, on considérera comme tels son Anthologie du théâtre italien (1910), la Chronique des grands siècles de la France (1912) et la trilogie d’« histoire romanesque» parue chez Br.ffaut; la Rome des Borgia (1913), signée de lui mais écrite par son ami René Dalize; la Fin de Babylone (mars 1914), pot-pourri de plaisanteries et de citations érudites tirées de la Bible, d’Hérodote et d’une dizaine d’ouvrages d’histoire des religions; les Trois Don Juan (1915), transcription sans vergogne de fragments empruntés à Félicien Mallefille, à Tirso de Molina, à Molière, à Mérimée, à Byron et autres : l’art d’Apollinaire tient ici dans le maniement habile du pot de colle et des ciseaux.

 

C’est également pour se renflouer qu’Apollinaire publia sous le manteau, en 1907, deux romans licencieux, signés de ses seules initiales. « Plus fort que le marquis de Sade », annonçait un catalogue clandestin à propos des Onze mille Verges, de ses descriptions d’orgies dans l’Orient-Express, de son évocation des bordels de Port-Arthur et de l’éventail de perversions qu’y déploie le fougueux hospodar Mony Vibescu poursuivant la brune Culculine d’Ancône et la blonde Alexine Mangetout. Les Exploits d'un jeune don Juan sont un livre plus rudimentaire et plus laborieux. La psychanalyse montrera volontiers que le sadisme anal, l’attrait pour la flagellation et la sodomie, la peur du sexe castra-teur, bref les fantasmes apollinariens, se manifestent ici clairement. Reste qu’ils sont tenus à distance par une surenchère commerciale, une démesure dans l’obscénité, une veine bouffonne et gauloise enfin, qui renvoient plus à Rabelais qu’au Divin Marquis : les poncifs du genre atténuent la confidence, l’énormité désamorce les aveux. Si ces livres inavoués trahissent leur auteur, c’est plus par l’amour des mots, le brio du style et la vivacité de la narration que par la perversité des épisodes.

 

Apollinaire a toujours assumé son goût pour le langage cru, l’allusion paillarde, la littérature libertine et, disons-le, une certaine façade de virilité fanfaronne sur quoi se fondent bien des complicités masculines. Les auteurs maudits attiraient l’érudit et le bibliomane. Il préfaça des éditions de l’Arétin, de Sade, de Nerciat, de Baffo, de Cleland, de Mirabeau et de quelques autres romanciers sulfureux, publia en 1913 avec Fernand Fleuret et Louis Perceau T Enfer de la Bibliothèque nationale, « icono-bio-bibliographie », et regroupa en vue d’une publication ses préfaces aux érotiques (parues en 1964 chez Gallimard sous le titre les Diables amoureux).

Apollinaire journaliste et critique d'art

La Grande France, Tabarin, le Journal de Salonique, le Guide du rentier, la Plume, Messidor, la Culture physique, le Financier, Pan, la Phalange, le Beffroi, le Voile de pourpre, T Intransigeant, Je dis tout, Paris-Journal, le Mercure de France, le Parthénon, Schéhérazade, le Petit Bleu, le Petit Niçois, les Marches de Provence, la Revue de Bourgogne, la Revue normande, Der Sturm, El Impartial, Lacerba, Portugal futurista, la Baïonnette, l'Eventail, Sic, Nord-Sud, l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux; on pourrait faire un étrange poème des titres (nous n’en avons énuméré que quelques-uns) des quotidiens, hebdomadaires, mensuels et autres périodiques auxquels Apollinaire a fourni de la copie.

 

Pour vivre, pour s’imposer dans une institution littéraire dominée par des personnages qui étaient loin de le valoir, Apollinaire a placé sa prose partout où il l’a pu. Même si sa curiosité, son érudition, son originalité, son caractère sensible et spirituel, ses dons d’échotier et de conteur y transparaissent, l’inégalité de cette abondante production est évidente. Il a d’ailleurs conscience, il l’avoue à Madeleine Pagès, de gaspiller parfois son talent dans ces piges et de céder à la facilité. La presse lui est un premier dépôt, où il puise ensuite pour des œuvres plus élaborées. C’est ainsi qu’il emprunta à ses « vies anecdotiques » du Mercure de France pour composer le Flâneur des deux rives (1918) : les quais, les rues, les caves, les bouillons, les musées, les boutiques du bord de la Seine lui servent de prétexte à évoquer librement souvenirs et anecdotes. En 1926, Anecdotiques rassembla incomplètement ses chroniques du Mercure, que Marcel Adéma établit plus rigoureusement sous le même titre en 1955 et que Michel Décaudin compléta en 1966 dans les Œuvres complètes (Balland et Lecat) : le Douanier Rousseau, l’Enchiridion de Jalbaoth, gentilhomme australien, Fantômas, Stendhal et Wells, Nerval, les impromptus de Moréas, le menu d’un restaurant chinois, l’acrostiche, un testament bizarre, le français espa-gnolisé, le Petit Cuisinier économe et vingt autres sujets y alimentent une curiosité encyclopédique et une verve toujours à l’affût.

