ACTE V: La confusion de Célimène (Le Misanthrope de Molière)
Publié le 08/03/2011
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Alceste a perdu son procès. Rien ne le détournera plus de se retirer du monde : il vient en informer Célimène et proposer à la jeune veuve de l'accompagner dans sa retraite. Pour un procès perdu, voilà une résolution bien désespérée. Philinte le lui fait justement remarquer. Son honneur est intact, sa situation mondaine n'est pas compromise, il ne perd ni un emploi, ni une dignité. Il perd vingt mille francs ; mais il est riche, et cette perte d'argent lui vaut l'amer plaisir de pouvoir pester contre le genre humain ! En réalité, ce procès perdu n'est pour Alceste que l'occasion de mettre à exécution un dessein dont il est hanté depuis longtemps. Quand on déteste le genre humain, il n'est que de s'en tenir à l'écart. Ces gens du dix-septième siècle, même dans l'extravagance, ne cessent pas de raisonner correctement.
«
Voici votre paquet.
Et pour l'homme à la veste, qui s'est jeté dans le bel esprit et veut être auteur malgré tout le monde, je ne puis medonner la peine d'écouter ce qu'il dit ; et sa prose me fatigue autant que ses vers.
Mettez-vous donc en tête que jene me divertis pas toujours si bien que vous pensez ; que je vous trouve à dire plus que je ne voudrais, dans toutesles parties où Von m'entraîne ; et que c'est un merveilleux assaisonnement aux plaisirs qu'on goûte que la présencedes gens qu'on aime.
CLITANDRE.
Me voici maintenant moi.
Votre Clitandre dont vous me parlez, et qui fait tant le doucereux, est le dernier des hommes pour qui j'aurais del'amitié.
Il est extravagant de se persuader qu'on l'aime ; et vous l'êtes de croire qu'on ne vous aime pas.
Changez,pour être raisonnable, vos sentiments contre les siens et voyez-moi le plus que vous pourrez, pour m'aider à porterle chagrin d'en être obsédée.
D'un fort beau caractère on voit là le modèle, Madame, et vous savez comment cela s'appelle ? Il suffit : nous allonsl'un et l'autre en tous lieux Montrer de votre cœur le portrait glorieux.
ACASTE.
J'aurais de quoi vous dire, et belle est la matière, Mais je ne vous tiens pas digne de ma colère ; Et je vous ferai voirque les petits marquis Ont, pour se consoler, des cœurs du plus haut prix.
Quand le traître est démasqué, c'est la coutume, dans les mélodrames, de faire défiler devant lui pour lui jeterl'anathème, tous ceux qui ont eu à se plaindre de sa perfidie.
Devant Célimène interdite défilent tour à tour Acaste,Clitandre, et Oronte, qui, renonçant à poursuivre une si décevante
conquête, laisse le champ libre à son ombrageux rival, sans oublier Arsinoé qui s'offre à consoler Alceste.
Mais Alceste ne veut pas être consolé.
Lui seul aime vraiment Célimène ; et Célimène le sait bien qui ne se sentcoupable qu'envers lui seul.
Il est prêt à tout pardonner, — à une condition :
Oui, je veux bien, perfide, oublier vos forfaits ; J'en saurai, dans mon âme, excuser tous les traits, Et me lescouvrirai du nom d'une faiblesse Où le vice du temps porte votre jeunesse, Pourvu que votre cœur veuille donner lesmains Au dessein que j'ai fait de fuir tous les humains, Et que dans mon désert, où j'ai fait vœu de vivre, Voussoyez, sans tarder, résolue à me suivre.
Dans la brusque réponse de la jeune veuve on ne sait ce qui domine, de la stupeur ou de l'indignation :
CÉLIMÈNE.
Moi, renoncer au monde avant que de vieillir, Et dans votre désert aller m'ensevelir !
ALCESTE.
Et s'il faut qu'à mes feux votre flamme réponde, Que vous doit importer tout le reste du monde ? Vos désirs avecmoi ne sont-ils pas contents ?
CÉLIMÈNE.
La solitude effraye une âme de vingt ans :
Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.
Alceste n'épousera ni Célimène, qui ne consent
pas à lui sacrifier sa vie mondaine, ni la cousine Éliante, dont Philinte est heureux d'accepter la main, — et il mettraà exécution son noir dessein :
Trahi de toutes parts, accablé d'injustices, Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices, Et chercher sur laterre un endroit écarté Où d'être homme d'honneur on ait la liberté,
Célimène abandonnée de ses amis, Alceste réfugié dans un désert...
on ne peut, cette fois, adresser à Molière le.
»
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