Alfred de Musset. Premières poésies. Les Secrètes pensées de Rafael. GENTILHOMME FRANCAIS. FRAGMENT. COMMENTAIRE
Publié le 17/02/2012
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Salut, jeunes champions d'une cause un peu vieille, Classiques bien rasés, à la face vermeille, Romantiques barbus, aux visages blêmis! Vous qui des Grecs défunts balayez le rivage, Ou d'un poignard sanglant fouillez le moyen âge, Salut! - J'ai combattu dans vos camps ennemis. Par cent coups meurtriers devenu respectable, Vétéran, je m'assois sur mon tambour crevé. Racine, rencontrant Shakspeare sur ma table, S'endort près de Boileau qui leur a pardonné.
Expliquez ces vers à votre guise.
Au sortir du collège, où un peu malgré lui il s'est vu enrôler dans les rangs des classiques, Musset, ébloui par l'éclat du « Cénacle «, s'y est précipité, comme le papillon vers la lumière. Sa muse adolescente s'est accordée aux lyres de l' « Arsenal «. Mais le moyen de retenir dans « la boutique romantique«, cet être volage et capricieux ! A peine se sont éteints les derniers sons du cor d'Hernani (2), qu'il s'évade, avec force gambades et pieds de nez. En fait de prison, il ne connaîtra jamais que l' « hôtel des haricots « !...
«
tenir.
Point donc n'est besoin pour justifier le mot « jeunes ), appliqué
aux classiques, de recourir a de trop ingenieuses hypotheses.
M.
Roustan
pretend, par exemple, que les classiques rases et vermeilles avaient l'air
de vieux enfants ) (?)...
L'adjectif vieille, qualifiant a la fois les deux causes, a de quoi sur-
prendre davantage.
II s'explique pourtant sans trop de peine.
Aucune dif-
ficulte pour la cause classique; c'est, par definition, celle des « anciens ),
sacro-saints, maitres et modeles hors desquels it n'est point de salut.
Le
romantisme est, lui, chose recente; it date de quarante ans environ
l'etranger, de trente au plus en France, si on le fait remonter a M`"" de
Stael.
Mais que l'on se souvienne combien les chefs du mouvement tenaient
A plonger leurs racines dans un lointain passé.
Baour-Lormian leur repro-
chait ironiquement de ne dater que de Chenier, tandis que les classiques
se pouvaient recommander d'Homere.
Its entendaient bien remonter au
moms jusqu'A Ronsard, en qui Sainte-Beuve salue nn ancetre authentique.
Le « cenacle » croit continuer la « Pleiade ) ! Its se mettaient sous le patro-
nage de Shakespeare qui, aux yeux d'un jeune homme de vingt ans, faisait,
lui aussi, figure de piece de musee, comme le « vieux Corneille ), dont it
etait - sans le savoir - le contemporain.
Classiques bien rases a la face vermeille,
Romantiques barbas aux visages blemis,
sont la devant nous, &vogues en quatre coups de crayon.
Nous revoyons
certaine caricature de ce temps-la, representant un « Jenne France ), retour
du combat d'Hernani, discutant avec un classique.
Le premier porte un vetement archaique, genre Henri III, dont le ridicule
a ete accentue par le dessinateur : hauts de chausses collants, probablement
jaune soufre, et souliers a la poulaine; pourpoint a manches en gigots, noir
ou rouge sombre; gilet largement ouvert, couleur fleur de pensee, dont un
seul bouton est attaché, laissant voir un enorme plastron plissé, sur lequel
pend une chaine; fraise tuyautee qui emprisonne le cou comme un carcan;
chef surmonte d'un chapeau pointu qui n'a rien de commun avec les feu-
tres mous ou les berets basques, coiffures preferees des jeunes romantiques.
Visage crispe, amer, rageur, menacants, geste de la main droite, ra-
menee a la hauteur du menton, confirment la legende placee au has de
l'image : « Ce polisson de Racine!...
Si j'avais vecu de son temps, nous
nous serions mesures l'epee a la main! ) La main gauche, appuyee stir la hanche, tient la dite epee, si fine qu'on la pourrait prendre pour une badine.
L'autre, les mains dans les poches, regarde paisiblement, ironiquement
son adversaire, avec la mine d'un homme qui, ami de la tragedie raci-
nienne, ne prend rien au tragique.
Tandis qu'une barbe noire adorne le
menton de l'homme au pourpotnt, « pale, livide, verdatre, un peu cadave-
reux ), le bourgeois glabre offre une face rebondie, respirant une robuste
sante.
Celui-ci ne prend certainement point ses repas avec ces Jeunes-
France fameliques qui mangeaient, apres la soupe servie dans le crane de
leur grand'inere, des e aliments communs », sur une «table brute ), avec,
pour cuiller et fourchette « le tibia d'un ami » et « pour couteau un poi-
gnard ).
Jamais les discussions litteraires ne feront passer sur son front
serein, sur sa face vermeille, les nuages et les ombres qui ne quittent guere
le visage romantique.
Sa mise cossue, a la mode du temps jusqu'en ses
moindres details...
jusqu'aux sous-pieds qui tendent le pantalon demi-col-
lant, jusqu'aux amples revers et au large col en velours de la redingote-
pardessus, jusqu'au linge immacule qui bouffe hors du gilet sombre, sa
mise est en complete harmonie avec ses admirations et ses theories.
Tout
est chez lui raison, equilibre, joie calme et sante parfaite...