 

Sa bonne étoile, grâce à laquelle il se lia d’amitié aux grands révolutionnaires de la peinture et qui le fit recruter comme chroniqueur d’art par l'Intransigeant en 1910, mais aussi et surtout l’absence de préjugés qui le rendait disponible, et l’intuition de la validité des recherches novatrices, ont fait de lui le défenseur des cubistes, en un temps où l’opinion ahurie les vomissait, et donc un critique incontournable.

 

Familier du Bateau-Lavoir et de Montparnasse, Apollinaire loue dès 1905 la « période bleue » de Picasso, et, en 1907, Matisse et Vlaminck; en 1908, il préfaça une exposition de Braque. A partir de 1910, il rendit compte à l'intransigeant des différents salons et expositions dans les galeries et fut aux premières lignes pour tenter de faire comprendre à ses contemporains l’ampleur de la révolution dont les protagonistes étaient Picasso, Braque, Derain, Léger, Metzinger, Gleizes, Delaunay, Pica-bia, Duchamp, auxquels il joignait sa chère Marie Laurencin.

 

Mi-plaisant, mi-sérieux, il attira l’attention sur le Douanier Rousseau en organisant son « triomphe », sur Giorgio De Chirico, sur les futuristes italiens comme Boccioni. En 1913, il tira de ses articles un livre, les Peintres cubistes, méditations esthétiques. En 1914, il fut évincé de l'intransigeant où son audace déplaisait, mais passa à Paris-Journal, où il défendit Archipenko, Larionov, Gontcharova et Léger. La guerre l’écarta un temps des cimaises, mais dès 1916 il renoue avec l’actualité : il préface l’exposition Derain chez Paul Guillaume (octobre 1916), rédige le programme de Parade en 1917, loue Matisse, Picasso et Van Dongen en 1918.

 

Son premier article de critique d’art, publié en 1902, célébrait la gigantomachie, frise hellénistique du grand autel de Pergame qui glorifie le triomphe de l’humanisme grec sur la barbarie; son dernier article célèbre les « christs inférieurs » de la plastique africaine et océanienne.

 

Las du monde ancien et de son réalisme répétitif, Apollinaire inventa en 1917, après Albert-Birot, le terme de « surréalisme » (auquel André Breton allait donner un contenu différent) pour qualifier l’art de son temps, dont il fut l’avocat et le poète plus que le philosophe et le théoricien, et l’art à venir qu’il appelait de ses vœux.

 

Apollinaire, poète difficile?

 

Apollinaire fait partie de ces boulimiques du verbe pour qui tous les mots sont merveilleux; il les thésaurise dès leur rencontre pour les ressortir un jour. D’où les argyraspides et les hématidroses, le Turbiasque et la kell nerine, la binameye et le chevalier du Papegaut, les pi-his, les cinyres, les alcancies, les pairies et les loulabim, les archaïsmes médiévaux, les dialectalismes, les mots forgés, les termes de botanique, de liturgie ou d’astrologie. Sans jamais en abuser, Apollinaire sait d’instinct où placer ces mots pour susciter un climat, et son lecteur doit souvent recourir au dictionnaire.

 

Une autre difficulté d’accès vient de la culture d’Apollinaire, culture de rat de bibliothèque, d’autodidacte qui cherche son bien chez les marginaux et les hérétiques plus que dans les monuments classés de la littérature universelle. Il emprunte à l'Odyssée et à la Bible, mais aussi à la kabbale, à la Légende dorée, au cycle arthurien, aux différents folklores. L’éclectisme prodigieux de ses lectures l’a fait qualifier de « brocanteur hétéroclite » par Georges Duhamel. C’était oublier que toutes ses trouvailles étaient refondues dans une mythologie personnelle, à vrai dire souvent hermétique.

