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Albert CAMUS, La mort heureuse.

Publié le 10/03/2011

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« Il lui fallait maintenant s'enfoncer dans la mer chaude, se perdre pour se retrouver, nager dans la lune et la tiédeur pour que se taise ce qui en lui restait du passé et que naisse le chant profond de son bonheur. Il se dévêtit, descendit quelques rochers et entra dans la mer. Elle était chaude comme un corps, fuyait le long de son bras, et se collait à ses jambes d'une étreinte insaisissable et toujours présente. Lui, nageait régulièrement et sentait les muscles de son dos rythmer son mouvement. À chaque fois qu'il levait un bras, il lançait sur la mer immense des gouttes d'argent en volées, figurant, devant le ciel muet et vivant, les semailles splendides d'une moisson de bonheur. Puis le bras replongeait et, comme un soc vigoureux, labourait, fendant les eaux en deux pour y prendre un nouvel appui et une espérance plus jeune. Derrière lui, au battement de ses pieds, naissait un bouillonnement d'écume, en même temps qu'un bruit d'eau clapotante, étrangement clair dans la solitude et le silence de la nuit. À sentir sa cadence et sa vigueur, une exaltation le prenait, il avançait plus vite et bientôt il se trouva loin des côtes, seul au cœur de la nuit et du monde. Il songea soudain à la profondeur qui s'étendait sous ses pieds et arrêta son mouvement. Tout ce qu'il avait sous lui l'attirait comme le visage d'un monde inconnu, le prolongement de cette nuit qui le rendait à lui-même, le cœur d'eau et de sel d'une vie encore inexplorée. Une tentation lui vint qu'il repoussa aussitôt dans une grande joie du corps. Il nagea plus fort et plus avant. Merveilleusement las, il retourna vers la rive. À ce moment il entra soudain dans un courant glacé et fut obligé de s'arrêter, claquant des dents et les gestes désaccordés. Cette surprise de la mer le laissait émerveillé. Cette glace pénétrait ses membres et le brûlait comme l'amour d'un Dieu d'une exaltation lucide et passionnée qui le laissait sans force. Il revint plus péniblement et sur le rivage, face au ciel et à la mer, il s'habilla en claquant des dents et en riant de bonheur. «  

Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourrez, par exemple, étudier comment Camus suggère le bonheur qu'engendre cette plongée régénératrice dans les flots.

• Noces, L'étranger, Le Mythe de Sisyphe, La Peste, La Chute, pour ne citer que quelques-uns des romans ou essais, Les Justes, Le Malentendu, Caligula au théâtre, directeur du journal Combat, partageant un temps le mouvement existentialiste avec Sartre et De Beauvoir, Prix Nobel, puis maître à penser de toute une génération... qui ne connaît ce palmarès?...    • ... et ceci... pour être fauché encore jeune par la plus absurde des morts !    • Pied-noir, logeant à Belcourt, Bab-el-Oued (Alger), orphelin de père, voyant sa mère se « tuer à faire des ménages pour nourrir sa nichée «, il est à la fois produit de la misère, de ce quartier populaire loquace et « surexalté « qui fleure Marseille plus que Marseille, et des rivages méditerranéens (M. Lebesque).   

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« chez Saint John Perse par ex. • Elles sont d'abord tactiles : mer « chaude » - répété « tiédeur » ambiante - de l'air sans doute -; courant « glacé». • Camus entre en contact avec l'eau comme avec un être humain.

Il décrit de façon charnelle et presque païennel'exceptionnelle jouissance des touchers enveloppants de l'eau : « comme un corps...

»; « fuyait le long de sesbras...

»; « se collait à ses jambes d'une étreinte insaisissable et toujours présente...

»; « le bras replongeait...,fendait...

». • Retour sans doute à une forme absolue de plaisir sensuel tout en pureté, fait en même temps d'incertitude (la mer« fuyait », « insaisissable ») et de sécurité (« elle se collait » « toujours présente »), car cet absolu peut-il êtreplus atteint que le néant?; mais il peut être entrevu, « entre-touché » en quelque sorte. • On songe à Élévation ou à L'Homme et la Mer des Fleurs du Mal de Baudelaire. • La caresse de l'eau sur les corps nus, les scènes de nage (elles sont nombreuses) sont un des thèmes favoris deCamus. • Mais le contact a lieu aussi à l'aide de sensations auditives; tantôt d'ensemble, aboutissant à un «chant profond»;tantôt précises : « bruit d'eau clapotante » sous le « battement de ses pieds », avec effets allitératifs (labiales etdentales entrelacées); ou le « claque[ment] de dents » - répété - de la fin.

• Les visuelles ne manquent pas non plus, bien sûr, elles sont les plus communes; elles se traduisent par descouleurs, telles ces «gouttes d'argent»; mais elles se manifestent surtout par le regard qu'il porte naturellement surses propres mouvements et leur accord avec l'eau. • A ce propos peut-on parler d'accord ou de lutte implicite avec la mer? : il la fend, la laboure, la domine; mais lecourant glacé par la suite « l'oblige à s'arrêter, pénètr[e] ses membres » et le « brûl[e] ». Véritable échange. Ils en arrivent à former une sorte de couple. • De véritables correspondances baudelairiennes s'établissent de sensations à sensations : «un bruit...

étrangementclair» ou l'assimilation eau/terre (« semailles », « moisson » de gouttes); il est lui-même laboureur de l'eau avec un «soc vigoureux », celui de ses bras; il prend dans l'eau « appui » comme sur la terre. • Des effets de rythmes évoquent les épisodes de la nage (à étudier en détail). • L'image du semeur est lentement élaborée puis poursuivie (cf Hugo). • Enfin effet de personnification.

Mer et Nuit sont des êtres à part entière, plus que lui-même sans doute, car c'està leur contact, en se fondant, « se perdfant] » en elles qu'il va « se retrouver ». II.

Une plongée régénératrice : peut-il y atteindre le bonheur? • Il est de fait que Mer et Nuit le « rend[ent] à lui-même.

» • Il trouve en elles parenté, puis union. • Le bonheur ne peut être que dans cette complicité de l'homme et du monde. • Tel est le sentiment - très particulier- de la nature, chez Camus.

- Cependant une telle communion était déjàmystérieusement transmise par Hugo dans Booz endormi et idéalement présentée dans Elévation (Baudelaire). • Elle est exprimée par Camus principalement par la musicalité douce et passionnée du §, qui réside surtout dansl'authenticité et la force suggestive des vocables et des tours [« il se trouva loin des côtes...

monde »], dansl'association simple et magique de mots eux-mêmes simples et magiques (« nager dans la lune...

bonheur »). • La variété des cadences est parallèle au charme un peu envoûtant des alliances de termes. • On pourrait craindre la transmission d'une forme d'engourdissement, d'assoupissement; il éprouve d'ailleurs latentation de ce Nirvâna, qui se confond avec celles des profondeurs et de l'inconnu. Baudelaire -toujours lui; il est certain que les affinités de Camus avec ce poète sont très grandes - écrivait déjàdans Le Voyage :. »

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