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Agathe et le président - Electre de Giraudoux

Publié le 04/08/2014

Extrait du document

giraudoux

 

Acte II, scène 6, Livre de poche (Grasset) pp. 95-99

Un songe a révélé à Électre l'assassinat de son père et la liaison de sa mère. Ell,e est

désormais à la recherche de l'amant et de l'assassin. Clytemnestre, qu 'ell,e harcèl,e de

ses questions, nie avoir un amant. Mais voici que survient le couple des

Théocathoclès, en pleine ejf ervescence : l,e président a découvert que sa femme l,e

trompe, et contrairement à Clytemnestre, Agathe assume fièrement sa situation. Sa

franchise va être util,e à É"lectre.

LE MENDIANT, ÉLECTRE, CLYTEMNESTRE, AGATHE, LE PRÉSIDENT, L'ÉCUYER, puis

LES EUMÉNIDES

Entre Agathe, poursuivie par le président.

LE PRÉSIDENT. Qui est-ce? Qui aimes-tu?

AGATHE. Je te hais.

LE PRÉSIDENT. Qui est-ce?

AGATHE. Je te dis que c'est fini. Fini le mensonge. Électre a raison. Je passe

5 dans son camp. Merci, Électre ! Tu me donnes la vie !

LE PRÉSIDENT. Que chante-t-elle?

AGATHE. La chanson des épouses. Tu vas la connaître.

LE PRÉSIDENT. Elle va chanter, maintenant!

AGATHE. Oui, nous sommes toutes là, avec nos maris insuffisants ou nos veu-

10 vages. Et toutes nous nous consumons à leur rendre la vie et la mort agréables.

Et, s'ils mangent de la laitue cuite, il leur faut le sel et un sourire. Et s'ils

fument, il nous faut allumer leur ignoble cigare avec la flamme de notre coeur !

LE PRÉSIDENT. Pour qui parles-tu? Tu m'as vu jamais manger de la laitue

cuite?

15 AGATHE. Ton oseille, si tu veux.

LE PRÉSIDENT. Et il n'en mange pas d'oseille, et il ne fume pas le cigare, ton

amant?

AGATHE. L'oseille mangée par mon amant devient une ambroisie, dont je

lèche les restes. Et tout ce qui est souillé quand mon mari le touche sort puri-

20 fié de ses mains ou de ses lèvres ... Moi-même ... Et Dieu sait!

ÉLECTRE.J'ai trouvé, mère,j'ai trouvé!

LE PRÉSIDENT. Reviens à toi, Agathe!

AGATHE. Justement. J'y reviens. J'y suis enfin revenue!. .. Et vingt-quatre

heures par jour, nous nous tuons, nous nous suicidons pour la satisfaction

25 d'un être dont le mécontentement est notre seule joie, pour la présence

d'un mari dont l'absence est notre seule volupté, pour la vanité du seul

homme qui nous montre journellement ce qui nous humilie le plus au

monde, ses orteils et la petite queue de son linge. Et voilà qu'il ose nous

reprocher de lui dérober par semaine une heure de cet enfer!. .. Mais alors,

30 c'est vrai, il a raison! Quand cette heure merveilleuse arrive, nous n'y allons

pas de main morte !

LE PRÉSIDENT. Voilà ton ouvrage, Électre. Ce matin encore, elle m'embrassait!

AGATHE.Je suis jolie et il est laid.Je suis jeune et il est vieux.J'ai de l'esprit et

il est bête. J'ai une âme et il n'en a pas. Et c'est lui qui a tout. En tout cas, il

35 m'a. Et c'est moi qui n'ai rien. En tout cas, je l'ai. Et jusqu'à ce matin, moi qui

donnais tout, c'est moi qui devais paraître comblée. Pourquoi ? ... Je lui cire ses

chaussures, Pourquoi? ... Je lui brosse ses pellicules. Pourquoi? ... Je lui filtre

son café. Pourquoi? Alors que la vérité serait que je l'empoisonne, que je

frotte son col de poix et de cendre. Les souliers encore, je comprends. Je cra-

40 chais sur eux. Je crachais sur toi. Mais c'est fini, c'est fini ... Salut, ô vérité.

Électre m'a donné son courage, c'est fait, c'est fait. J'aime autant mourir!

LE MENDIANT. Elles chantent bien, les épouses.

LE PRÉSIDENT. Qui est-ce?

ÉLECTRE. Écoute, mère! Écoute-toi! C'est toi qui parles!

45 AGATHE. Qui est-ce? Ils croient, tous ces maris, que ce n'est qu'une personne!

LE PRÉSIDENT. Des amants? Tu as des amants?

