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Analyse du texte poètique

Publié le 26/12/2014

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OUTILS D'ANALYSE : LE TEXTE POETIQUE Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. (A. Rimbaud, Lettre à P. Demeny, 1871) La poésie se fait dans un lit comme l'amour (A. Breton, Sur la route de San Romano, 1948) Le poème peut, puisqu'il est un mode d'apparition du langage et, comme tel, dialogique par essence, être une bouteille à la mer, mise à l'eau dans la croyance - pas toujours forte d'espérance, certes, qu'elle pourrait être en quelque lieu et quelque temps entraînée vers une Terre-C?ur peut-être. Les poèmes sont aussi de cette façon en chemin : ils mettent un cap. (Paul Celan, Discours de Brême, 1958) 1. Qu'entend-on par « poésie » ? La recherche de critères du texte poétique Le mot « poésie » désigne d'abord un art du langage qui vise à la production de « poèmes ». Mais que veut-on dire quand on parle de « poèmes » ? En quoi consiste la nature « poétique » de tels textes ? On proposera ici plusieurs critères dont on verra qu'ils sont à prendre avec précaution : a. Poésie et vers La poésie se manifeste traditionnellement par des contraintes formelles et en particulier la versification : un poème c'est d'abord un texte en vers. Le mot « vers » vient du latin « versus » (du verbe « vertere » : tourner) : sillon, ligne, d'où, « ligne d'écriture » et enfin « ensemble de mots composant l'unité de base d'un poème ». Le vers est soumis à des règles prosodiques (mesure, rime, etc.) et le poème versifié se caractérise donc par le retour régulier de ces unités métriques et sonores. On a longtemps opposé en littérature « poésie » et « prose » (c'est-à-dire tous les textes qui n'étaient pas versifiés).1 Dans le système hérité de l'époque classique et qui reste en gros valable jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, cette opposition comporte une signification hiérarchique : la versification caractérisait les genres littéraires nobles (épopée, tragédie, genres lyriques, etc.) ; en revanche, les ?uvres en prose appartenaient souvent à des genres dits mineurs (comme le roman par exemple).2 Ce critère technique, valable certes jusqu'au début du XIXe siècle, est pourtant contesté dès cette époque où l'on commence à écrire des « poèmes en prose » (voir le paragraphe sur le poème en prose ci-dessous). L'opposition classique entre « prose » et « poésie » s'effondre : dès lors que coexistent des poèmes en vers et en prose, le vers n'est plus un critère suffisant. b. Poésie et lyrisme On associe aussi fréquemment la poésie avec la fonction expressive du langage : à la différence de textes ou de discours qui utilisent le langage comme un moyen de communiquer des informations et du savoir, la poésie serait un art qui vise à exprimer ou suggérer des états affectifs, un art qui s'adresse à la sensibilité et non à l'intellect du lecteur. Il y aurait en ce sens une relation intime entre poésie et lyrisme. C'est ce que semblent confirmer les thèmes et motifs obsédants de la poésie traditionnelle : célébration de la beauté, expression des sentiments amoureux, exaltation de la nature, etc. Tout poème pourrait se lire comme l'élaboration, la traduction, d'une relation lyrique entre le poète et le monde, ou d'une conception lyrique du monde. c. Poésie et image La poésie peut également être définie comme une « langue à images », c'est-à-dire un art qui se sert du langage pour créer des « images ». Quel rapport entretient la poésie avec les « images » ? En première approximation, une « image », production de l'imagination poétique, se distingue du « concept », production de la pensée intellectuelle. L'image poétique crée de nouveaux rapports entre les choses, entre les mots et les choses, entre monde réel et monde imaginaire. Dans un texte célèbre, Baudelaire écrit que l'imagination, la « reine des facultés » a le pouvoir de décomposer le monde pour le recomposer, le recréer, en fonction de ses propres finalités. Toute  « image » procède à une sorte de synthèse poétique de la réalité (externe ou interne) ; procédant par analogie - par comparaison, métaphore, symbole, allégorie, etc. - l'image « donne à voir » (Eluard) le monde, non plus sous l'angle de la pensée analytique mais sous celui de l'imagination. Les images poétiques ne sont pas si éloignées de celles du rêve? Ceci dit, la place et la fonction des images ont beaucoup varié au cours de l'histoire de la littérature. On envisagera ici brièvement que les transformations qui affectent la conception de la poésie française entre le 17e et le 20e siècle. Dans l'Antiquité (Aristote, La Poétique), on a élaboré une conception mimétique de la littérature (théâtre, épopée) qui a pu être appliquée aussi à la poésie. En ce sens, celle-ci viserait à produire une représentation mimétique de la réalité (le monde, la nature, mais aussi la vie intérieure). La formule du poète latin Horace : « ut pictura poesis » (il en est de la poésie comme de la peinture) énonce ce paradigme mimétique de l'art appliqué à la poésie en particulier. Cette vision de la poésie sera encore défendue par les Classiques ; mais elle sera rejetée par les Romantiques (à partir des années 1815-1820) et plus globalement par les Modernes. A l'exigence de « représentation » (soumise aux contraintes classiques), les Romantiques substituent celle d' « expression » et opèrent ainsi un véritable renversement : au lieu que l'expression se soumette aux contraintes formelles traditionnelles, c'est désormais la forme qui va se plier aux besoins expressifs de la langue poétique. De plus, l'image poétique n'est plus considérée comme un outil mimétique mais comme un instrument de transfiguration de la réalité, voire comme un moyen de créer un monde purement poétique, indépendant de la réalité. Chez Baudelaire par exemple, le poème est censé suggérer à travers des images sensibles une réalité spirituelle : le sonnet des Correspondances où Baudelaire met en ?uvre cette théorie préfigure ce qu'on appellera la poésie symboliste (à la fin du XIXe siècle). La « lettre dite du voyant » écrite par Rimbaud en 1870 propose une autre version de ce pouvoir de transfiguration de l'image poétique. Mais avec son recueil des Illuminations, le même Rimbaud conçoit le poème et l'image poétique comme un objet auto-référentiel : le monde poétique qu'il décrit ne renvoie à aucune réalité que celle du poème.  Le mouvement surréaliste (qui nait en 1924) accorde également une grande importance à cette fonction de l'image poétique. Dans la préface de son recueil Signe Ascendant (dont le titre annonce le programme poétique du poète), A. Breton, le fondateur du mouvement, définit ainsi l'image poétique : L'analogie poétique a ceci de commun avec l'analogie mystique qu'elle transgresse les lois de la déduction pour faire appréhender à l'esprit l'interdépendance de deux objets de pensée situés sur des plans différents, entre lesquels le fonctionnement logique de l'esprit n'est apte à jeter aucun pont et s'oppose a priori à ce que toute espèce de pont soir jeté. (?) Au terme actuel des recherches poétiques il ne saurait être fait grand état de la distinction purement formelle qui a pu être établie entre la métaphore et la comparaison. Il reste que l'une et l'autre constituent le véhicule interchangeable de la pensée analogique et que si la première offre des ressources de fulgurance, la seconde présente de considérables avantages de suspension. (?) On se souvient qu'il y a trente ans, Pierre Reverdy, penché le premier sur la source de l'image, a été amené à formuler cette loi capitale : « Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l'image sera forte - plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique ».3 Si Breton reprend à Reverdy sa théorie du « compas ouvert » (l'image rapprochant des mots ou réalités éloignées), il lui ajoute l'exigence du « signe ascendant », c'est-à-dire que l'image est censée être orientée vers un niveau d'existence supérieure, vers la vie, vers ce qu'il appelle le « surréel ». d. Poésie et usage du langage Enfin, on peut définir la poésie par l'usage qu'elle fait du langage et l'opposer à notre usage courant, pragmatique, du langage. Dans l'usage courant, si je parle d' « arbres », c'est pour transmettre à mon destinataire le sens de ce mot (pour désigner des arbres, les décrire, etc.). Ni mon destinataire ni moi-m...

