ALAIN-FOURNIER: Le Grand Meaulnes, 2e partie, chapitre 9.
Publié le 04/10/2013
Extrait du document
Toute la matinée est à moi pour explorer la lisière du bois, l'endroit le plus frais et le plus caché du pays, tandis que mon grand frère aussi est parti à la découverte. C'est comme un ancien lit de ruisseau. Je passe sous les basses branches d'arbres dont je ne sais pas le nom mais qui doivent être des aulnes. J'ai sauté tout à l'heure un échalier au bout de la sente, et je me suis trouvé dans cette grande voie d'herbe verte qui coule sous les feuilles, foulant par endroits les orties, écrasant les hautes valérianes. Parfois mon pied se pose, durant quelques pas, sur un banc de sable fin. Et dans le silence, j'entends un oiseau--je m'imagine que c'est un rossignol, mais sans doute je me trompe, puisqu'ils ne chantent que le soir ― un oiseau qui répète obstinément la même phrase : voix de la matinée, parole dite sous l'ombrage, invitation délicieuse au voyage entre les aulnes. Invisible, entêté, il semble m'accompagner sous la feuille. Pour la première fois me voilà, moi aussi, sur le chemin de l'aventure. Ce ne sont plus des coquilles abandonnées par les eaux que je cherche, sous la direction de M. Seurel, ni les orchis que le maître d'école ne connaisse pas, ni même, comme cela nous arrivait souvent dans le champ du père Martin, cette fontaine profonde et tarie, couverte d'un grillage, enfouie sous tant d'herbes folles qu'il fallait chaque fois plus de temps pour la retrouver... Je cherche quelque chose de plus mystérieux encore. C'est le passage dont il est question dans les livres, l'ancien chemin obstrué, celui dont le prince harassé de fatigue n'a pu trouver l'entrée. Cela se découvre à l'heure la plus perdue de la matinée, quand on a depuis longtemps oublié qu'il va être onze heures, midi... Et soudain, en écartant, dans le feuillage profond, les branches, avec ce geste hésitant des mains à hauteur du visage inégalement écartées, on l'aperçoit comme une longue avenue sombre dont la sortie est un rond de lumière tout petit. Mais tandis que j'espère et m'enivre ainsi, voici que brusquement je débouche dans une sorte de clairière, qui se trouve être tout simplement un pré.
À la fin du siècle dernier, un écolier de Sologne, Augustin Meaulnes, essaie vainement de retrouver le château où il a pénétré un soir par hasard et où il est tombé amoureux d'une belle jeune fille. Son ami François Seure!, le narrateur, tente à son tour de découvrir seul le chemin du domaine mystérieux.
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oute la matinée est à moi pour explorer la lisière du
bois, l'endroit
le plus frais et le plus caché du pays,
tandis que mon grand frère aussi est parti à la découverte.
C'est comme un ancien lit de ruisseau.
Je passe sous les
5 basses branches d'arbres dont je ne sais pas le nom mais
qui doivent être des aulnes.
J'ai sauté tout à l'heure un
échalier au bout de la sente, et je me suis trouvé dans cette
grande voie d'herbe verte qui coule sous
les feuilles, foulant
par endroits les orties, écrasant les hautes valérianes.
1 o Parfois mon pied se pose, durant quelques pas, sur un
banc de sable fin.
Et dans
le silence, j'entends un oiseau
-je m'imagine que c'est un rossignol, mais sans doute je
me trompe, puisqu'ils ne chantent que
le soir -un oiseau
qui répète obstinément la même phrase : voix de la mati-
15 née, parole dite sous l'ombrage, invitation délicieuse au
voyage entre les aulnes.
Invisible, entêté,
il semble m'ac
compagner sous la feuille.
Pour la première fois me voilà, moi aussi, sur le chemin
de l'aventure.
Ce ne sont plus des coquilles abandonnées
20 par les eaux que je cherche, sous la direction de M.
Seurel,
ni des orchis que
le maître d'école ne connaisse pas, ni
même, comme cela nous arrivait souvent dans
le champ du
père Martin, cette fontaine profonde et tarie, couverte
d'un
grillage, enfouie sous tant d'herbes folles qu'il fallait
25 chaque fois plus de temps pour la retrouver...
Je cherche
quelque chose de plus mystérieux encore.
C'est
le passage
dont il est question dans
les livres, l'ancien chemin obstrué,
celui dont
le prince harassé de fatigue n'a pu trouver
l'entrée.
Cela
se découvre à l'heure la plus perdue de la
30 matinée, quand on a depuis longtemps oublié qu'il va être
onze heures, midi
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Et soudain, en écartant, dans le feuil
lage profond,
les branches, avec ce geste hésitant des mains
à hauteur du visage inégalement écartées, on l'aperçoit
comme une longue avenue sombre dont la sortie est un
35 rond de lumière tout petit.
Mais tandis que j'espère et m'enivre ainsi, voici que
brusquement je débouche dans une sorte de clairière, qui
se trouve être tout simplement un pré.
Vous étudierez ce texte sous forme de commentaire composé.
Vous montrerez, par exemple, par quels procédés le romancier
donne à son récit une coloration poétique..
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