ANDROMAQUE DE RACINE: LES MOEURS. LA VRAISEMBLANCE. LES BIENSEANCES.
Publié le 30/04/2011
Extrait du document

Trois points auxquels les doctes du XVIIe siècle attachaient une grande importance. Non pas sans doute qu'ils les crussent essentiels. Mais ils offraient une ample matière à de subtiles discussions et Ton ne s'est pas fait faute de les multiplier. Quelles mœurs faut-il donner d'une façon générale aux personnages que l'on met en scène ? Sans doute ils auront leur caractère particulier. S'ils sont scythes, ils ne seront pas tous des barbares cruels et impitoyables. S'ils sont des bergers d'Arcadie, ils ne seront pas tous occupés à tresser des couronnes pour leur bien-aimée. Mais faut-il tout de même leur donner, dans l'ensemble, un caractère général qui tient à leur temps et à leur milieu ? Si l'on s'en tient aux principes du classicisme, nature, vérité, raison, il faudrait répondre oui. Et c'est bien ainsi que répondent d'abord nos théoriciens. Seulement ils apportent tout de suite à ce oui des restrictions qui le transforment en fait en un non. Il ne s'agit plus d'être vrai ; il s'agit de le paraître au commun des spectateurs. La vraisemblance, c'est- à-dire ce que ces spectateurs peuvent accepter immédiatement comme vrai, doit l'emporter sur la vérité. La vérité doit donc être contrôlée et, quand il le faut, changée par les « bienséances «. C'est-à-dire que les spectateurs ne sont pas des érudits ; ils ont leurs façons de penser et de sentir. Ils croient qu'un roi doit nécessairement agir de telle ou telle façon, qu'une princesse ne peut se marier que de telle ou telle façon, qu'entre grands de ce monde on observe, même en s'assassinant, un certain protocole. Il ne faut pas prétendre heurter même ces ignorances et ces préjugés.

«
De combien de remords m'ont-ils rendu la proie ! Je souffre tous les maux que j'ai faits devant Troie.
Vaincu, chargéde fers, de regrets consumé.
Brûlé de plus de feux que je n'en allumai, Tant de soins, tant de pleurs, tant d'ardeursinquiètes..
Hélas ! fus-je jamais si cruel que vous l'êtes ? Mais enfin, tour à tour, c'est assez nous punir : Nosennemis communs devroient nous réunir.
Madame, dites-moi seulement que j'espère, Je vous rends votre fils, et jelui sers de père ; Je l'instruirai moi-même à venger les Troyens ; J'irai punir les Grecs de vos maux et des miens.Animé d'un regard, je puis tout entreprendre : Votre Ilion encor peut sortir de sa cendre ; Je puis, en moins detemps que les Grecs ne l'ont pris, Dans ses murs relevés couronner votre fils.
ANDROMAQUESeigneur, tant de grandeurs ne nous touchent plus guère :Je les lui promettois tant qu'à vécu son père.
Non, vous n'espérez plus de nous revoir encor, Sacrés murs, que n'apu conserver mon Hector.
A de moindres faveurs des malheureux prétendent, Seigneur : c'est un exil que mes pleursvous[demandent.Souffrez que loin des Grecs, et même loin de vous, J'aille cacher mon fils, et pleurer mon époux.Votre amour contre nous allume trop de haine : Retournez, retournez à la fille d'Hélène.
PYRRHUSEt le puis-je, Madame? Ah! que vous me gênez l Comment lui rendre un cœur que vous me retenez? Je sais que demes vœux on lui promit l'empire ; Je sais que pour régner elle vint dans l'Epire : Le sort vous y voulut l'une et Vautreamener : Vous, pour porter des fers ; elle, pour en donner.
Cependant ai-je pris quelque soin de lui plaire ? Et nediroit-on pas, en voyant au contraire Vos charmes tout-puissants, et les siens dédaignés, Qu'elle est ici captive, etque vous y régnez ? Ah! qu'un seul des soupirs que mon cœur vous envoie, S'il s'échappoit vers elle, y porteroit dejoie !Oreste parle d'ailleurs à l'occasion dans le même style que celui de Pyrrhus (II, 2).
