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Analyse rhétorique du discours de Cicéron pour Milon

Publié le 09/02/2023

Extrait du document

« Analyse du discours de Cicéron Pro Milone [Pour Milon] Inspirée de la méthode de M.A.

Ferrazzi Le procès de Milon se tint après un affrontement qui eut lieu le 18 janvier 52 av.

J.-C.

sur la via Appia, entre les hommes de Publius Clodius Pulcher, et ceux de T Annius Milon.

Clodius fut tué durant l’affrontement, et Milon mené devant les tribunaux pour ce meurtre. Clodius voulait alors obtenir la préture, et Milon le consulat.

Le Sénat soutenait officieusement la candidature de Milon au consulat, et désirait écarter Pompée, craignant qu’il ne veuille devenir dictateur.

Clodius s’employait à soutenir les adversaires de Milon.

Ayant accusé le camp de Milon de violence publique, il dispersa les Comices, et les élections furent annulées. C’est dans ce contexte qu’intervint l’affrontement de la Via Appia.

Milon se rendait ce jour-là à Lanuvium pour désigner un flamine.

Il rencontra sur la Via Appia Clodius et ses hommes, qui venaient en sens inverse, arrivant d’Aricia.

Les troupes des deux hommes politiques s’affrontèrent et Clodius fut gravement blessé par les hommes de Milon.

Ce dernier donna l’ordre de l’achever. Milon fut mené au tribunal et les partisans de Clodius montèrent le peuple contre Milon et son défenseur, Cicéron.

Le Sénat nomma alors Pompée consul pour calmer les désordres. Un tribunal spécial fut instauré, ce à quoi Cicéron fait référence dans son discours. La nature du discours paraît sans ambigüité : il s’agit d’un discours judiciaire, prononcé devant un tribunal.

Le discours de judiciaire est en partie un discours de demande, puisqu’il s’agit d’obtenir quelque chose des juges, mais il se mêle d’autres types de discours comme on le verra. Cependant, notons que ce discours ne fut pas celui prononcé par Cicéron devant le tribunal.

Il s’agit d’une réécriture a posteriori, comme c’était souvent le cas pour les discours publiés.

Lorsqu’il réécrit son discours, Cicéron sait pertinemment que Milon a été condamné et qu’il ne peut plus le faire acquitter.

Le présent discours ne s’adresse plus à un tribunal, à des juges, mais à des lecteurs.

Aussi pouvons-nous poser la question : est-ce encore purement un discours judiciaire ? Certains passages pourraient nous en faire douter. • Le but affiché est de convaincre le tribunal d’acquitter Milon. • L’attitude (ethos) de l’orateur, Cicéron, est celle de celui qui plaide, de l’avocat ; l’attitude de celui qui plaide implique la crédibilité et l’autorité de l’orateur.

Ce dernier doit montrer, en tant que défenseur de la justice, et par son passé de magistrat, qu’il est digne de foi. • La passion (pathos) que l’orateur veut susciter chez son auditoire, et particulièrement chez les juges, est celle de l’indignation liée à la pitié : l’accusation portée contre Milon est injuste ; c’est au contraire Clodius qui est l’agresseur et Milon la victime.

On peut se référer au traité de rhétorique d’Aristote, livre II, chapitre IX « de l’indignation », surtout au textus 93 : « A la pitié, est opposé principalement ce qu’on appelle Avoir de l’indignation ; car sans doute s’affliger du malheur d’autrui, lorsqu’il arrive à une personne qui en est indigne, est une passion en quelque façon opposée au Déplaisir qu’un homme ressent lorsqu’il voit arriver du bonheur à un qui ne l’a point mérité.

De plus elle part d’un même esprit et suppose les mêmes mœurs.

Ces deux passions au reste viennent d’un bon principe et font voir un bon naturel.

Car enfin il est d’un honnête homme D’être touché de compassion pour Ceux quis ont affligés sans l’avoir mérité : et tout de même, D’avoir dépit et être indigné de voir dans la prospérité et en honneur des personnes qui ne le méritent pas.

