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Acte V, scène 2: Don Juan épouse l'hypocrisie (Dom Juan de Molière)

Publié le 11/09/2006

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Dom Juan Il n’y a plus de honte maintenant à cela : l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée ; et quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un vice privilégié, qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les jette tous sur les bras ; et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés, ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres ; ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j’en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues et les connaître pour ce qu’ils sont, ils ne laissent pas pour cela d’être en crédit parmi les gens ; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d’yeux rajustent dans le monde tout ce qu’ils peuvent faire. C’est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j’aurai soin de me cacher et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin c’est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m’érigerai en censeur des actions d’autrui, jugerai mal de tout le monde, et n’aurai bonne opinion que de moi. Dès qu’une fois on m’aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts du Ciel, et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d’impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle.

 

Don Juan s'était montré si insolent avec son père, Don Louis (IV, 4), qu'on n'imaginait pas que celui-ci puisse revenir le voir.

Mais, entre l'acte IV et l'acte V, le « grand seigneur méchant homme« a fait courir le bruit de sa conversion. Cette nouvelle a mis du baume au coeur de Don Louis qui ne doute pas un instant de la sincérité de son fils et lui rend visite (V, 1). Don Juan confirme alors qu'il a été l'objet d'une illumination du Ciel et qu'il a maintenant choisi la vertu. Son père repart dupé et ravi.

Le spectateur, lui, n'est pas dupe. Molière, en effet, dans les didascalies, conseille un jeu outré, lequel a pour but d'éviter toute ambiguïté.

Sganarelle, pourtant, tout comme Don Louis, se laisse prendre aux propos de son maître. Au début de la scène suivante (V, 2), il exprime sa satisfaction de constater un tel changement. Don Juan le détrompe immédiatement en le traitant de benêt, puis entreprend de lui expliquer les tenants et aboutissants de sa nouvelle méthode.

Nous constatons donc que l'acte V a commencé par une mise en oeuvre — réussie — de la nouvelle méthode. Cette mise en oeuvre est suivie d'un exposé théorique: le passage qui nous intéresse ici. Cette profession de foi sera suivie d'une seconde mise en oeuvre de la méthode — qui échouera —: l'entretien entre Don Juan et Don Carlos où Don Juan tentera vainement de satisfaire Don Carlos par l'annonce de sa conversion (V, 3).

 

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« venger de ses ennemis.

Celui qui, du fait des agissements de son père, risquait de devenir une victime, peut seranger ainsi dans le camp des bourreaux. AXES D'EXPLICATION Fonction « personnelle » On retrouve le même problème que pour la tirade de Don Louis sur la noblesse.

Il s'agit d'une longue tirade peuscénique.

L'homme de théâtre qu'était Molière devait sentir le risque d'ennuyer le public. On peut nuancer en disant qu'une partie du public était peut-être plus portée à apprécier un théâtre de pur discoursque nous ne le sommes aujourd'hui.

Par ailleurs, ce public voyait peut-être des allusions à des personnes précisesqui nous échappent, ce qui donnait une certaine saveur au texte. Il n'en reste pas moins, comme pour Don Louis, que si Molière accepte de casser le rythme de sa pièce, c'est qu'iltient à la nature du propos.

Ici, il reprend brusquement la bataille de Tartuffe, ce qu'on ne lui pardonnera pas.

Lesdévots reprendront eux aussi le combat et obtiendront l'interdiction définitive, ce qu'ils n'obtinrent pas pourTartuffe. Cela va de soi, le texte s'adresse autant sinon plus au public qu'à Sganarelle.

La réaction de Sganarelle qui suit acependant pour but de souligner la gravité de la faute. Il n'est pas impossible que, dans la mise en scène de Molière, le jeu de Sganarelle ait introduit des éléments de farcedurant cet exposé et rendu plus théâtral le passage.

Mais on peut imaginer, en l'absence de tout apport de cegenre, un public brusquement très attentif parce qu'il sait que Molière est en train de régler un compte. L'éloge de l'hypocrisie Il convient de rappeler que Don Juan et Molière emploient le mot d'« hypocrisie» dans l'acception restreinte qu'ilavait prise en fonction des moeurs du temps.

L'hypocrisie, dans ce sens, signifiait un emploi particulier del'hypocrisie, elle était devenue synonyme de la fausse dévotion.

Quand on parlait alors d'un hypocrite, on nedésignait pas un hypocrite en général, mais un dévot hypocrite. C'est bien à ce jeu que Don Juan prétend s'initier.

La rançon du succès est la solitude absolue à laquelle est vouél'hypocrite. Cet enfermement dans le simulacre apparaît à travers le dépit que lui cause la méprise de Sganarelle, le seul à qui ilait avoué le fond de ses pensées.

Quand le balourd le félicite de sa conversion, Don Juan ne peut s'empêcher delaisser voir son dépit devant tant de naïveté qui montre le peu de profit que son élève a su faire de ses leçons.L'hypocrite a toutes les raisons de se sentir incompris: «La peste le benêt! ». Il aurait pu être flatté d'avoir si bien réussi à contrefaire le dévot que même son confident s'y est laissé prendre.Mais il est déçu, au fond, de constater que Sganarelle, malgré toute leur complicité, ait pu croire en un changementqui aurait supposé, s'il avait été sincère, une véritable trahison de ses convictions profondes. Don Juan développe alors un éloge de l'hypocrisie qui est un cours de morale inversée, un cours d'amoralité à l'usagedes apprentis ambitieux ou des hédonistes incurables. Il construit son argumentation en deux mouvements : d'abord, il se protège derrière une généralité, emploiel'impersonnel et le pluriel pour montrer qu'en adoptant cette méthode il se contente de suivre l'usage.

Puis ilpersonnalise son propos et annonce son intention d'appliquer ces recettes pour son propre compte: « C'est sous un abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires.

Je ne quitterai point mes douces habitudes; mais j'aurai soin de me cacher et me divertirai à petit bruit.

» Ce passage du «ils » au «je » est capital pour comprendre la démarche du raisonnement de Don Juan et son identification à la caste des hypocrites.

Il y a pourtant, dans cette phrase, un susurrement sournois, un ton quirappelle Tartuffe et qui s'écarte de l'aplomb, des accents de bravade qui jusqu'à présent caractérisaient Don Juan.Le «je » est aussitôt rattaché à un «nous » implicite, quand Don Juan se réfère à la solidarité qui unit les fauxdévots. Don Juan voit, dans l'hypocrisie, plutôt une arme pour se protéger contre la tyrannie de l'ordre moral imposé par lasociété que comme un moyen d'arrivisme.

Don Juan n'est pas un homme de pouvoir.

Il ne voit dans les honneurs etdans les titres que vaine gloire.

Le mépris qu'il a manifesté devant le tombeau du Commandeur le montre suffisamment.

Don Juan est homme de plaisir. Il justifie l'hypocrisie comme un moyen de légitime défense contre l'oppression sociale.

Cela transparaît derrière levocabulaire qui relie la recherche de la protection («abri favorable », « mettre en sûreté mes affaires») à lanécessité de la discrétion («j'aurai soin de me cacher», «à petit bruit »).

Tout cela pour conserver «mes douceshabitudes », sa vie de débauche. La comédie qu'il vient de jouer à Don Louis n'est donc qu'une riposte pour protéger ses droits à la liberté en amour.. »

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