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Analyse Poésie Paul Valery, le journal d'Emma

Publié le 27/06/2024

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« Introduction : Il est bien ardu de définir ce que sont les “Histoires Brisées” de Paul Valéry.

Publié en 1950, ce “recueil paradoxal1” ne répond à aucune norme.

On y trouve des fragments de poèmes écrits en vers ou en prose, des portraits inachevés, des récits balbutiants où des je féminins semblent plongés dans une introspection infinie.

Il est donc plus simple de dire ce que cette œuvre n’est pas : un roman achevé, cohérent de bout en bout, où toute question trouve sa réponse à la fin de l’histoire.

Et si le projet est bien né d’une suggestion de Gallimard faite à Valéry d’écrire un “roman sensuel et cérébral”, le résultat va bien au delà de ce projet et témoigne de l’immense complexité de l’auteur qui mobilisent des références et des formes multiples. Le Journal d’Emma est un texte en prose, écrit sous la forme d’un journal intime où une jeune femme plongée dans son bain explore les limites du soi, dans un récit où corporalité et poésie se mêlent dans un cheminement de pensée instantannée.

Le lecteur, à travers cette voix féminine, entend le poète, ses angoisses et ses questions obsessionnelles. Nous tenterons de les explorer en suivant le mouvement du texte. Mouvement 1 - Découverte de soi et dépossession par un Autre (premier paragraphe) a) Fragment d’un journal intime Journal d’Emma, titre à la fois simple et familier renferme déjà tout un récit.

Il renvoie au journal intime d’un personnage dont on ne connaît que le prénom et le statut de “nièce de monsieur test”.

L’usage du prénom, du terme “journal”, le qualificatif “de nièce de” établi d’office un lien de proximité avec le lecteur.

Le poète nous prévient, nous connaissons Emma, comme si nous lisions un récit déjà entamé.

De fait, le premier paragraphe qui s’ouvre avec des points de suspension renforce cet effet.

Nous sommes face à un fragment, à un morceau “d’Histoires brisées” et le poète nous pousse au milieu d’un récit en cours.

Il ne reste plus qu’à deviner, entrapercevoir ce qui précédait, tout en sachant qu’une inconnue persistera. Qui plus est, le titre de journal d’Emma nous met en garde: nous nous apprêtons à entrer dans la pensée intime d’une narratrice.

Ainsi, le poète place le lecteur dans une position délicate, indiscrète, comme un journal qu'on n'aurait pas le droit de lire. Et le premier paragraphe confirme cette sensation d’intrusion.

Emma, “je” féminin observe son corps dans une introspection solitaire, pendant qu’elle est au bain : “Je me regarde au bain”.

Elle se regarde, se parle, se touche.

La position du lecteur est presque voyeuriste et comme on le verra au fil de la lecture, le poète le fait entrer à la fois dans le récit intime du corps et dans l’intimité d’une pensée féminine. 1 Levaillant, J (2016) Préface et Commentaires Paul Valéry - La Jeune Parque / L’Ange / Agathe / Histoires brisées.

Editions Gallimard. 2 b) Quête de soi Le poème est entièrement écrit à la première personne.

La première phrase déclarative est une description que fait la narratrice d’elle-même : “Mes yeux, mes cheveux sont châtains”.

On pourrait se demander à qui s’adresse cette description physique quand on sait qu’il s’agit d’un journal, par définition, non destiné à être lu.

Et s’il peut s’agir simplement d’une intervention de Valery pour décrire son personnage au lecteur, on peut surtout y voir une description de soi-même pour soi-même.

La narratrice se découvre et à travers l’observation de ses traits, entre dans une quête de soi.

L’usage des possessifs “mes” renforce cet effet.

Et l’usage du possessif sera prédominant dans la suite du poème. Emma commence donc une exploration de son corps, qui suit une progression du haut vers le bas.

La description du visage est donc suivi de l’épaule, puis le regard descend encore quand Emma regarde son “corps” au “bain”.

L’image est photographique avec un double mouvement, celui du regard-caméra qui parcourt le corps du haut vers le bas.

Et une diminution de la focale : on passe de détails précis du visage (couleur des yeux, des cheveux), à une épaule puis à un corps entier.

Cependant, la narratrice ne se contente pas d’observer ses particularités anatomiques mais va jusqu’à les jauger, les juger et questionner les effets de ses observations sur elle-même.

Ainsi, dans la proposition “J'ai un faible pour mon épaule droite, je la baise parfois, je lui parle.” On a une progression en trois temps : la découverte, la tendresse, la réflexion.