La raison est, Que tout ce qui arrive sans qu’on l’ait mérité, soit bien, soit mal, est une chose injuste et qui choque ». Comme souvent, on trouve aussi, liée à l’indignation, le pathos concomitant de la pitié, de la compassion pour celui que l’orateur désigne comme la véritable victime, Milon.

On se référera ici au même traité d’Aristote, chapitre VIII « de la compassion », textus 83 essentiellement : « La Compassion est une certaine affliction qu’on a pour un mal qui semble menacer quelqu’un de sa perte, ou du moins de le faire beaucoup souffrir, quoiqu’il ne mérite nullement qu’un tel malheur lui arrive ». Ces deux passions sont donc étroitement liées : en effet, pendant son discours, Cicéron cherche à susciter l’indignation envers le crime prémédité par Clodius, et envers les partisans de ce dernier, qui veulent faire passer l’agresseur pour la victime : car voir la victoire du parti de Clodius ce serait voir « arriver du bonheur à un qui ne l’a point mérité ».

Et parallèlement, il cherche à susciter la compassion pour Milon, qui de victime est devenu malgré lui l’agresseur, se trouve en position d’accusé alors qu’il a défendu la république, et risque l’exil pour toute gratitude. Il faut aussi observer que dans la seconde grande partie de son argumentation, Cicéron cherchera surtout à susciter la haine de Clodius. Si Cicéron cherche surtout à susciter indignation et pitié, ainsi que haine, cela n’empêche pas que dans certaines séquences il cherche plutôt à susciter de façon passagère la colère ou encore la crainte, comme nous le verrons. • Quant au logos, aux arguments, ils sont nombreux, et nous les étudierons au fur et à mesure ; nous verrons à quels lieux communs et à quels arguments spécifiques ils correspondent. Toutefois tout l’argument central du discours tient dans cet épichérème : « Il est permis de tuer quiconque nous tend des embûches pour attenter à notre vie : la loi naturelle, le droit des gens, de multiples exemples, tout le prouve ; or Clodius a tendu des embûches à Milon pour attenter à sa vie : ses armes, ses soldats, ses manœuvres et autres circonstances le démontrent ; donc il fut permis à Milon de tuer Clodius.

» Nous pouvons dresser le plan suivant de ce discours : 1.

Paragraphes 1 à 23 : Exorde, que l’on peut subdiviser en : a) 1 à 6 : exorde proprement dit. b) 7 à 23 : réfutation préliminaire (prolepse argumentative).

Cette sous-partie aurait d’ailleurs pu être traitée comme une partie du discours à part entière.

Mais, pour mieux faire ressortir la clarté du plan d’ensemble, nous préférons ici la joindre à l’exorde. 2.

Paragraphes 24 à 30 : Narration des faits.

Le but est de rendre la narration vraisemblable. 3.

Paragraphes 31 à 91 : Argumentation, exposé des preuves : a) 31 à 71 : Examen des circonstances (ou de la vraisemblance.

« De causa », dit Cicéron) : est-il vraisemblable que Milon ait voulu tuer Clodius ? A contrario, est-il vraisemblable que Clodius ait voulu tuer Milon ? Conclusion : Milon n’a pas prémédité son crime.

C’est Clodius qui a prémédité l’attentat et c’est donc lui l’agresseur, et Milon la victime.

Par conséquent Milon était en situation de légitime défense. b) 72 à 91 : Examen quant à la légitimité, quant au juste (« extra causam », dit Cicéron) : oui, il était légitime, juste, de tuer Milon.

Le meurtre de Clodius, bien que non prémédité et perpétré en situation de légitime défense, est finalement utile et salutaire pour la République. 4.

Paragraphes 92 à 105 : Péroraison : appel à la compassion. 1- Exorde a) Les paragraphes 1 à 6 sont ceux de l’exorde proprement dit.