AGATHE. Ils croient que nous ne les trompons qu'avec des amants. Avec les

amants aussi, sûrement... Nous vous trompons avec tout. Quand ma main

glisse, au réveil, et machinalement tâte le bois du lit, c'est mon premier adul-

50 tère. Employons-le, pour une fois, ton mot "adultère". Que je l'ai caressé, ce

bois, en te tournant le dos, durant mes insomnies! C'est de !'olivier. Quel

grain doux! Quel nom charmant! Quandj'entends le mot "olivier" dans la

rue, j'en ai un sursaut. J'entends le nom de mon amant! Et mon second

adultère, c'est quand mes yeux s'ouvrent et voient le jour à travers la per-

55 sienne. Et mon troisième, c'est quand mon pied touche l'eau du bain, c'est

quand j'y plonge. Je te trompe avec mon doigt, avec mes yeux, avec la plante

de mes pieds. Quand je te regarde, je te trompe. Quand je t'écoute, quand

je feins de t'admirer à ton tribunal, je te trompe. Tue les oliviers, tue les

pigeons, les enfants de cinq ans, fillettes et garçons, et l'eau, et la terre, et le

60 feu! Tue ce mendiant. Tu es trompé par eux.

LE MENDIANT. Merci.

LE PRÉSIDENT. Et hier soir encore cette femme me versait ma tisane. Et elle la

trouvait trop tiède! Et elle faisait rebouillir de l'eau! Vous êtes content, vous!

Un petit scandale à l'intérieur d'un grand n'est pas pour vous déplaire!

65 LE MENDIANT. Non. C'est l'écureuil dans la grande roue. Cela lui donne son

vrai mouvement.

LE PRÉSIDENT. Et cet esclandre devant la reine elle-même, vous l'excusez?

ÉLECTRE. La reine envie Agathe. La reine aurait donné sa vie pour s'offrir

une fois ce qu'Agathe s'offre aujourd'hui. Qui est-ce, mère?

70 LE MENDIANT. En effet. Ne vous laissez pas distraire, président. Voilà presque

une minute que vous ne lui avez demandé qui est-ce.

LE PRÉSIDENT. Qui est-ce?

AGATHE. Je te l'ai dit. Tous. Tout.

LE PRÉSIDENT. C'est à se tuer! À se jeter la tête contre le mur!

75 AGATHE. Ne te gêne pas pour moi. Le mur mycénien est solide.

LE PRÉSIDENT. Il est jeune? Il est vieux?

AGATHE. L'âge de l'amant. Cela va de seize à quatre-vingts.

LE PRÉSIDENT. Et elle croit me rabaisser en m'insultant! Tes injures n'atteignent

que toi, femme perdue!

LE MYTHE ANTIQUE DANS ÉLECTRE DE GIRAUDOUX

80 AGATHE. Je sais. Je sais. L'outrage appelle la majesté. Dans la rue les plus

dignes sont ceux qui viennent de glisser sur du crottin.

LE PRÉSIDENT. Tu vas enfin me connaître! Quels qu'ils soient, tes amants, le

premier que je vais rencontrer ici, je le tue.

AGATHE. Le premier que tu rencontres ici? Tu choisis mal tes endroits. Tu ne

85 pourras même pas le regarder en face.

LE PRÉSIDENT.je l'oblige à s'agenouiller, je lui fais baiser et lécher le marbre.

AGATHE. Tu vas voir comment il le baise et le lèche, le marbre, tout à l'heure,

quand il entrera dans cette cour et viendra s'asseoir, sur ce trône.

LE PRÉSIDENT. Que dis-tu, misérable?

90 ~GATHE.Je dis que j'ai présentement deux amants, et que l'un des deux c'est

Egisthe.

CLYrEMNESTRE. Menteuse!

AGATHE. Comment, elle aussi!

ÉLECTRE. Toi aussi, mère?

95 LE MENDIANT. C'est curieux. Moi, j'aurais plutôt cru que si Égisthe se sentait

un penchant, c'était pour Électre.

L'ÉCUYER, annonçant. Égisthe !

ÉLECTRE. Enfin !

LES EUMÉNIDES. Égisthe !

f'gisthe paraît. Infiniment plus majestueux et serein qu'au premier acte. Très haut, un

oiseau plane au-dessus de lui.

(COMMENTAIRE)

Enjeu du texte : le contrepoint d'une scène de comédie

Mêlant les tons et les genres, Giraudoux intercale ici une scène qui tient

plus du vaudeville que de la tragédie : elle traite de l'infidélité d'Agathe.