L’épaule en poésie est presque un topos de la femme sensuelle mais la particularité réside dans cette ode à soi-même, ou plutôt à une partie de soi-même.

On notera aussi la personnification de l’organe qui marque la sensualité de son propre moi.

Le langage amoureux appliqué à soi-même, dont le corps se reflète dans l’eau du bain, peut renvoyer au mythe de Narcisse, déjà présent dans la poésie de Valéry.

Tout comme le personnage d’Emma, “Narcisse est une figure pour le moins ambiguë.

Il pose la question du rapport de soi à soi-même, de Narcisse à son reflet.”2 Mais l'érotisation de soi n’est pas un geste anodin. En effet, cette personnification de l’organe a une conséquence fondamentale : en lui accordant une sorte d'autodétermination, on l'exclut du soi.

Constat que fait la narratrice avec la proposition qui suit directement cette personnification de l’épaule : “Elle est moi et pas moi”.

La première exploration, la première valorisation de son corps a donc entraîné inévitablement un sentiment d'ambiguïté entre les notions de soi et de non-soi.

Ambiguïté présente, y compris dans la forme de la phrase puisque phonétiquement, il y a un jeu sur le “et” et le est”.

On entend autant “Elle et moi” et “elle est moi".

La narratrice est capable d’admirer extérieurement son épaule, elle en est même amoureuse et cette singularité change tout.

l’épaule devient une entité qui ne peut plus être reconnue comme élément du soi. c) Naissance d’un doute L’exploration du corps est la source de l’angoisse qui transparaît dans toute la poésie et que résume Emma en une interrogation : “mon corps est-il à moi ?”.

La prise de conscience de son existence s’accompagne d’un doute sur la définition même de l’identité et ses constituants. 2 Galli, P (2008).

Paul Valéry : autour de la figure de Narcisse.

Fabula / Les colloques, « Arts poétiques et arts d’aimer »; 3 Pour en arriver à ce questionnement, le poète laisse percevoir le cheminement de pensée d’Emma, visible dans cette phrase : “Je me regarde au bain, je me dis : mon corps est-il à moi ?”.

On suit, à nouveau, une logique ternaire : la découverte, la réflexion, l’angoisse existentielle. “Je me regarde au bain” : première découverte et première rencontre avec soi.

Le lieu de rencontre n’est d’ailleurs pas anodin : le bain est lieu de sensualité, d'intimité, mais aussi symbole de purification.

Emma découvre son corps dans l’eau : Est-ce une manière de signifier que la redécouverte du corps passe par une deuxième naissance.

Après tout, la vie même commence au “bain” : Le corps du fœtus baignant dans le liquide amniotique.

La découverte du corps est donc un retour à l’enfance, ce qui explique le registre familier et les expressions enfantines du poème.

L’eau est source de vie, au sens mythologique et scientifique. Vient ensuite la réflexion, la pensée qui naît de l'observation : “je me regarde” d’abord et ensuite “je me dis”, L’introspection vient naturellement.

La corporalité ici nourrit l’esprit. Enfin vient le doute, la première angoisse existentielle : “Mon corps est-il à moi ?”. Si le “je est un autre” de Rimbaud s'interrogeait sur le Moi esprit, Paul Valéry va interroger le Moi corporel.

Ce corps dans lequel je vis, qu’est ce qui fait qu'il est à moi ? L’observer de l'extérieur n’est-il pas déjà un signe du non-soi ? En somme, l’observation naïve du corps et de ses éléments amène inévitablement l’esprit à regarder ce corps comme une entité étrange à la fois hors de lui et avec lui.

La construction du paragraphe, avec des phrases courtes, énumérant les aspects physiques, en même temps que naît l’interrogation donne la sensation de suivre l’instantanéité de la pensée, qui avance par associations d’images et d’idées. d) Intrusion d’un Autre : Une des premières hypothèses que formule Emma est la possibilité que l’amour soit une possession, un rapt de son corps.

A la question : “Si un amant possède votre corps, n'est-il pas alors à lui plus qu'à vous ?.

On peut lire une remise en cause de la définition du soi.

L’acte sexuel est ici une angoisse, perçu comme le vol du corps et par extension du soi. L’exploration heureuse et solitaire du début est interrompue par un Autre qui envahit l’espace.

L’amour y est un sacrifice et l’amant est décrit comme un étranger visant à s’accaparer le corps : “Il le voit de partout, il le palpe et le presse où il veut”.

L’Allitération en “p” marque la possession violente.

L'omniprésence de l’Autre marquée par.... »

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