l'agrément de cette page. Il est surtout caractérisé par une clarté et un naturel qui nous permettent d'être tout de suite de plain-pied avec sa pensée. La structure de sa démonstration est nette, sans aucune obscurité : elle suit strictement la chronologie des faits et ne s'encombre d'aucune digression, si bien qu'on a l'impression que l'auteur nous raconte une histoire : c'est à la fin seulement qu'on se rend compte qu'il s'agissait d'une démonstration et que chacun des faits retenus en constituait un argument. La phrase courte, bien articulée, peu chargée d'adjectifs coule facile et limpide, on la suit sans effort d'attention : elle a la simplicité et l'aisance de la conversation. Son économie et sa brièveté lui confèrent même une singulière vigueur comme dans la conclusion
« Pendant cette conversation, la nouvelle s'était répandue qu'on venait d'étrangler à Constantinople deux vizirs du banc et le mufti, et qu'on avait empalé plusieurs de leurs amis.
Cette catastrophe faisait partout un grand bruit pendant quelques heures. Pangloss, Candide et Martin, en retournant à la petite métairie, rencontrèrent un bon vieillard qui prenait le frais à sa porte, sous un berceau d'orangers. Pangloss, qui était aussi curieux que raisonneur, lui demanda comment se nommait le mufti qu'on venait d'étrangler. « Je n'en sais rien, répondit le bonhomme, et je n'ai jamais su le nom d'aucun mufti ni d'aucun vizir. J'ignore absolument l'aventure dont vous me parlez : je présume qu'en général ceux qui se mêlent des affaires publiques périssent quelquefois misérablement, et qu'ils le méritent : mais je ne m'informe jamais de ce qu'on fait à Constantinople ; je me contente d'y envoyer vendre les fruits du jardin que je cultive «. Ayant dit ces mots, il fit entrer les étrangers dans sa maison ; ses deux filles et ses deux fils leur présentèrent plusieurs sortes de sorbets qu'ils faisaient eux-mêmes, du kaimak piqué d'écorces de cédrat confit, des oranges, des citrons, des limons, des ananas, des pistaches, du café de Moka, qui n'était point mêlé avec le mauvais café de Batavia et des îles. Après quoi les deux filles de ce bon musulman parfumèrent les barbes de Candide, de Pangloss et de Martin. « Vous devez avoir, dit Candide au Turc, une vaste et magnifique terre? « — « Je n'ai que vingt arpents, répondit le Turc ; je les cultive avec mes enfants : le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin. «