Annexes Manon Lescaut de l'Abbé Prévost ► Extraits de jugements critiques
Publié le 23/01/2020
Extrait du document
• « Des Grieux, ayant justifié l’amour à ses yeux, aixne Manon envers et contre tous, malgré les pires déchéances. Il se rend compte, dans ses rares moments de lucidité, que cette passion le dégrade. Alors il essaie de réagir, mais en vain; sa chute le précipite aux abîmes. Il viole successivement le respect paternel, l’amitié, l’honneur, les lois, la justice; il est la victime consciente et résignée du destin. ...Manon est le portrait fidèle d’une société qui se reconnaît en elle. Le succès du livre n’a pas d’autre cause : Prévost établit, comme Marivaux, une parfaite concordance entre son œuvre et le public auquel il s’adresse. Il en résulte une sympathie immédiate, un accord tacite que les rares qualités du livre assureront à jamais. Oui, Manon porte en elle une force qui parait neuve, parce qu’elle répond exactement à l’idéal de l’époque : ne pas prendre l’amour au tragique, allier le goût du plaisir et de l’argent à la sensualité, se donner selon son caprice d’un jour, marquis, marquises et soubrettes n’en demandent pas plus. Mais brusquement, Manon semble dépasser le siècle, ne plus lui appartenir, rejoindre, par son esprit d’abnégation et de sacrifice, les âmes hautes et les cœurs droits. »
P. trahard, Les maîtres de la sensibilité française au XVIII* siècle, Boivin 1933 (I, p. 140 - I, pp. 133-134).
• « Nous n’aurons jamais un portrait en pied de Manon. Elle n’apparaît qu’à travers l’âme de son amant. Mais nulle création poétique n’a jailli d’un plus grand amour. Celui-ci, peu à peu, nous enveloppe, nous pénètre, tant Prévost sait voiler le réel et lui substituer les sentiments qui se partagent l’âme de Des Grieux, à mesure qu’il raconte son histoire. »
h. roddier, l'abbé Prévost, Hatier 1955, p. 106.
• « ...Si légère, l’esquisse de Manon, si convenue qu’il n’est pas besoin d’une longue pratique des femmes ou d’une imagination puissamment organisée, pour élaborer ce genre de catin. Moins superficielle, Manon n’aurait probablement pas évincé son chevalier dans le cœur des lectrices et des lecteurs : plus banal un portrait de fillette, plus émerveillés les nigauds. Trop fouillé, le caractère du chevalier n’a pas fasciné les foules, qui l’oublient pour sa petite catin. »
► Extraits de jugements critiques
Voici comment quelques écrivains célèbres ont jugé Manon Lescaut au fil des siècles. (Leurs réactions ont été sommairement étudiées dans le chapitre précédent.)
• Sévérité de Montesquieu qui pose au moraliste :
« J’ai lu, ce 6 avril 1734, Manon Lescaut, roman composé par le père Prévost. Je ne suis pas étonné que ce roman plaise; parce que toutes les mauvaises actions du héros, le chevalier Des Grieux, ont pour motif l’amour, qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse. Manon aime aussi; ce qui lui fait pardonner le reste de son caractère. » Mélanges et fragments inédits.
• Voltaire a eu de la sympathie pour Prévost. En 1740, quand Prévost est criblé de dettes, il le recommande au roi de Prusse Frédéric. Auteur tragique, il est surtout sensible au caractère pathétique et tragique du roman :
» Je n’ai jamais parlé de l’abbé Prévost que pour le plaindre d’avoir manqué de fortune. Si j’ai ajouté quelque chose sur ce que j’ai lu de lui, c’est apparemment que j’ai souhaité qu’il eût fait des tragédies, car il me paraît que la langue des passions est sa langue naturelle. »
Correspondance 1735.
• Sainte-Beuve, l’auteur d’un roman psychologique, Volupté, admire la vérité psychologique et la finesse de l’analyse :
« Plus on lit Manon Lescaut et plus il semble que tout cela soit vrai, vrai de cette vérité qui n’a rien d’inventé et qui est toute copiée sur nature. S’il y a un art, c’est qu’il est impossible au lecteur de sentir l’endroit où la réalité cesse et où la fiction commence. Ce sont les expressions les plus simples de la langue; les mots de tendresse, de charme, de langueur y reviennent souvent et ont sous la plume de l’abbé Prévost une douceur et une légèreté de première venue qu’ils semblent n’avoir qu’une fois. »
Causeries du Lundi, IX.
«
• Le poète des Nuits admire en Manon l'amoureuse, au charme
ensorcelant, qui, avant les passionnées romantiques, est subli
mée par son amour :
" Manon 1 sphinx étonnant ! véritable sirène ! Cœur trois fois féminin, Cléopâtre en paniers ! Tu m'amuses autant que Tiberge m'ennuie .
Comme je crois en toi ! Que je t'aime et te hais ! Quelle perversité ! Quelle ardeur inouïe Pour l'or et le plaisir ! Comme toute la vie Est dans tes moindres mots ! Ah !'folle que tu es ! Comme je t'aimerais demain, si tu vivais 1 »
MUSSET, Nam.
»
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