André Malraux écrit, à propos du mythe d’œdipe, que l’essentiel de l’émotion tragique «c’est la conscience simultanée de la servitude humaine et de l’indomptable aptitude des hommes à fonder leur grandeur sur elle ». Vous apprécierez ce jugement sur quelques exemples pris notamment dans le théâtre français.
Publié le 02/11/2016
Extrait du document
INTRODUCTION
Servitude et grandeur. Cette antithèse, banale depuis Vigny, reçoit sous la plume d’André Malraux une application nouvelle : elle constitue à ses yeux la clé de la tragédie. L’émotion tragique essentielle, telle qu’on la ressent par exemple devant le destin d’Œdipe, c’est selon lui « la conscience simultanée de la servitude humaine et de l’indomptable aptitude des hommes à fonder leur grandeur sur elle ».
Quelques exemples pris dans le théâtre français pourront nous aider à apprécier la valeur de cette formule.
I. LA TRAGÉDIE FAIT PRENDRE CONSCIENCE DE LA SERVITUDE HUMAINE
La tragédie, en effet, rappelle toujours à l’homme, par certains côtés, la servitude qui pèse sur lui. Non pas seulement parce que la souffrance et la mort y triomphent ; mais aussi, plus profondément, parce que la volonté humaine y est humiliée, et ses efforts impitoyablement déjoués. C’est pourquoi il n’y a de tragique au plein sens du terme que si le public admet ou entrevoit, au-delà des explications naturelles relevant de la psychologie ou de l’histoire, l’existence d’une puissance transcendante vainement affrontée par l’homme : c'est la fatalité dans Œdipe, la Providence dans Athalie — « Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit », s’écrie Athalie en constatant que toutes ses intrigues se sont retournées contre elle, — Vénus dans Phèdre, Rome dans Bérénice.
II. LA TRAGÉDIE FONDE LA GRANDEUR SUR LA SERVITUDE
En même temps, la tragédie rappelle à l’homme qu’il peut fonder sa grandeur sur cette servitude.
«
Lo lucidité Il le peut d' abo rd par la lucidité.
Un héros
asservi revêt une certaine grandeur lorsqu 'il
a le courage
de voir sa misè re en face.
C'est ce que fai t Oreste
dans le célèbre dénouemen t d'Andr omaqu e, ou Phèdre dans
ses célèbres tirades de l'Acte IV .
D e mêm e Ferrant e, à la fin
de
la Reine Mort e, reco nnaît qu'il n 'a jamais compris le pourqu oi
de ses acte s ni tranché ses co ntradict ions.
Telle serait, d'après
l e
Pr olo gue et le Ch œur qui comm entent l'Antigon e de
Jean Anouilh, l'essence de la trag édi e: «o n est enfin pris comme
un
rat , avec tou l le cie l s ur son dos( ...
) on n 'a plus qu 'à crier
( ...
)ce qu 'o n avait à dire( ...
) Et pour rien : pour se le dire à soi,
pour l'apprendre,
soi».
Il s'agit là en fait d'une gra ndeu r assez dérisoire.
La lucidité
ne pre nd sa plein e va le ur humaine que ch ez 1 'ê tre qui se sacrifie.
Encore ce sacrifice,
où réside l'essent ie l de la grandeu r tragique,
peut -
il recouvr ir deux mouvements opposés de la volonté
humaine : la révolte et le don.
Lo révolte L'homme peut tenter de fonde r sa grand eur sur· la servitude en se révoltant .
L 'e xemple le
plus ancien est ce
lui de Prométhée , qu i dans la tragédi e d'Eschyle
clame sa souff rance comme une preuve de la ty rann ie de Zeus.
L 'Athalie de Raci ne, infini ment plus coup able, s'élève pou rtant
à la grand
eur tragique par ses dernières imprécations.
Mais
cet te
att itude res te rare dans la tragédie classique ; c'est à l'époque
contemporaine qu'elle appa
raît da ns to ute sa clar té .
Le sacrifice
d 'Antigone , chez Jea n Anoui lh, n'est finalement qu 'un «non ))
jeté à la face du mon de tel qu' il est.
L'Or este de Sartre , dans
Les Mouches, voit dans ses épreuves l'occasion non pas d 'expie r
son meurtre , mais
de le revendiquer crânement.
C'est sans doute à cette forme de sacrific e que songe surtout
André
Ma lraux lorsqu' il parle d'une «i ndomptabl e» aptitude
des hommes .
Pourtant la véri table gra ndeur
do nt la trag édi e
donne conscience ne réside
pas da n s la pure révolte, mais da ns
le don.
Le don Don de soi, renoncemen t généreux , telle est la
leçon d'Anti g on e d ans la tragédie de Sophocle .
L
'héroïne ne la nce pas sa mort comme un souffle t au mo nd e
tel
qu 'il est, elle l a dédie comme un hommage aux « lois non
é crites)) fondées su
r l'amou r.
P arfois le personn age tragique
cherc he par son sacri
fice à sauver ou à se rvir d'autres êtres :
t el est
Je cas d' Iphigénie, de Tit us et de Bér énice, d'A ndromaq ue,.
»
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