André MALRAUX, La Condition humaine
Publié le 19/10/2010
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André MALRAUX, La Condition humaine.
COMMENTAIRE COMPOSÉ
Comment commencer ? Pour un roman, il existe de multiples possibilités.
De nombreux écrivains introduisent d'abordlonguement le décor, l'époque, de façon que le lecteur soit préparé à reconnaître ensuite les personnages et àmieux les comprendre.
D'autres, au contraire, décrivent d'abord les protagonistes, en insistant sur leur aspectphysique ou sur leur passé, leur histoire personnelle.
Toutes ces techniques furent utilisées avec bonheur par lesplus grands auteurs : Balzac, Stendhal, Flaubert, etc.
Plus proche, peut-être, de l'esthétique du théâtre est cellequi consiste à entrer directement dans une action dont le lecteur ne connaît ni les causes ni les buts exacts et àpénétrer sans préparation dans les pensées d'un personnage.
Ainsi, le roman de Malraux, La Condition humaine (1933), commence de façon très dramatique : le lecteur est immédiatement plongé dans le cœur de l'action.
Etquelle action, puisqu'il s'agit d'un assassinat ! Le romancier nous présente donc d'abord les hommes et les lieux,insérés dans l'action.
Mais le décor, les lumières, fondées sur les contrastes, ont une grande valeur symbolique.Tout cela permet au lecteur une certaine sympathie pour le héros dont il connaît peu à peu les pensées.
Au tout début, le romancier donne quelques indications « techniques » qui concernent le temps.
Une date, d'abord,très précise : le 21 mars 1927 (ce qui, pour le lecteur d'origine — 1933 — situe l'action à une époque presquecontemporaine).
Une heure, ensuite : minuit et demi.
Plus qu'à un début de roman, on peut alors penser à un journalintime ou à un « carnet de notes ».
L'heure suscite instinctivement « l'angoisse » (le mot est, d'ailleurs, écrit dès latroisième phrase de l'extrait) tant elle évoque le crime, le mal qui rôde.
Ce qui peut contraster avec le 21 mars,évocateur de printemps (au moins dans notre hémisphère).
Mais le premier mot du récit proprement dit est « Tchen » : un nom qui frappe par sa brièveté (une seule syllabe) etson exotisme.
C'est un nom chinois qui, en outre, ressemble un peu à un cri.
Ce personnage est un homme dont lenarrateur nous montre tout de suite ce qu'il fait, ou ce qu'il va faire.
Il est, d'emblée, saisi en action : lever une «moustiquaire », objet banal si nous sommes dans le pays évoqué par le nom du héros ; action banale aussi.
Enrevanche, « frapper » indique tout de suite un acte de violence et de mort.
Ce personnage en action n'est pourtantpas seul.
Il est, en effet, bientôt question d'un « corps...
incliné par le sommeil » dont on ne voit nettement que « lepied ».
Mais tout cela est « vivant » et constitué de « chair d'homme ».
Ensuite, progressivement, un décor se dessine que le lecteur peut reconstruire d'après des impressions visuelles etauditives qui forment plusieurs contrastes puisque les premières renvoient à l'intérieur qui se trouve ainsi peu éclairé(bien que les lumières viennent aussi du dehors), et les dernières au monde de l'extérieur.
À l'extérieur, donc, desbruits :
Quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois » qui connotent une ville moderne assez importante (il est ailleursquestion du « building voisin »), assez animée, avec des « embarras de voitures » nocturnes.
L'expression estrépétée deux fois, la seconde entre parenthèses : « là-bas » pour désigner « le monde des hommes », celui oùon continue à vivre, indifférents à ce qui se passe ici, dans cette chambre où le romancier nous a emprisonnésavec les deux hommes.
Le bruit, comme souvent, représente la vie, l'agitation, l'activité humaine.
À l'intérieur,au contraire, se joue un drame de mort : un homme va en tuer un autre, endormi, probablement à coups decouteau.
La pièce est plongée dans l'obscurité : « La seule lumière venait du building voisin.
» Tchen ne voitqu'une tache claire, le
tas de mousseline blanche » que forme la « moustiquaire », et un
rectangle » qui vient rayer « le lit juste au-dessous du pied ».
Ainsi, comme au théâtre, nous avons vu (Fartde Malraux est très visuel, voire cinématographique) un moment de la journée, deux personnages, un décor, unacte en préparation.
La scène est, en fait, construite sur des lignes verticales et horizontales, des figures géométriques : « lever lamoustiquaire » évoque une ligne verticale ascendante ; mais la mousseline blanche « tombait du plafond » :verticale descendante, cette fois, ce qui crée une opposition.
Le pied du dormeur est « à demi incliné », ce quiforme une diagonale.
La lumière dessine « un grand rectangle » d'électricité (l'expression est reprise au paragraphesuivant).
Mais ce rectangle est « coupé par les barreaux de la fenêtre ».
Barreaux verticaux, donc, là encore, dont« l'un rayait le lit » (autres lignes droites).
Cette rayure accentue « le volume » du pied.
Ainsi est posé un trèsétrange et inquiétant décor constitué de lignes qui se croisent : verticales, horizontales, diagonales (on pourraitajouter une autre diagonale : celle du geste de Tchen qui va traverser l'espace en oblique et frapper le corpsendormi) qui forment des rectangles et raient l'espace.
Ce champ lexical de la géométrie permet en quelque sorted'emprisonner le personnage dans ce lieu clos (les
barreaux de la fenêtre » renvoient, en outre, explicitement à une
prison).
De même, cette chambre a un « plafond » explicitement désigné — sans compter la « moustiquaire » quienferme l'autre personnage.
Tout contribue ici à créer un climat étouffant d'enfermement : ces lignes tissent unevaste toile d'araignée plongée dans l'ombre dont seul émerge, au centre, un pied singulièrement éclairé..
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