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AH JE NE SUIS PAS MÉTAPHYSIQUE, MOI - René-Guy CADOU, Hélène ou Le Règne végétal

Publié le 16/09/2011

Extrait du document

Ah je ne suis pas métaphysique, moi

Je n'ai pas l'habitude de plonger les doigts

Dans les bocaux de l'éternité mauve et sale

Comme un bistrot de petite ville provinciale

Et que m'importe qu'en les siècles l'on dispose

De mon âme comme d'une petite chose

Sans importance ainsi qu'au plus chaud de l'été

Dans la poussière le corset d'un scarabée

Je prodigue à plaisir et même quand je dors

Il y a cette flamme en moi qui donne tort

A tout ce qui n'est pas cette montée sévère

Vers l'admirable accidenté visage de la terre

Je plonge dans ma vie une main de chiendent

Et c'est trop de bonheur lorsque de temps en temps

L'heure venue d'agir j'en tire la semence

Qui d'année en année prolonge ma patience

Ah tu verrais faner les ciels et les chevaux

0 mon coeur sans que rien ne te semblât nouveau

Même dût-on mourir dans le frais de son âge

Rien que d'avoir posé son front sur un corsage

Et fût-il d'une mère on a bien mérité

De croire dans la vie plus qu'en l'éternité.

«Ah je ne suis pas métaphysique, moi «! L'homme qui s'exprime ainsi, et qui tient tant à se différencier des autres, éprouve en effet un sentiment de répugnance quasi physique pour les spéculations abstraites, et en particulier pour tous les systèmes de pensée qui sont susceptibles de détourner l'homme de son véritable « objet «...

« par le rejet en fin de vers du pronom personnel de renforcement : «Ah je ne suis pas métaphys ique , moi »! L 'homme qui s'exprime ainsi , et qui tient tant à se différencier des autres, éprouve en effet un sentiment de répugnance quasi physique pour les spéculations abstraites , et en particulier pour tous les systèmes de pensée qui sont susceptibles de détourner l'homme de son véritable « objet • : la vie .

C'est donc en homme de la terre qu' il va dire son refus de l'éternité , et avec des comparaisons pleines de réalisme qu' il va se moquer des « spiritualistes •.

Celui qui n'est pas « métaphysi­ que • (de façon amusante et sarcastique , le substantif est employé à la place de l'adjectif savant et correct « métaphysicien •) se représente en effet la science tant réprouvée comme une sorte de pharmacie pleine de bocaux poussiéreux dans lesquels on puiserait dans l'espoir de trouver le médicament miracle, l'élixir de vie qui confère l'immortalité.

«Je n'ai pas l'habitude de plonger les doigts 1 Dans les bocaux de l'éternité mauve et sale 1 Comme un bistrot de petite ville provinciale • : grâce à cette image pleine d'humour , une activité intellectuelle est ainsi traduite en termes de manipula ­ tions par référence à une réalité familière .

Loin d'évoquer la vie , ces bocaux d'officine qui promettent l' éternité font presque penser à des « conserves •, et la couleur pâle et sale de ce mirage qui fait tant rêver les hommes est accentuée par la comparaison avec la réalité triviale d'un « b istrot de petite ville provinciale •! Nullement intéressé par l'éternité , le poète se soucie tout aussi peu du devenir de son âme : «Et que m'importe qu'en les s iècles l'on dispose 1 De mon âme comme d'une petite chose 1 Sans importance ainsi qu'au plus chaud de l' été 1 Dans la poussière le corset d'un scarabée • : rien de choquant, pour Cadou , à ce que son âme soit aussi peu prisée que le corps d'un animal- et pas de l'animal le plus noble, puisqu ' il ne s'agit ici que d'un petit coléoptère sans prétentions .

L'attitude du poète semble bien proche d'un matérialisme souriant Du moins, on peut affirmer qu 'à ses yeux , il ne doit y avoir aucune différence essentielle de nature entre l' homme et l'animal ; tous deux appartiennent à la Terre, que Cadou va célébrer avec sensualité .

Le poète avait choisi de passer toute sa vie avec les gens simples, les artisans des villages de la Loire, les paysans des alentours, et il en avait retiré un attachement très profond à la terre, qu'il. »

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