APOLLINAIRE: Automne malade - COMMENTAIRE COMPOSE
Publié le 11/07/2011
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Cosmopolite, familier des poètes et des peintres, collaborateur de plusieurs revues, critique d'art, conteur, poète, Apollinaire, à défaut d'en être le pionnier, fut le principal représentant de ce qu'il nomme lui-même l' «esprit nouveau«. Avec lui, commente Tristan Tzara, se termine l'ère des «poètes maudits« et commence celle de la «poésie conquérante«, présente au coeur même de toutes les activités humaines. Plus proche, par le chant et l'esprit, de Ronsard et Villon que des parnassiens et des symbolistes, Apollinaire reste, dans ses textes les plus avant-gardistes, dans ses évocations de l'univers urbain ou des magies tragiques de la guerre, le chantre de la vie, de l'amour et de l'érotisme, à l'écoute de l'avenir.
Automne malade et adoré Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies Quand il aura neigé Dans les vergers 5 Pauvre automne Meurs en blancheur et en richesse De neige et de fruits mûrs Au fond du ciel Des éperviers planent 10 Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines Qui n'ont jamais aimé Aux lisières lointaines Les cerfs ont bramé Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs 15 Les fruits tombant sans qu'on les cueille Le vent et la forêt qui pleurent Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille Les feuilles Qu'on foule Un train Qui roule La vie S'écoule
«
choix de l'adjectif «malade» du titre, repris au vers 1, contribue à l'humanisation de l'automne, dont la fragilité
rappelle celle de l'homme.
[2.
LA FRAGILITÉ DE LA RICHESSE]
La fragilité, l'instabilité, le changement sont les premiers caractères de l'automne apollinarien.
Ils se
manifestent d'abord dans l'opposition des couleurs.
Une version manuscrite du début du poème, non retenue,
montre bien l'origine visuelle de l'adjectif « adoré » :
Un arbre est tout en or dans le jardin
« Or » est répété plus loin dans le manuscrit, et repris par « doré ».
L'idée de l'opulence de l'automne est
ainsi, dans le texte définitif, développée par le champ lexical suivant : « adoré » (v.
1, / doré), « vergers » (v.
4), « richesse » (v.
6), « fruits mûrs » (v.
7), repris par « fruits » (v.
15).
Mais à la couleur de l'or des fruits s'oppose la blancheur hivernale de la neige.
Au champ lexical de l'opulence
s'oppose, exactement terme à terme, celui de la destruction ;
- v.
1 : « malade » / « adoré » ;
- v.
3 -4 : « aura neigé » / « vergers » ;
- v.
6 : « blancheur » / « richesse » ;
— v.
7 : « neige » / « fruits mûrs » ;
- v.
15 : « tombant » / « fruits ».
La valeur symbolique de l'automne est ici tout entière dans ce jeu subtil de contrastes, qui soulignent, en
même temps que la fécondité de la vie, l'arrivée imminente de la mort.
C'est l'image même de la fragilité de la
vie, dont la dénonciation mélancolique caractérise ici, avec une originalité certaine, le lyrisme élégiaque
d'Apollinaire.
De plus, l'imminence de la destruction au cœur même de la richesse se traduit deux fois par une menace.
La
première est celle du souffle de l'ouragan, annoncé par le futur du verbe (v.
2).
Plus nette encore est la
menace des vers 8 -11 :
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n'ont jamais aimé
Les « nixes », sur lesquelles planent les oiseaux de proie, sont, dans la mythologie germanique, des Ondines,
divinités des eaux.
Elles rappellent ici le Rhin (leurs cheveux « verts » sont des algues).
« Nicettes » signifie en
ancien français « simplettes » ; l'adjectif est appelé phonétiquement par « nixes », mais il a aussi une valeur
dépréciative reprise par « naines ».
Ce sont les filles en mal d'amour, comme la Loreley.
Elles symbolisent
l'échec de l'amour, si souvent lié, chez Apollinaire, aux thèmes automnaux (voir « Signe »).
[3.
LA MUSICALITÉ DU VERS]
Dans ce poème extrêmement musical, Apollinaire sollicite l'imagination sonore du lecteur par la nature même
des bruits automnaux qu'il suggère : le souffle de l'ouragan (v.
2), le brame des cerfs (v.
13), la plainte du
vent (v.
16).
C'est, en somme, le décor sonore objectif de l'automne, juste et précis.
Plus intéressante est la transcription musicale des bruits dans le registre poétique.
Ainsi, on admirera d'abord
la subtilité dans le travail des voyelles au vers 2.
Dans ce vers de quinze syllabes, Apollinaire parvient à répéter
trois fois la séquence sonore : ou / ra / an :
Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies
1 2 3
C'est là un exemple remarquable de l'adéquation de la musique du vers à l'idée rendue, la plainte suggérée par.
»
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