 

Apollinaire cultive le sentiment confus de l’immortalité essentielle de la poésie à travers ses incarnations successives et se situe dans la lignée des enchanteurs et des prophètes. Sans se proclamer nettement devin, il laisse volontiers entendre qu’il est visionnaire et thaumaturge. Cette fierté qui lui promet la gloire n’ignore pas le doute. Bien plus vivace en lui est la certitude douloureuse de la fatalité de l’échec amoureux.

 

Le sens lyrique

 

Ce n’est pas dans le lourd héritage du fatras symboliste, fût-il déplacé par le goût baroque de l’insolite, l’hostilité à la mère et le complexe de castration, que se trouve le meilleur d’Apollinaire. Ce que des millions de lecteurs ont apprécié chez lui, c’est la simplicité des émotions, la nudité du lyrisme élégiaque, un sens savant du murmure plaintif, du soupir enfantin et du dépouillement essentiel, qui le rattache aux lais médiévaux, aux aveux de François Villon, aux confidences de Verlaine et aux naïvetés de la chanson populaire.

 

A jamais Apollinaire restera celui qui a donné au cri du cœur dolent une expression à la fois moderne et sans âge. Qu’importe qu’il ait dérouté Annie Playden par ses brusqueries possessives et ses jalousies insensées; qu’importe qu’il ait lassé Marie Laurencin par son comportement machiste et ses infidélités; qu’importe même qu’il ait abandonné sa petite fiancée d’outre-mer. Pour l’amour de sa poésie, nous sommes prêts à croire traîtresses toutes les femmes et destructrices toutes les amantes. Toutes les nuances du regret, les paradis perdus sitôt qu’entrevus, le tragique du jamais plus, le désespoir qui espère encore, la mélancolie douce, l’élancement poi

 

gnant de la mémoire et les lentes convalescences trouvent place dans sa musique intime du mal-aimé.

Apollinaire dramaturge

 

La tentation du théâtre comique et/ou symbolique est constante dans l’œuvre d’Apollinaire, et les fragments dialogués qui s’intercalent dans ses proses et même dans ses poèmes lui permettent d’affronter les multiples instances de sa personnalité. En collaboration avec André Salmon, il composa vers 1906 deux pièces, la Température, comédie en un acte (du sous-Becque), un livret d’opérette, le Marchand d'anchois, et, en 1911, Jean-Jacques, mise en scène assez scolaire d’épisodes de la vie de Rousseau, commandée pour la célébration du deuxième centenaire de sa naissance. Seul, Apollinaire avait écrit en 1902 A la cloche de bois (texte perdu) et entrepris sans l’achever la Colombelle, qui transposait probablement le drame de Mayerling, ainsi qu’un livret d’opéra-bouffe, Casanova.

 

D’une tout autre importance sont les Mamelles de Tirésias et Couleur du temps, écrits à son retour du front. Les Mamelles de Tirésias, « drame surréaliste en deux actes et un prologue» joué le 24 juin 1917, sous la forme d’une fiction aristophanesque et farfelue, serine l’antienne de la repopulation. Canular, mystification ou conversion aux thèses natalistes? La jeune avant-garde n’apprécia qu’à demi cette prédication qui lui paraissait témoigner de la diminution des facultés mentales du grand homme.

 

Couleur du temps, « drame en trois actes et en vers » joué deux semaines après la mort d’Apollinaire, promène de l’équateur à la banquise des aviateurs d’un pays en paix et des femmes enlevées dans un pays en guerre. Ces fantoches servent de support à un entrecroisement de voix lyriques sur les grands lieux communs, la guerre et l’avenir, la vie, l’amour et la mort.

La modernité ou l'épopée impossible

 

Apollinaire s’est voulu le chantre de la modernité. D’abord en incorporant le quotidien du XXe siècle au registre poétique, en acceptant de considérer les inventions nouvelles, les automobiles, les tramways, les avions, la publicité murale, les architectures métalliques, l’électricité, les machines, les canons et les shrapnells comme des objets émouvants et poétiques au même titre que la rose ou la colombe. Il accomplissait ainsi le refus de toute discrimination quant à l’objet de la poésie, amorcé par Hugo et poursuivi par Baudelaire et Rimbaud. Cette révolution renoue le mince fil de la poésie impersonnelle dont parlait Lautréamont; elle débouche sur le « il y a », les poèmes-conversations, les « ready-made », bientôt sur les collages des surréalistes. Mais l’ambition d’Apollinaire visait plus haut. Il a voulu chanter l’héroïsme de son siècle; il a cherché une certaine universalité épique tournée vers l’avenir; ce fut sa grandeur et son échec.

