Alfred de Vigny a écrit (Journal d'un Poète) : « Les animaux lâches vont en troupes. — Le Lion marche seul dans le désert. Qu'ainsi marche toujours le Poète. » Qu'y a-t-il de romantique dans cette conception ? Quelle place tient-elle dans l'oeuvre de Vigny ? Qu'est-ce qui,dans cette oeuvre, corrige et atténue l'orgueilleuse dureté de cette idée ?
Publié le 17/02/2012
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La Fontaine compare l'homme aux bêtes; nul ne songe à s'en froisser. On sourit, on admire; on accepte la leçon du malicieux bonhomme. Vigny prétend nous mettre à l'école de ses « sublimes animaux «. J'ignore quel effet produisent leurs leçons sur mes semblables, mais je sais qu'elles ont le don de m'irriter. J'admire... parfois; je regimbe toujours. Non, je n'irai pas apprendre du loup l'art de bien mourir. Et si, sur les chemins battus oii je marche humblement auprès de mes frères en Adam, j'avais la bonne fortune de rencontrer un poète qui, prenant au sérieux lè conseil de Vigny, faisait mine de s'enfuir au désert, je ...
«
orgueil, contemple avec pitie, avec mepris, les pygmees qui s'agitent sur
la scene de ce monde.
La premiere des Meditations de Lamartine s'appelle llsolement.
Il y benit
la a solitude si chere », douce aux curs endoloris.
Il aime les hommes, leur vent du bien, mais it ne se male pas a eux, it ne s'infeode a aucun
parti; depute, it « siege au plafond ».
Olympio-Hugo est, lui aussi, en vers tout au moires, l'amant de la soli-
tude; combien de fois ce mot, ou l'adjectif solitaire, reviennent dans ses rimes! Solitude des Bois, oii it parle aux arbres :
Arbres de la foret, vows connaissez mon eanel
Solitude de l'Ocean, avec lequel it se plait aussi a dialoguer.
Solitude de la
montagne, a laquelle, modestement, it se compare.
Et que de fois n'a-t-il
pas evoque dans son oeuvre la fiere et redoutable solitude du lion! Le roi des
animaux est eminemment romantique.
Musset, qui n'aspira jamais a gouverner le monde, ne s'affuble pas de
la peau du lion et ne se donne pas des airs terribles.
Mais son pelican,
solitaire et sublime, qui nourrit ses petits du sang de son cceur, n'est-ce pas
encore le Poete qui vole, s'il ne marche plus, « dans le desert » ?...
Le romantisme etranger pourrait renforcer ces exemples par de nom-
breux autres.
N'en citons qu'un, emprunte a Schiller.
Des 1804, c'est-A-dire
bien avant nos romantiques, le grand dramaturge mettait cette maxime sur
les levres de son heros, Guillaume Tell :
Der Starke ist am mtichtigsten allein.
C'est quand it est seul que le fort est le plus fort.
Vigny, en ecrivant dans son Journal la pensee qui nous occupe, s'en est
peut-etre souvenu; en tout cas, it y fait preuve du romantisme le plus
authentique.
***
Ce pessimisme orgueilleux, ce mepris hautain de in foule, cette admira-
tion pour le genie solitaire, se retrouvent, comme un a leit motiv », dans
toute l'ceuvre d'Alfred de Vigny, depuis Molse, poeme de jeunesse, jusqu'aux vers blasphematoires qu'il ajouta, quelques mois avant de mourir, an Mont
des Oliviers.
Son oeuvre, d'ailleurs, est le plus souvent recho de sa vie, de
ses experiences malheureuses.
Fier de porter un nom qu'il estime grand, it n'a pas la fortune qui lui
permettrait de soutenir ses pretentious.
Soldat, it n'a pas l'occasion de se signaler.
Marie, it est afflige par la sante deplorable de sa femme.
Lie
d'amitie avec Victor Hugo, it se voit dans la triste necessite de rompre avec le compagnon des premieres luttes.
Comme Chateaubriand, Lamar-
tine, Hugo, it voudrait jouer un role politique : le peuple souverain accorde
dix voix a ce candidat trop aristocrate a son gout.
Poete-philosophe, it sou-
tient des theses qu'il estime justes et opportunes; Chatterton ne convertit
personne et 1'Etat fait la sourde oreille.