Sa fonction est d'établir entre Agathe et Clytemnestre un parallèle qui

fasse avancer l'enquête menée par Électre : la haine d'Agathe révèle en

effet à celle-ci des vérités qu'elle avait échoué à arracher à sa mère (l'identité

de l'amant de Clytemnestre, mais aussi la haine comme motif possible

d'un crime plus grave que l'adultère). Le texte est dominé par les propos

d'Agathe; sa haine se déchaîne en plusieurs tirades contre son mari :

- Agathe rappelle ce qu'est la condition d'une femme mariée : un sacrifice

quotidien, pour un être «insuffisant« et «vaniteux«;

- puis elle remet cette situation en cause: puisqu'elle a cessé de mentir, sa

soumission n'a plus aucune justification;

giraudoux

« AGATHE.Je suis jolie et il est laid.Je suis jeune et il est vieux.J'ai de l'esprit et il est bête.

J'ai une âme et il n'en a pas.

Et c'est lui qui a tout.

En tout cas, il 35 m'a.

Et c'est moi qui n'ai rien.

En tout cas, je l'ai.

Et jusqu'à ce matin, moi qui donnais tout, c'est moi qui devais paraître comblée.

Pourquoi ? ...

Je lui cire ses chaussures, Pourquoi? ...

Je lui brosse ses pellicules.

Pourquoi? ...

Je lui filtre son café.

Pourquoi? Alors que la vérité serait que je l'empoisonne, que je frotte son col de poix et de cendre.

Les souliers encore, je comprends.

Je cra- 40 chais sur eux.

Je crachais sur toi.

Mais c'est fini, c'est fini ...

Salut, ô vérité.

Électre m'a donné son courage, c'est fait, c'est fait.

J'aime autant mourir! LE MENDIANT.

Elles chantent bien, les épouses.

LE PRÉSIDENT.

Qui est-ce? ÉLECTRE.

Écoute, mère! Écoute-toi! C'est toi qui parles! 45 AGATHE.

Qui est-ce? Ils croient, tous ces maris, que ce n'est qu'une personne! LE PRÉSIDENT.

Des amants? Tu as des amants? AGATHE.

Ils croient que nous ne les trompons qu'avec des amants.

Avec les amants aussi, sûrement...

Nous vous trompons avec tout.

Quand ma main glisse, au réveil, et machinalement tâte le bois du lit, c'est mon premier adul- 50 tère.

Employons-le, pour une fois, ton mot "adultère".

Que je l'ai caressé, ce bois, en te tournant le dos, durant mes insomnies! C'est de !'olivier.

Quel grain doux! Quel nom charmant! Quandj'entends le mot "olivier" dans la rue, j'en ai un sursaut.

J'entends le nom de mon amant! Et mon second adultère, c'est quand mes yeux s'ouvrent et voient le jour à travers la per- 55 sienne.

Et mon troisième, c'est quand mon pied touche l'eau du bain, c'est quand j'y plonge.

Je te trompe avec mon doigt, avec mes yeux, avec la plante de mes pieds.

Quand je te regarde, je te trompe.

Quand je t'écoute, quand je feins de t'admirer à ton tribunal, je te trompe.

Tue les oliviers, tue les pigeons, les enfants de cinq ans, fillettes et garçons, et l'eau, et la terre, et le 60 feu! Tue ce mendiant.

Tu es trompé par eux.

LE MENDIANT.

Merci.

LE PRÉSIDENT.

Et hier soir encore cette femme me versait ma tisane.

Et elle la trouvait trop tiède! Et elle faisait rebouillir de l'eau! Vous êtes content, vous! Un petit scandale à l'intérieur d'un grand n'est pas pour vous déplaire! 65 LE MENDIANT.

Non.

C'est l'écureuil dans la grande roue.

Cela lui donne son vrai mouvement.

LE PRÉSIDENT.

Et cet esclandre devant la reine elle-même, vous l'excusez? ÉLECTRE.

La reine envie Agathe.

La reine aurait donné sa vie pour s'offrir une fois ce qu'Agathe s'offre aujourd'hui.

Qui est-ce, mère? 70 LE MENDIANT.

En effet.

Ne vous laissez pas distraire, président.

Voilà presque une minute que vous ne lui avez demandé qui est-ce.

LE PRÉSIDENT.

Qui est-ce? AGATHE.

Je te l'ai dit.

Tous.

Tout.

LE PRÉSIDENT.

C'est à se tuer! À se jeter la tête contre le mur! 75 AGATHE.

Ne te gêne pas pour moi.

Le mur mycénien est solide.

LE PRÉSIDENT.

Il est jeune? Il est vieux? AGATHE.

L'âge de l'amant.

Cela va de seize à quatre-vingts.

LE PRÉSIDENT.

Et elle croit me rabaisser en m'insultant! Tes injures n'attei­ gnent que toi, femme perdue! 164. »

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