 

S’il a rendu compte de la fracture définitive de l’humanisme renaissant et de la mort de la foi, il n’a pu identifier son sort à celui d’une communauté (les humiliés? le prolétariat? le tiers monde colonisé?), ni désigner des valeurs nouvelles, ni déceler les germes de totalitarisme qui allaient ensanglanter la planète. Prisonnier avant guerre d’un cosmopolitisme assez superficiel, puis d’un patriotisme assez niais, Apollinaire tenta plus qu’il ne pouvait et, sans doute, qu’on ne pouvait en son temps. Il reste le témoin et le martyr disloqué d’une Europe en dislocation.

apollinaire

« judéité) et au brassage cosmopolite de l'Europe.

Elle lui confère l'étonnement devant la langue française néces­ saire à sa poésie, l'attention de l'oreille aux possibilités combinatoires du signifiant, une sensualité gourmande devant la variété des vocables et les trésors du diction­ naire, le goût de surprendre et de se surprendre.

Enfin, l'impécuniosité d'Apo llinai re l'excluait d'em­ blée du monde des nantis et des héritiers de l'institution littéraire, de ceux qui portent avec eux le cadavre de leur père et la littérature selon Sainte-Beuve.

Elle le jetait à la rue, aux quartiers pauvres, aux bordels miteux, aux ateliers bohèmes, aux casernes et aux tranchées, aux sim­ ples gens, aux choses vues.

Elle le condamnait sans doute à des piges perpétuelles et à des compilations hâtives, mais aussi à trouver, trouver sans cesse.

Écrits alimentaires et érotiques Apollinaire n'était pas de ces rentiers qui peuvent mûrir une œuvre dans le silence et le confort, ni de ces fonctionnaires écrivains dont la matérielle est assurée.

Pour vivre de sa plume, il lui fallut, comme Balzac, se plier à bien des travaux alimentaires.

Sans parler du feuilleton Qut� Jaire? qu'il rédigea comme nègre en 1900, on considérera comme tels son Anthologie du théâ­ tre italien (1910), la Chronique des grands siècles de la France (1912> et la trilogie d'« histoire romanesq ue» parue chez Br:.ffaut; la Rome des Borgia (1913), signée de lui mais éc:rite par son ami René Dalize; la Fin de Babylone (ma rs 1914), pot-pourri de plaisanteries et de citations érudites tirées de la Bible, d'Hérodote et d'une dizaine d'ouvrages d'histoire des religions; les Trois Don Juan ( 1915), transcription sans vergogne de frag­ ments empruntés à Félicien Mallefille, à Tirso de Molina, à Molière, à Mérimée, à Byron et autres : l'art d'Apollinaire tient ici dans le maniement habile du pot de colle et des ciseaux.

C'est également pour se renflouer qu'Apollinaire publia sous le manteau, en 1907, deux romans licen­ cieux, signés de ses seules initiales.

« Pl us fort que le marquis de Sade », annonçait un catalogue clandestin à propos des Onze mille Verges, de ses descriptions d'or­ gies dans l'Orient-Express, de son évocation des bordels de Port-Arthur et de l'éventail de perversions qu'y déploie Je fougueux hospodar Mony Vibescu poursui­ vant la brune Culculine d'Ancône et la blonde Alexine Mangetout.

Lt•s Exploits d'un jeune don Juan sont un livre plus rudimentaire et plus laborieux.

La psychana­ lyse montrera volontiers que le sadisme anal, l'attrait pour la flagellation et la sodomie, la peur du sexe castra­ teur, bref les fantasmes apollinariens, se manifestent ici clairement.

Reste qu'ils sont tenus à distance par une surenchère commerciale, une démesure dans l'obscénité, une veine bouffonne et gauloise enfin, qui renvoient plus à Rabelais qu'au Divin Marquis : les poncifs du genre atténuent la confidence, l'énormité désamorce les aveux.

Si ces livres inavoués trahissent leur auteur, c'est plus par l'amour des mots, le brio du style et la vivacité de la narration que par la perversité des épisodes.

Apollinaire a toujours assumé son goût pour le lan­ gage cru, l'allusion paillarde, la littérature libertine et, disons-le, une certaine façade de virilité fanfaronne sur quoi se fondent bien des complicités masculines.

Les auteurs maudits attiraient l'érudit et le bibliomane.