Mais pourquoi aller chercher ailleurs ce que Musset se charge a lui seul
d'illustrer? Qui donc ne Fa admire, habille en page, tel que le represente
le crayon de Deveria? Et qui donc n'a eu sous les yeux le dandy desinvolte
croque ) par Gavarni ou Gautier? Settlement le page romantique n'a pas
encore de barbe, et l'evade du romantisme porte un « bouc » qu'il gardera
jusqu'a sa mort!...
Comme quoi it fut toujours lui-meme!...
Vous qui des Grecs defunts balagez le rivage,
Ou d'un poignard sanglant fouillez le mogen age,
Salut!
Des hommes, nous passons aux oeuvres.
Deux vers!...
C'est peu; c'est
suffisant.
Dans la Preface de Cromwell, Hugo preconisait le caracteristique;
Musset a halite cette ecole, et it se montre ici eleve intelligent.
En quelques
tenir. Point donc n'est besoin pour justifier le mot « jeunes », appliqué aux classiques, de recourir à de trop ingénieuses hypothèses.
M. Roustan prétend, par exemple, que les classiques rasés et vermeilles avaient l'air de « vieux enfants » (?)...
L'adjectif vieille, qualifiant à la fois les deux causes, a de quoi sur prendre davantage. Il s'explique pourtant sans trop de peine.
Aucune dif ficulté pour la cause classique ; c'est, par définition, celle des « anciens », sacro-saints, maîtres et modèles hors desquels il n'est point de salut. Le romantisme est, lui, chose récente; il date de quarante ans environ à
l'étranger, de trente au plus en France, si on le fait remonter à Mme de
Staël. Mais que l'on se souvienne combien les chefs du mouvement tenaient à plonger leurs racines dans un lointain passé. Baour-Lormian leur repro chait ironiquement de ne dater que de Chénier, tandis que les classiques
se pouvaient recommander d'Homère.
Ils entendaient bien remonter au moins jusqu'à Ronsard, en qui Sainte-Beuve salue un ancêtre authentique.
Le « cénacle » croit continuer la « Pléiade » ! Ils se mettaient sous le patro
nage de Shakespeare qui, aux yeux d'un jeune homme de vingt ans, faisait, lui aussi, figure de pièce de musée, comme le «vieux Corneille», dont il
était — sans le savoir — le contemporain.
Classiques bien rasés à la face vermeille,
Romantiques barbus aux visages blêmis, sont là devant nous, évoqués en quatre coups de crayon.
Nous revoyons certaine caricature de ce temps-là, représentant un « Jeune France », retour du combat d'Hernani, discutant avec un classique.
Le premier porte un vêtement archaïque, genre Henri III, dont le ridicule a été accentué par le dessinateur : hauts dé chausses collants, probablement jaune soufre, et souliers à la poulaine; pourpoint à manches en gigots, noir
ou rouge sombre; gilet largement ouvert, couleur fleur de pensée, dont un seul bouton est attaché, laissant voir un énorme plastron plissé, sur lequel
pend une chaîne; fraise tuyautée qui emprisonne le cou comme un carcan; chef surmonté d'un chapeau pointu qui n'a rien de commun avec les feu tres mous ou les bérets basques, coiffures préférées des jeunes romantiques.
Visage crispé, amer, rageur, yeux menaçants, geste de la main droite, ra
menée à la hauteur du menton, confirment la légende placée au bas de l'image: «Ce polisson de Racine!... Si j'avais vécu de son temps, nous
nous serions mesurés l'épée à la main! » La main gauche, appuyée sur la hanche, tient la dite épée, si fine qu'on la pourrait prendre pour une badine.
L'autre, les mains dans les poches, regarde paisiblement, ironiquement
son adversaire, avec la mine d'un homme qui, ami de la tragédie raci- nienne, ne prend rien au tragique.
Tandis qu'une barbe noire adorne le menton de l'homme au pourpoint, «pâle, livide, verdâtre, un peu cadavé reux », le bourgeois glabre offre une face rebondie, respirant une robuste santé. Celui-ci ne prend certainement point ses repas avec ces Jeunes- France faméliques qui mangeaient, après la soupe servie dans le crâne de leur grand'mère, des «aliments communs», sur une «table brute», avec,
pour cuiller et fourchette «le tibia d'un ami» et «pour couteau un poi gnard». Jamais les discussions littéraires ne feront passer sur son front serein, sur sa face vermeille, les nuages et les ombres qui ne quittent guère le visage romantique. Sa mise cossue, à la mode du temps jusqu'en ses.
moindres détails... jusqu'aux sous-pieds qui tendent le pantalon demi-col lant, jusqu'aux amples revers et au large col en velours de la redingote- pardessus, jusqu'au linge immaculé qui bouffe hors du gilet sombre, sa mise est en complète harmonie avec ses admirations et ses théories. Tout
est chez lui raison, équilibre, joie calme et santé parfaite...
Mais pourquoi aller chercher ailleurs
ce que Musset se charge à lui seul d'illustrer? Qui donc ne l'a admiré, habillé en page, tel que le représente le crayon de Devéria? Et qui donc n'a eu sous les yeux le dandy désinvolte
« croqué » par Gavarni ou Gautier? Seulement le page romantique n'a pas encore de barbe, et l'évadé du romantisme porte un « bouc » qu'il gardera jusqu'à sa mort!...
Comme quoi il fut toujours lui-même!...
Vous qui des Grecs défunts balayez le rivage,
Ou d'un poignard sanglant fouillez le moyen âqe, Salut! Des hommes, nous passons aux œuvres. Deux vers!...
C'est peu; c'est suffisant. Dans la Préface de Cromwell, Hugo préconisait le caractéristique; Musset a hante cette école, et il se montre ici élève intelligent. En quelques.
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