ANOUILH: la tragédie comme le rapport entre les héros et la fatalité.
Publié le 10/10/2011
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« Et puis, surtout, c'est reposant la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir ; qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu'on n'a plus qu'à crier- pas à gémir, non, pas à se plaindre- à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on n'avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien : pour se le dire à soi, pour l'apprendre, soi. Dans le drame on se débat parce qu'on espère en sortir. C'est ignoble, c'est uùlitaire. Là c'est gratuit. C'est pour les rois. Et il n'y a plus rien à tenter, enfin. «
(Jean ANOUILH, Antigone)
Par la voix de l'un de ses personnages, Jean Anouilh énonce ici ce qui lui paraît être la caractéristique essentielle de la tragédie : le rapport entre les héros et la fatalité. Après avoir expliqué sa conception, vous direz si elle vous paraît juste. Vous veillerez à appuyer votre réflexion sur des exemples précis tirés de votre propre expérience.

«
0 ANALYSE ET ILLUSTRATIONS DES ID~ES
1° Mise en valeur des trois aspects de la définition
Trois idées essentielles apparaissent ici.
La première, c'est que le héros tragique est sans espoir, qu'il ne se débat pas, qu'il cède
volontairement à la fatalité : il coïncide avec son destin.
D'autre
part, selon Anouilh, il ne se laisse pas aller à se plaindre du sort qui lui est fait; il crie seulement un message qu'il portait en lui et qu'il découvre, sans penser, pour autant que ce message servira à qui que ce soit, car il reste prisonnier de sa solitude.
Enfin, le héros ainsi marqué tire de cette situation exceptionnelle une sorte
de sérérité, de tranquillitas : cet abandon de soi aux volontés du
destin, dans la lucidité et la solitude, lui confère une grandeur morale intense, une royauté exceptionnelle («C'est pour les rois»).
2° Le tragique selon Anouilh
Dans le détail, les aspects tragiques définis par Anouilh corres pondent aux aspects essentiels du drame antique.
(Jj Le destin
Le Destin en effet s'y exprime à travers l'hérédité, les malédictions ou les persécutions des Erinnyes.
Le drame grec tend à montrer que l'action de l'homme n'a pas en elle-même sa raison d'être ni
toute son explication, qu'elle obéit à quelque chose d'obscur et de
supérieur : l'anankè.
:4); L'acceptation du destin par le héros
D'autre part, chez Eschyle surto)Jt, les héros s'abandonnent à cette volonté supérieure; en faisant ce qu'ils veulent eux-mêmes, ils font en même temps ce que veulent les Dieux.
Ils ne sauraient agir
autrement sans se faire violence, et leur volonté coïneide exactement
avec leur destin.
Cet aspect est exactement celui c(ue définit Anouilh.
Étéocle, Prométhée, Clytemnestre, Oreste, les Danaïdes, appliquent dans le sens même de la destinée leur volonté inflexible, qui raisonne
peu et ne laisse se développer aucune délibération intérieure.
Rares
et presque imperceptibles sont les traces d'hésitation, exactement
comme dans l'attitude de l'Antigone moderne.
Il en est à peu près
de même pour les personnages de Sophocle : Œdipe, par exemple, poursuit avec acharnement son enquête, méconnaissant les avis
du devin Tirésias, et va jusqu'au bout de sa terrible découverte..
»
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