« c.

Poésie et image La poésie peut également être définie comme une « langue à images », c’est-à-dire un art qui se sert du langage pour créer des « images » .

Quel rapport entretient la poésie avec les « images » ? En première approximation, une « image », production de l’imagination poétique, se distingue du « concept », production de la pensée intellectuelle.

L’image poétique crée de nouveaux rapports entre les choses, entre les mots et les choses, entre monde réel et monde imaginaire.

Dans un texte célèbre, Baudelaire écrit que l’imagination, la « reine des facultés » a le pouvoir de décomposer le monde pour le recomposer, le recréer, en fonction de ses propres finalités.

Toute « image » procède à une sorte de synthèse poétique de la réalité (externe ou interne) ; procédant par analogie – par comparaison, métaphore, symbole, allégorie, etc.

– l’image « donne à voir » (Eluard) le monde, non plus sous l’angle de la pensée analytique mais sous celui de l’imagination.

Les images poétiques ne sont pas si éloignées de celles du rêve… Ceci dit, la place et la fonction des images ont beaucoup varié au cours de l’histoire de la littérature.

On envisagera ici brièvement que les transformations qui affectent la conception de la poésie française entre le 17 e et le 20 e siècle. Dans l’Antiquité (Aristote, La Poétique ), on a élaboré une conception mimétique de la littérature (théâtre, épopée) qui a pu être appliquée aussi à la poésie.

En ce sens, celle-ci viserait à produire une représentation mimétique de la réalité (le monde, la nature, mais aussi la vie intérieure).

La formule du poète latin Horace : « ut pictura poesis » (il en est de la poésie comme de la peinture) énonce ce paradigme mimétique de l’art appliqué à la poésie en particulier.

Cette vision de la poésie sera encore défendue par les Classiques ; mais elle sera rejetée par les Romantiques (à partir des années 1815-1820) et plus globalement par les Modernes.

A l’exigence de « représentation » (soumise aux contraintes classiques), les Romantiques substituent celle d’ « expression » et opèrent ainsi un véritable renversement : au lieu que l’expression se soumette aux contraintes formelles traditionnelles, c’est désormais la forme qui va se plier aux besoins expressifs de la langue poétique.

De plus, l’image poétique n’est plus considérée comme un outil mimétique mais comme un instrument de transfiguration de la réalité, voire comme un moyen de créer un monde purement poétique, indépendant de la réalité.

Chez Baudelaire par exemple, le poème est censé suggérer à travers des images sensibles une réalité spirituelle : le sonnet des Correspondances où Baudelaire met en œuvre cette théorie préfigure ce qu’on appellera la poésie symboliste (à la fin du XIXe siècle).

La « lettre dite du voyant » écrite par Rimbaud en 1870 propose une autre version de ce pouvoir de transfiguration de l’image poétique.

Mais avec son recueil des Illuminations , le même Rimbaud conçoit le poème et l’image poétique comme un objet auto-référentiel : le monde poétique qu’il décrit ne renvoie à aucune réalité que celle du poème.

Le mouvement surréaliste (qui nait en 1924) accorde également une grande importance à cette fonction de l’image poétique.

Dans la préface de son recueil Signe Ascendant (dont le titre annonce le programme poétique du poète), A.

Breton, le fondateur du mouvement, définit ainsi l’image poétique : L’analogie poétique a ceci de commun avec l’analogie mystique qu’elle transgresse les lois de la déduction pour faire appréhender à l’esprit l’interdépendance de deux objets de pensée situés sur des plans différents, entre lesquels le fonctionnement logique de l’esprit n’est apte à jeter aucun pont et s’oppose a priori à ce que toute espèce de pont soir jeté.

(…) Au terme actuel des recherches poétiques il ne saurait être fait grand état de la distinction purement formelle qui a pu être établie entre la métaphore et la comparaison.

Il reste que l’une et l’autre constituent le véhicule interchangeable de la pensée analogique et que si la première offre des ressources de fulgurance, la seconde présente de considérables avantages de suspension.

(…) On se souvient qu’il y a trente ans, Pierre Reverdy, penché le premier sur la source de l’image, a été amené à formuler cette loi capitale : « Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte – plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique » .

3 Si Breton reprend à Reverdy sa théorie du « compas ouvert » (l’image rapprochant des 3 André Breton, Signe ascendant , 1949, p.

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