Allégorie de PAUL VERLAINE (Jadis et naguère) Commentaire
Publié le 12/02/2012
Extrait du document
Allégorie
Despotique, pesant, incolore, l'Eté,
Comme un roi fainéant présidant un supplice,
S'étire par l'ardeur blanche du ciel complice
Et bâille. L'homme dort loin du travail quitté.
L'alouette au matin, lasse, n'a pas chanté,
Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse
Ou ride cet azur implacablement lisse
Où le silence bout dans l'immobilité.
L'âpre engourdissement a gagné les cigales
Et sur leur lit étroit de pierres inégales
Les ruisseaux à moitié taris ne sautent plus.
Une rotation incessante de moires
Lumineuses étend ses flux et ses reflux...
Des guêpes, çà et là, volent, jaunes et noires.
Une allégorie, c'est une comparaison, une métaphore prolongée; toute allégorie suppose deux termes, une correspondance entre deux objets, d'ordinaire l'un matériel, l'autre spirituel. La plus célèbre de toutes, la parabole du Bon Pasteur, comporte ce double élément. Elle nous conduit d'un signe extérieur, d'un symbole, à une réalité invisible qu'elle rend pour ainsi dire palpable. Pour les siècles, Jésus-Christ est le Bon Pasteur. Chacun des traits de la fiction évangélique, dont les auditeurs du divin Maître avaient sous les yeux ou dans la mémoire l'image vivante : pâtre, mercenaire, troupeaux, brebis, agneaux, bergerie, porte, loup, etc ... a une contre-partie aisée à découvrir. Ils démontrent la bonté, la sollicitude, la généreuse abnégation du divin Maître.
«
ment nuancees...
et tout cela s'envole dans un rythme melodieux qui est une
caresse pour l'oreille et donne l'impression de quelque chose de mysterieux
et de lointain 3.
Etudions une a une les sensations accumulees dans ce sonnet, encore par-
nassien par maints cotes, et nous serons amenes a adopter ce jugement d'un
de nos critiques les plus qualifies en la matiere.
La premiere, la plus generale, la plus forte, la plus nuancee, &horde sur
toutes les autres, et les « informe 3 pour ainsi dire.
C'est celle qu'eprouvent
le corps et l'ame, quand sevit sur eux Fete a son paroxysme Elle est traduite
d'abord par trois epithetes : despotique, pesant, incolore, puis par une
comparaison : celle du rot faineant.
Dans l'esprit du poke, l'image a certaine-
ment precede les adjectifs.
Tons trois conviennent, en effet, an monarque
presidant an supplice.
II regne.
Rappelons -nous « Midi, roi des etes.
3 Et it
s'impose, it est implacable : c'est un despote; sa vie de paresse l'a rendu
obese et lourdi son intelligence, enfouie dans la graisse, a fait de lui un
personnage insignifiant, incolore.
Voila l'une de ces « correspondances »
signalees par M.
Canat.
La nature estivale est definie par une comparaison
empruntee a la socike humaine, a l'histoire.
Est-elle assez poussee pour qu'on la puisse baptiser « allegorie » ? Nous le pensons d'autant moins que la suite,
apres s'etire et bailie n'a plus qu'un vague rapport avec le « roi fainéant 3.
Plus exactement encore qu'a dui, les epithetes du premier vers s'appliquent
Pete.
«Des hauteurs du ciel bleu », it paralt bien regner, invisible mais omni-
present, sur la terre embrasee, sur a tout ce qui vit et tout ce qui respire
A la .maniere des tyrans orientaux, it se plait a torturer ses sujets : les
bride, it les tourmente par la soif et, impassible, « preside au supplice ».
It
pese sur eux, it les ecrase; chacun s'en va repetant: « Comore it fait lourd! »
Incolore surprend quelque peu; mais s'explique bientot par l'expression
Pardeur blanche.
Le blanc n'est pas une couleur a proprement parler; la
lumiere blanche est la synthese des sept couleurs fondamentales 1.
