Analyse Madame Bovary - Partie II, Chap 7
Publié le 11/09/2018
Extrait du document
- Cette inaptitude de la parole à dire les sentiments explique l’erreur de Rodolphe : du caractère inauthentique du langage d’Emma, il déduit la fausseté de sa passion sans voir qu’un sentiment vrai peut exister sous un langage conventionnel. Mais l’insistance du texte laisse deviner une interrogation de portée plus générale sur le langage, sur la tâche du romancier.
Étude d'une image
« (...) la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles » (l. 26-27).
Cette comparaison saugrenue, baroque, vient illustrer l’idée d’un langage inadéquat aux sentiments et aux besoins. Elle s’applique d’abord au discours romantique d’Emma et à ses tentatives désespérées pour émouvoir Rodolphe. Elle paraît ensuite un exemple de ces « métaphores les plus vides » qui, selon le narrateur, viennent encombrer notre discours lorsque l’âme déborde...
Au sens figuré, un chaudron est un mauvais instrument de musique (ne pas confondre avec le récipient en cuisine), par allusion au son creux de l’ustensile quand on le frappe. La parole est donc un instrument désaccordé : pour figurer cette disharmonie, la suite de la phrase associe de façon contrastée le grotesque (« faire danser les ours ») et le sublime (« attendrir les étoiles ») dans la meilleure tradition romantique. Tel est l’échec du langage : alors que l’on rêve d’une musique céleste, on obtient un air de saltimbanque, bon pour un public grossier.
«
pendant la scène.
Un seul détail aurait pu attirer l’attention de Rodolphe : « Emma pleurait » (l.
11).
Le
lecteur est ainsi placé dans la même position que Rodolphe, un observateur extérieur.
Ce parti pris narratif
rend possible l’erreur d’interprétation sur la sincérité d’Emma.
L’analyse du discours amoureux d’Emma permet de faire les observations suivantes :- Le langage d’Emma consiste en une véritable litanie amoureuse.
On y constate une polyptote (la
répétition sous des formes variées des mots de même racine) d’« aimer » et d’« amour ».
- Emma donne d’elle-même l’image d’une amante romantique jusqu’au cliché.
Son discours est
encombré de poncifs romanesques : « Quand minuit sonnera (...) tu penseras à moi ! ».
Sa vision du couple
est stéréotypée : « Je suis ta servante et ta concubine ! Tu es mon roi, mon idole ! tu es bon ! tu es beau ! tu
es intelli¬gent ! tu es fort ! ».
- On distingue cependant, à travers les différentes questions d’Emma, les marques d’un amour exclusif,
possessif et inquiet, fondé sur la jalousie.
Tout ceci prépare la réflexion du narrateur sur la relation entre sentiments et langage.
• Le détachement de Rodolphe
- Dans la première partie du texte, le personnage se tient constamment en retrait par rapport à Emma.
Il répond par des propos évasifs ou des plaisanteries grossières.
Le récit se charge pourtant de montrer son
incompréhension face aux exigences d’Emma : « Puis elle avait d'étranges idées »
- Le tempérament romanesque de sa maîtresse lui paraît une sorte de folie.
L’obscénité de sa réponse
trahit son refus de prendre en compte les sentiments d’Emma : « Crois - tu m’avoir pris vierge ? ».
En vrai
séducteur libertin, il n’envisage leur relation que sur le plan du corps.
- Son point de vue est développé surtout dans la deuxième partie.
Contrairement à Emma, il garde ses
pensées pour lui.
Ce sont celles d’un blasé : « Emma ressemblait à toutes les maîtresses ».
L’expérience (la «
pratique » de la l.
21) lui donne dans la relation amoureuse un recul que n’a pas Emma.
Mais elle le rend
aussi incapable de renouvellement dans ses passions et de perspicacité dans le domaine des sentiments, ce
qui amène l’intervention du narrateur.
• L’intervention du narrateur
Le procédé est rare chez Flaubert.
Celui-ci se méfie des auteurs trop engagés dans leur œuvre, donnant
leur opinion en toute occasion.
Contrairement à d’autres romanciers (Balzac, Stendhal), il préfère se mettre
en retrait derrière les personnages et effacer sa présence directe dans la fiction.
Sur le plan de la théorie
romanesque, c’est le dogme de l’impersonnalité.
Ici, cette longue intrusion (l.
21-28) n’en prend que plus de poids.
- Cette intervention est d’abord discrète et progressive : aucun « je » n’apparaît dans le texte.
Ce sont
les intonations d’une voix : « Il ne distinguait pas, cet homme si plein de pratique...
».
L’inversion du sujet,
l’emploi du démonstratif désignant Rodolphe, la formulation ironique de l’éloge (« si plein de ») qui suggère.
»
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