Il préfaça des éditions de l'Arétin, de Sade, de Nerciat, de Baffo, de Cleland, de Mirabeau et de quelques autres romanciers sulfureux, publia en 1913 avec Fernand Fleu­ ret et Louis Perceau /'Enfer de la Bibliothèque nationale, « icono-bio-bibliographie », et regroupa en vue d'une publication ses préfaces aux érotiques (parues en 1964 chez Gallimard sous le titre les Diables amoureux).

Apollinaire journaliste et critique d'art La Grande France, Tabarin, le Journal de Salonique, le Guide du rentier, la Plume, Messidor, la Culture phy­ sique, le Financier, Pan, la Phalange, le Beffroi, le Voile de pourpre, l'Intransigeant, Je dis tout, Paris-Journal, le Mercure de France, le Parthénon, Schéhérazade, le Perit Bleu, le Perit Niçois, les Marches de Provence, la Revue de Bourgogne, la Revue normande, Der Sturm, El Impartial, Lacerba, Portugal futurista, la Baïonnette, l'Eventail, Sic, Nord-Sud, l'Intermédiaire des cher­ cheurs et des curieux; on pourrait faire un étrange poème des titres (nous n'en avons énuméré que quelques-uns) des quotidiens, hebdomadaires, mensuels et autres pério­ diques auxquels Apollinaire a fourni de la copie.

Pour vivre, pour s'imposer dans une institution litté­ raire dominée par des personnages qui étaient loin de le valoir, Apollinaire a placé sa prose partout où il l'a pu.

Même si sa curiosité, son érudition, son originalité, son caractère sensible et spirituel, ses dons d'échotier et de conteur y transparaissent, l'inégalité de cette abondante production est évidente.

Il a d'ailleurs conscience, il l'avoue à Madeleine Pagès, de gaspiller parfois son talent dans ces piges et de céder à la facilité.

La presse lui est un premier dépôt, où il puise ensuite pour des œuvres plus élaborées.

C'est ainsi qu'il emprunta à ses « vies anecdotiques » du Mercure de France pour com­ poser le Flâneur des deux rives (1918) : les quais, les rues, les caves, les bouillons, les musées, les boutiques du bord de la Seine lui servent de prétexte à évoquer librement souvenirs et anecdotes.

En 1926, Anecdotiques rassembla incomplètement ses chroniques du Mercure, que Marcel Adéma établit plus rigoureusement sous le même titre en 1955 et que Michel Décaudin compléta en 1966 dans les Œuvres complètes (Balland et Lecat) : le Douanier Rousseau, l' Enchiridion de Jalbaoth, gentil­ homme australien, Fantômas, Stendhal et Wells, Nerval, les impromptus de Moréas, le menu d'un restaurant chi­ nois, l'acrostiche, un testament bizarre, le français espa­ gno lis é , le Petit Cuisinier économe et vingt autres sujets y alimentent une curiosité encyclopédique et une verve toujours à l'affût.

Sa bonne étoile, grâce à laquelle il se lia d'amitié aux g rand s révolutionnaires de la peinture et qui le fit recru­ ter comme chroniqueur d'art par l'Intransigeant en 1910, mais aussi et surtout l'absence de préjugés qui le rendait disponible, et l'intuition de la validité des recherches novatrices, ont fait de lui le défenseur des cubistes, en un temps où l'opinion ahurie les vomissait, et donc un critique incontournable.

Familier du Bateau-Lavoir et de Montparnasse, Apol­ linaire loue dès 1905 la « période bleue » de Picasso, et, en 1907, Matisse et Vlaminck; en 1908, il préfaça une exposition de Braque.

A partir de 1910, il rendit compte à l'Intransigeant des différents salons et expositions dans les galeries et fut aux premières lignes pour tenter de faire comprendre à ses contemporains l'ampleur de la révolution dont les protagonistes étaient Picasso, Bra­ que, Derain, Léger, Metzinger, Gleizes, Delaunay, Pica­ bia, Duchamp, auxquels il joignait sa chère Marie Laurencin.

Mi-plaisant, mi-sérieux, il attira l'attention sur le Douanier Rousseau en organisant son « triomphe», sur Giorgio De Chirico, sur les futuristes italiens comme Boccioni.

En 1913, il tira de ses articles un livre, les Peintres cubistes, méditations esthétiques [voir notice particulière].

En 1914, il fut évincé de 1 'I ntransigeant où son audace déplaisait, mais passa à Paris-Journal, où il défendit Archipenko, Larionov, Gontcharova et Léger.

La guerre l'écarta un temps des cimaises, mais dès 1916 il renoue avec l'actualité : il préface l'exposition Derain chez Paul Guillaume (octobre 1916), rédige le pro-. »

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