Et
voila une «notation subtile » et juste.
- Par l'ardeur est une tournure inu-
sitee, mais analogue a « par le vent, par la pluie, par temps chaud 3.
La
Nature entiere somnole, est alanguie, semble avoir perdu toute force, toute
activite; les verbes s'etire...
et bdille s'adressent done a elle pint& qu'a Fete.
L'exegese biblique nous apprend que Pon ne doit pas serrer de trop pres
les termes de la comparaison dans les allegories : c'est le cas ici pour celle
de Verlaine.
- Ce besoin de sommeil, l'homme reprouve autant que la
plante et l'animal; it abandonne son travail et s'en va dormir it fait in
sieste.
Avec le deuxieme quatrain s'estompe l'image initiale du a roi fainéant »;
ce ne sont plus, jusqu'a la fin, que sensations eparses.
Chacune reveille en
notre imagination un souvenir, in tableau que nous avons eu sous nos yeux,
une impression que nous avions eprouvee sans nous en Bien rendre compte;
toutes confirment et renforcent la premiere.
L'alouette est l'oiseau qui chante sans arret, qui lance ses trilles a tons les
vents en montant par saccades dans l'azur.
Qu'elle soit fatiguee de ces ascen-
sions et descentes perpetuelles quand vient le soir, et qu'alors elle se taise,
rien a cela de surprenant; mais rete exerce sur la gent volatile comme sur
l'homme son tyrannique empire, et c'est maintenant des le matin qu'elle se
sent lasse et qu'elle renonce a sa chanson.
Un nuage pourrait faire esperer la pluie, apres laquelle toute la nature
soupire; pas un ne se montre a l'horizon ! La brise la plus legere rafraichirait
l'air, attenuerait cette «ardeur» lourde; pas un souffle! Rien, dans l'azur profond, qui indique un mouvement ou fasse pressentir un changement
quelconque.
Les pits, les rides de l'air bleu, ne sont-ce point ces longues
bandes paralleles, regulieres comme les plis et les rides d'une robe, annon- ciatrices d'une perturbation atmospherique, les « stratus »qui evoluent
insensiblement dans les couches les plus hautes de l'ocean gazeux? Le verbe
rider nous rappelle les vers de La Fontaine :
Le moinde vent qui, d'auenture,
Fait rider la face de l'eau.
Deja, nous avons pencil, dans tons ces details, les sensations d'immobilite,
1.
Cette sensation de blancheur, Leconte de Lisle l'a rendue dans Midi : Tombe en nappe d'argent des hauteurs du ciel bleu.
ment n~ancées ...
et tout cela ·s'envole dans un rythme mélodieux qui.
est une caresse pou!' l'oreille et donne l'impressio.n de quelque chose de mystérieux et de lmntam ».
· · .
·•.
Etudions une à une les sensations 'accumulées dans èè sonnèt, -encore par- ..
nassien par maints côtés, et nous serons amenés à adopter ce jugement d'un de nos critiques les plus qualifiés en la matière.
La preJDière, la plus générale, la plus forte, la plus nuancée, déborde sur toutes les autres, et les « informe » pour ainsi dire.
C'est celle qu'éprouvent le corps et l'âme, quand sévit sur eux l'été à son paroxysme Elle est traduite d'abord par trois épithètes : despotique, pesant,.
incolore, puis par une comparaison : celle du roi fainéant.
Dans l'esJ?ril du poète, l'image a certaine mènt précédé les adjectifs.
Tous trois conviennent, en effet, au monarque présidant au supplice.
II règne.
Rappelons ...
nous « Midi, roi des étés.
» Et il s'impose, il est implacable : c'est un despote; sa vie de paresse l'a rendu obèse et lourd;· son intelligence, enfouie dans la graisse, a fait de lui un personnage insignifiant, incolore.
Voilà l'une de ces «correspondances» signalées par M.
Canat.