L’exorde a avant tout pour but de bien disposer l’auditoire (captatio benevolentiae) et d’en purger la malveillance (purgatio malevolentiae) ; de capter l’attention des auditeurs ; et de réveiller en eux le désir d’être informés. - Capter l’attention : Afin de capter l’attention des juges, Cicéron commence ici par les apostropher : « Juges ! » et par établir un paradoxe qui suscite la curiosité : pourquoi trembler au moment où l’on va défendre une cause juste ? Cicéron commence par dire sa peur, à cause des circonstances exceptionnelles dans lesquelles se déroule le procès, plus précisément à cause de la présence des soldats de Pompée qui ont bouclé le Forum et en interdisent l'accès. L’attention ainsi captée, l’orateur exprime son étonnement de voir établi un tribunal spécial qui ne tient compte ni des coutumes, ni des usages, ni des traditions : « cet appareil nouveau d’un tribunal extraordinaire ».

Il y a ici une véritable mise en cause du tribunal, qui pourrait paraître contraire aux règles et aux buts de l’exorde, ainsi qu’à l’habileté rhétorique : y a-t-il pire façon de bien disposer les juges, qu’en mettant en cause le tribunal où ils siègent ? Cicéron reste-t-il ici dans le discours judiciaire ? - Captatio benevolentiae : En fait, la captatio benevolentiae de Cicéron est plus subtile que cela.

Tout en affirmant que ni ce tribunal d’exception, ni les troupes rassemblées pour l’occasion, ne peuvent rassurer l’orateur, il affirme que ces troupes ne peuvent être rassemblées contre lui ni contre Milon.

En effet ces troupes ont été postées par Pompée, et « un citoyen aussi juste, aussi sage », ne peut vouloir que la justice, le triomphe de la cause juste, celle défendue par l’orateur, évidemment.

On voit ici que la première personne visée par la captatio benevolentiae de Cicéron est en fait Pompée, le responsable de l’ordre public. Cicéron loue donc les vertus de Pompée afin de purger les mauvaises intentions éventuelles (purgatio malevolentiae) qui pourraient motiver cet attroupement de soldats, se concilier le consul, et le considérer comme un « protecteur » (§3) et non comme un ennemi. Le but de Cicéron est aussi de rassurer les juges en leur montrant que ses troupes ne sont pas dirigées contre eux.

Ainsi il reconnaît avoir peur, tout en expliquant que cette peur est injustifiée, se mettant ainsi à la place des juges qui ont le même sentiment. Cicéron distingue en fait dans cet exorde ceux qu’il considère comme ses amis (et donc comme ceux de Milon), qui sont aussi les amis de la justice, de l’ordre, de la République, et donc des juges ; de ses ennemis, ennemis de Milon, mais surtout criminels et semeurs de désordres, ennemis de la Patrie, ennemis de la justice et des juges.

Il rapproche ainsi pour mieux les opposer les partisans de Clodius, coupables de « rapines », « incendies », « désastres publics », et Milon, « un citoyen qui toujours brava pour vous les gens de cette espèce ». Il y a donc une insinuation majeure dans cette captatio benevolentiae : il y a deux camps bien distincts, au-delà de l’affrontement sur la via Appia et du crime dont est accusé Milon : le camp de la justice, qui est à n’en pas douter celui de Pompée, des juges, de Milon, et même de la masse des citoyens ; et le camp de l’injustice et du désordre, celui des partisans de Clodius. Puisqu’il s’agit d’un exorde, il n’y a pas d’argument à proprement parler.

On note simplement l’habileté de Cicéron qui veut se concilier le consul, les juges et les citoyens derrière l’étendard de la justice et de la défense de l’ordre.

Il fait d’ailleurs appel à la « bienveillance » des juges (§4), et les comble d’éloges afin de s’attirer leur bienveillance : « des juges choisis dans les ordres les plus respectables » ; « votre équité, votre courage, votre sagesse ». - Ethos de l’orateur : Le but de cet exorde est aussi pour l’orateur de se positionner dans une attitude, dans un ethos convenant à son discours : c’est ici celui de l’avocat, de l’autorité de l’orateur, de sa sincérité et de sa loyauté : « nous qui fûmes toujours dévoués à votre autorité ».. »

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