HERMIONELe croirai-je, Seigneur, qu'un reste de tendresse Vous fasse ici chercher une triste princesse ? Ou ne dois-je imputerqu'à votre seul devoir L'heureux empressement qui vous porte à me voir ?
ORESTETel est de mon amour l'aveuglement funeste.
Vous le savez, Madame ; et le destin d'Oreste Est de venir sans cesseadorer vos attraits, Et de jurer toujours qu'il n'y viendra jamais.
Je sais que vos regards vont rouvrir mes blessures,Que tous mes pas vers vous sont autant de parjures : Je le sais, j'en rougis.
Mais j'atteste les Dieux, Témoins de lafureur de mes derniers adieux,Que j'ai couru partout où ma perte certaine Dégageoit mes serments et finissoit ma peine.
J'ai mendié la mort chezdes peuples cruels Qui n'apaisoient leurs dieux que du sang des mortels :Ils m'ont fermé leur temple ; et ces peuples barbares De mon sang prodigué sont devenus avares.
Enfin je viens àvous, et je me vois réduit A chercher dans vos yeux une mort qui me fuit.
Mon désespoir n'attend que leurindifférence : Ils n'ont qu'à m'interdire un reste d'espérance, Ils n'ont, pour avancer cette mort où je cours, Qu'à medire une fois ce qu'ils m'ont dit toujours.
Voilà, depuis un an, le seul soin qui m'anime.
Madame, c'est à vous deprendre une victime Que les Scythes auroient dérobée à vos coups, Si j'en avois trouvé d'aussi cruels que vous.Les feux, les fers, les soins, les pleurs, les attraits, les beaux yeux cruels, les métaphores et les métaphoressuperlatives sont le langage de centaines, on pourrait presque dire de milliers de romans, de pastorales, de tragi-comédies, de tragédies, d'élégies, d'idylles, sonnets, madrigaux, écrits par les « langoureux » et les « mourants » quis'évertuaient à « mourir par métaphore » :Brûlé de plus de feux que je n'en allumaiMadame, c'est à vous de prendre une victime Que les Scythes auraient dérobée à vos coups Si j'en avais trouvéd'aussi cruels que vous.
sont des propos d'amour qui auraient enchanté Benserade, Voiture (le mauvais Voiture), l'abbé Cotin, voireMascarille ou Trissotin.Il faut bien le reconnaître.
Mais il faut reconnaître aussi l'excuse de Racine qui est d'avoir si bien résisté, malgrétout, au goût précieux de son temps.
Pyrrhus et Oreste sont bien différents de son Alexandre.
S'ils madrigalisent,c'est par excep-tion.
J'ai déjà cité, dans ma première partie, des exemples de cette obligation imposée aux amantsde n'aborder un « bel objet » qu'en tressant les plus ingénieuses guirlandes des plus belles fleurs de la rhétoriqueamoureuse.
Rien ne serait plus facile que de multiplier les exemples.
Voici une déclaration d'amour de Cyrus àThomyris dans la Mort de Cyrus de Quinault (1659) :
Ah! malgré mon effroi, la peur de vous quitter Va contraindre à l'instant mon secret d'éclater, J'abuse troplongtemps de la grâce dernière Que j'obtiens aujourd'hui d'une Reine si fière : Et, si près du tombeau, je dois sansdoute mieux Ménager des moments pour moi si précieux.
Sachez donc que pour vous, belle et superbe Reine, Je n'airien dans le cœur qui ressemble à la haine, Que vous ne connaissez mon destin qu'à demi, Et que Cyrus pour vous.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Andromaque de Racine, III, 7
- Le personnage de CÉPHISE de Jean Racine Andromaque
- Racine, dramaturge majeur du XVII, auteur de nombreuses tragédies dites classiques comme Bérénice, Britannicus, Andromaque.
- Andromaque (résumé & analyse) Racine
- Le personnage de CLÉONE de Jean Racine Andromaque