La nature estivale est définie par une comparaison empruntée à la société humaine, à l'histoire.
Est-.elle assez poussée pour qu'on la puisse baptiser « allégorie » 'l Nous le pensons d'autant moins que la suite, après s'étire et Mille n'a plus qu'un vague rapport avec le «roi fainéant»· Plus exactement encore qu'à lui, les épithètes du premier vers s'appliquent à l'été.
«Des hauteurs du ciel bleu», il parait bien régner, invisible mais omni présent, sur la terre.
embrasée, sur « tout ce 'F.Ï vit et tout ce qui respire ; .
A la manière des tyrans orientaux, il se pla1t à torturer ses sujets : il les brûle, il les tourmente par la soif et, impassible, « préside au supplice ».
Il pèse sur eux, il les écrase; chacun s'en va répétant: «Comme il fait lourd!» Incolore surprend quelque peu; mais s'explique bientôt par l'expression l'ardeur blanche.
Le blanc n'est pas une couleur à proprement parler; la lumière blanche est la synthèse des sept couleurs fondamentales 1.
Et voilà une «notation subtile» et juste.- Par l'ardeur est une tournure inu sitée, mais analogue à « par le vent, par la pluie, par temps chaud ».
La Nature entière somnole, est alanguie, semble avoir perdu toute force, toute activité; les verbes s'étire ...
et Mille s'adressent donc à elle plutôt qu'à l'été.
L'exégèse biblique nous apprend que l'on ne doit pas serrer de trop près les termes de la comparaison dans les allé~ories : c'est le cas ici pour celle de Verlaine.
-Ce besoin de sommeil, lhomme l'éprouve autant que la plante· et l'animal; il abandonne son travail et s'en va dormir : il fait la sieste.
Avec le deuxième quatrain s'estompe l'image initiale du «roi fainéant»; ce ne sont plus, jusqu'à la fin, que sensations éparses.
Chacune réveille en notre imagination un souvenir, un tableau que nous avons eu sous nos yeux, ùne impression que nous avions éprouvée sans nous en bien rendre compte; toutes confirment et renforcent la première.
· L'alouette est l'oiseau qui chante sans arrêt, qui lance ses trilles à ·tous les vents en montant par saccades dans l'azur, Qu'elle soit fatiguée de ces ascen sions et descentes perpétuelles quand vient le soir, et qu'alors elle se taise, rien à cela de surprenant; mais l'été exerce sur la gent volatile comme sur l'homme son tyrannique empire, et c'est maintenant dès le matin qu'elle se sent lasse et qu'elle renonce à sa chanson.
Un nuage pourrait faire espérér la ·pluie, après laquelle toute la nature soupire; pas un ne se montre à l'horizon! La brise la plus légère rafraîchirait l'air, atténuerait cette «ardeur :.·lourde; pas un souffle/ Rien, dans l'azur profond, qui indique un mouvement ou fasse pressentir un changement quelconque.
Les pTis, les rides de l'air bleu, ne sont-ce point ces longues bandes parallèles, régulières comme les plis et les rides d'une robe, annon~ ciatrices d'une perturbation atmosphérique, les « stratus » qui évoluent insensiblement dans les couches les plus hautes de l'océan gazeux? Le verbe rider nous rappelle les vers de La Fontaine :
Le moinde vent qui, d'aventure, Fait rider la face de l'eau.
Déjà, nous avons perçu, dans tous c·es détails, les sensations d'immobilité,
1.
Cette sensation de blancheur, Leconte de Lisle l'a rendue !lans Midi: Tombe en nappe d'argent des hauteurs du ciel bleu.
_______ ..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Allégorie - Paul Verlaine, Jadis et Naguère
- JADIS ET NAGUÈRE de Paul Verlaine (résumé & analyse)
- Jadis et Naguère [Paul Verlaine] - Fiche de lecture.
- Jadis et Naguère [Paul Verlaine] - fiche de lecture.
- Paul Verlaine (Jadis et naguère): « Pierrot »