Analyse linéaire du poème Le Pain de Ponge
Publié le 06/06/2024
Extrait du document
«
Francis Ponge, Le Parti pris des choses, 1942, « Le pain »
Ce recueil rassemble des textes en décrivant de manière presque scientifique des
objets du quotidien ignorés de la tradition poétique.
Refusant le lyrisme, Ponge
attache cependant la plus grande importance au langage avec lequel il joue de
façon presque humoristique.
Ponge manifeste un véritable intérêt pour le monde
du quotidien mais aussi une volonté de s’affranchir d’une versification classique
et de trouver une expression apte à retrouver le lien entre les mots et les
choses.
Ponge veut renouer le lien entre l’homme et le monde sans céder à la
tentation d’une parole poétique trop emphatique.
Il s’agit d’explorer le monde
réel et d’en exposer les beautés même modestes à travers une écriture poétique
qui s’interrogent sur ses propres moyens.
Problématique : Comment l’écriture poétique métamorphose-t-elle le pain ?
Structure du texte :
Premier paragraphe : analogie pain et montagnes
Deuxième paragraphe : cuisson et formation croûte terrestre
Troisième paragraphe : contraste croûte et mie et analogie avec
végétation
Quatrième paragraphe : fin de la rêverie et consommation du pain.
Le texte suit également une dynamique du grossissement du pain vu par l’œil du
poète presque cinématographique :
Première strophe et deuxième : vue aérienne du pain
Troisième strophe : passage au monde souterrain du pain
Quatrième strophe : retour aux dimensions normale par la remise à
l’échelle avec la bouche
Introduction :
Redécouvrir le familier, explorer ce qu’on croit connaître du quotidien,
voilà ce que Ponge propose dans le recueil Le Parti pris des choses.
Dans chaque
poème, Ponge choisit un objet, cageot, huître, bougie, pain, pour son apparente
banalité et l’évoque de manière novatrice en allant chercher ce qu’on ne voit
plus, par habitude.
Dans le poème en prose « Le pain », Ponge redécouvre l’aliment le plus
simple qui soit, celui qu’on ne voit même plus puisqu’il accompagne tous nos
repas et qui est la nourriture du pauvre tout autant que celle du riche.
[Lecture du texte]
Le pain, dont la symbolique est chargée dans la culture occidentale et judéochrétienne, est vu par Ponge comme un univers à part entière dont le poète
explore d’abord la surface, la croûte, puis le sous-sol, la mie.
Nous nous
demanderons donc comment l’écriture poétique de Ponge métamorphose ici le
pain.
Strophe 1 :
Si le titre du poème ne laissait aucun doute quant au sujet, les premiers
mots du poème le confirment : c’est le pain qui va nous intéresser.
La première strophe va s’arrêter d’abord sur l’aspect extérieur du pain « la
surface du pain » l.1.
L’émerveillement du poète exprimé par l’adjectif
« merveilleuse » l.1.
Dans son sens premier, historique, cet adjectif signifiait
miraculeux, extraordinaire, ainsi, il exprime bien la démarche de Ponge qui veut
amener le lecteur à changer son regard habitué, regard qui ne regarde même
plus cet objet du quotidien.
Le poète invite le lecteur à le reconsidérer et à le
redécouvrir.
Pour cela Ponge métamorphose le pain sous nos yeux en opérant un
changement d’échelle.
En effet, il grossit le pain par un effet de focalisation, (de
zoom) porté sur l’objet qui devient ainsi paysage montagneux sous les yeux du
lecteur.
Il demande en fait au lecteur de faire cette expérience en regardant le
pain, en se rapprochant au plus près de sa croûte.
Cet aspect presque
cinématographique apparait grâce à l’adjectif « panoramique » l.2.
La croûte du pain devient alors croûte terrestre, comme le laissait aussi
entendre le double sens du mot « surface » l.1.
Les aspérités de la croûte se
métamorphosent ainsi en montagnes, avec l’énumération de chaînes des quatre
coins du monde : « Alpes » (Europe), « Taurus » (Turquie), « Cordillère des
Andes » (Amérique du Sud) l.3.
Les majuscules de ces noms miment ellesmêmes sur le papier – comme pour un calligramme – les aspérités de la croûte
du pain.
On doit noter l’antithèse entre « à sa disposition sous la main » l.2 et
l’énumération de ces immenses chaines de montagnes.
En effet, cette antithèse
est significative du changement d’échelle, comme si le lecteur devenait une sorte
de Gulliver redécouvrant et le pain et le monde.
Mais cela permet aussi au poète
de rendre compte de la merveille, qu’il évoquait à la ligne 1 : le poète attire
l’attention du lecteur sur le fait qu’il possède sous la main, une merveille qu’il
compare aux chaines montagneuses.
Strophe 2 :
La strophe 2 élargit la métaphore entre le pain et la planète, l’univers.
Ainsi, la mention d’ « une masse amorphe » l.4, rappelle la terre dans la genèse,
masse informe avant que la main de Dieu ne la façonne.
L’emploi de la forme passive « fut glissé » l.4, sous-entend également
l’intervention d’un être extérieur, le boulanger dans le cas du pain, Dieu si l’on
poursuit la métaphore de l’univers et de la création.
On peut aussi relever « four stellaire » l.5, qui montre le pain dans le four
comme la terre sous la voûte céleste.
Le verbe « éructer » l.4 nous montre cette métamorphose en cours dans le
four et nous fait penser à l’éruption qui façonne la surface du globe.
En même
temps ce verbe « éructer » signifie roter donc il y a là une certaine ironie et un
retour à la réalité du pain.
« Durcissant » l.5 rappelle la cuisson de la croûte et « façonnée » l.5 évoque un
geste....
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