Il revait d'avoir des disciples, mar-
chant a la lumiere de ses doctrines; sa morgue, son air distant les effa-
rouche, ils restent a recart : on l'admire de loin, on ne vient a lui que sur
le tard...
trop tard! 11 ne suffit pas, pour conquerir la jeunesse, de lui lancer du haut d'une « tour d'ivoire », de poetiques appels; it faut, sous peine de
ne la pas comprendre et de n'en etre pas compris, se meler a elle, slut& resser effectivement A sa vie, a ses raves.
Molse, le chef, le voyant, qui inspire autour de lui une admiration et
orgueil, contemple avec pitié, avec mépris, les pygmées qui s'agitent sur
la scène de ce monde.
La première des Méditations de Lamartine s'appelle l'Isolement. Il y bénit
la « solitude si chère », douce aux cœurs endoloris. Il aime les hommes,
leur veut du bien, mais il ne se mêle pas à eux, il ne s'inféode à aucun
parti; député, il «siège au plafond».
Olympio-Hugo est, lui aussi, en vers tout au moins, l'amant de la soli
tude; combien
de fois ce mot, ou l'adjectif solitaire, reviennent dans ses
rimes! Solitude des bois, où il parle aux arbres :
Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
Solitude de l'Océan, avec lequel il se plaît aussi à dialoguer.
Solitude de la
montagne, à laquelle, modestement, il se compare. Et que de fois n'a-t-il
pas
évoqué dans son œuvre la fière et redoutable solitude du lion! Le roi des
animaux est éminemment romantique.
Musset,
qui n'aspira jamais à gouverner le monde, ne s'affuble pas de
la peau du lion et ne se donne pas des airs terribles.
Mais son pélican,
solitaire et sublime, qui nourrit ses petits du sang de son cœur, n'est-ce pas
encore le Poète qui vole, s'il ne marche plus, « dans le désert » ?...
Le romantisme étranger pourrait renforcer ces exemples par de nom
breux autres.
N'en citons qu'un, emprunté à Schiller. Dès 1804, c'est-à-dire
bien avant nos romantiques, le grand dramaturge mettait cette maxime sur
les lèvres de son héros, Guillaume Tell :
Der Starke ist am mächtigsten allein.
C'est quand il est seul que le fort est le plus fort.
Vigny, en écrivant dans son Journal la pensée qui nous occupe, s'en est
peut-être
souvenu; en tout cas, il y fait preuve du romantisme le plus
authentique.
*
Ce pessimisme orgueilleux, ce mépris hautain de la foule, cette admira
tion pour
le génie solitaire, se retrouvent, comme un « leit motiv », dans
toute l'œuvre d'Alfred de Vigny, depuis Moïse, poème de jeunesse, jusqu'aux
vers blasphématoires qu'il ajouta, quelques mois avant de mourir, au Mont
des Oliviers. Son œuvre, d'ailleurs, est le plus souvent l'écho de sa vie, de
ses expériences malheureuses.
Fier de porter un nom qu'il estime grand, il n'a pas la fortune qui lui
permettrait de soutenir ses prétentions. Soldat, il n'a pas l'occasion de se
signaler. Marié, il est affligé par la santé déplorable de sa femme. Lié
d'amitié
avec Victor Hugo, il se voit dans la triste nécessité de rompre
avec
le compagnon des premières luttes.
Comme Chateaubriand, Lamar
tine, Hugo, il voudrait jouer un rôle politique : le peuple souverain accorde
dix voix
à ce candidat trop aristocrate à son goût.
Poète-philosophe, il sou
tient
des thèses qu'il estime justes et opportunes; Chatterton ne convertit
personne
et l'Etat fait la sourde oreille. Il rêvait d'avoir des disciples, mar
chant à la lumière de ses doctrines; sa morgue, son air distant les effa
rouche, ils restent à l'écart : on l'admire de loin, on ne vient à lui que sur
le tard...
trop tard! Il ne suffit pas, pour conquérir la jeunesse, de lui lancer
du haut d'une «tour d'ivoire», de poétiques appels; il faut, sous peine de
ne la pas comprendre et de n'en être pas compris, se mêler à elle, s'inté
resser effectivement à sa vie, à ses rêves.
Moïse, le chef, le voyant, qui inspire autour de lui une admiration et.
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