ACTE V du Cid de Corneille (LA SECONDE ENTREVUE DE RODRIGUE ET DE CHIMÈNE - LE DÉNOUEMENT DU CID DE CORNEILLE)
Publié le 11/03/2011
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LA SECONDE ENTREVUE DE RODRIGUE ET DE CHIMÈNE Dans ce dernier acte Corneille se libère de plus en plus de l'influence de son modèle. La première scène, la seconde entrevue de Rodrigue et de Chimène, c'est lui qui l'a imaginée. Bien plus que le drame espagnol, toute sa tragédie se concentre autour des deux amants et, l'étude des âmes étant sa principale préoccupation, à mesure qu'il approche de la fin il s'applique de plus en plus à suivre l'évolution des sentiments de Chimène : car c'est d'elle seule que dépend le dénouement. L'épreuve matérielle où elle a jeté Rodrigue devient pour elle une épreuve morale. L'heure du duel approche, elle s'inquiète : c'est à ce moment que son amant se présente de nouveau devant elle. Peut-être l'attendait-elle, sans doute elle est heureuse de le voir : mais c'est à sa réputation qu'elle pense d'abord. Ce n'est plus « dans l'ombre de la nuit «, c'est à la lumière du jour, sans se cacher, qu'il a passé, cette fois, sa porte. Quoi ! Rodrigue, en plein jour ! D'où te vient cette audace ? Va, tu me perds d'honneur ; retire-toi, de grâce.
«
ce point justement ce que Rodrigue dit ici à sa maîtresse ?
J'ai toujours même cœur ; mais je n'ai point de bras Quand il faut conserver ce qui ne vous plaît pas.
Sans doute Rodrigue aurait pu se laisser tuer par le champion de Chimène, sans l'avertir à l'avance de son intention.Mais n'est-il pas naturel qu'il veuille, pour une double raison d'amour et d'honneur, la prévenir lui-même que sadéfaite sera volontaire ? N'est-il pas dans son rôle de parfait amant en venant lui demander de recevoir son sacrificecomme un hommage ?
Vous demandez ma mort, j'en accepte l'arrêt.
Votre ressentiment choisit la main d'un autre, Je ne méritais pas demourir de la vôtre : On ne me verra point en repousser les coups : Je dois plus de respect à qui combat pour vous...
N'est-il pas bien naturel encore qu'il ait envie de revoir une dernière fois sa maîtresse ? Et n'a-t-on pas enfin le droitde supposer qu'il garde au fond du cœur quelque espoir de l'attendrir et de la désarmer par cette démarchesuprême, d'arracher à son émotion un aveu plus déclaré ?
Quant à Chimène, son premier cri trahit bien l'état de son âme :
Tu vas mourir !
et, après la réplique de Rodrigue, c'est le même cri qui revient sur ses lèvres.
Et aussitôt elle fait son devoir d'amievaillante qui réconforte.
Elle essaie de ranimer son énergie en réveillant son amour-propre :
Tu vas mourir ! Don Sanche est-il si redoutable Qu'il donne l'épouvante à ce cœur indomptable ? Qui t'a rendu sifaible, ou qui le rend si fort ? Rodrigue va combattre, et se croit déjà mort ! Celui qui n'a pas craint les Mores ni monpère, Va combattre don Sanche, et déjà désespère ! Ainsi donc au besoin ton courage s'abat !
Elle tente de le rattacher à la vie en lui rappelant ce qu'il doit à sa renommée :
En cet aveuglement ne perds pas la mémoire Qu'ainsi que de ta vie il y va de ta gloire, Et que dans quelque éclatque Rodrigue ait vécu, Quand on le saura mort, on le croira vaincu.
Elle veut même le persuader qu'il doit à la mémoire du Comte de ne pas se laisser abattre par un adversaire qui ne levaut pas :
Et traites-tu mon père avec tant de rigueur,
Qu'après l'avoir vaincu tu souffres un vainqueur ?
Derrière ces raisons qui se pressent nous sentons la profondeur du sentiment qui les lui suggère et qu'elle ne veutpas exprimer.
Lorsqu'elle lui dit : « Pense à ta gloire, pense à l'honneur de mon père ! » nous traduisons : « Pense àmoi, qui ne puis pas vivre sans toi.
» La conclusion, sous-entendue, mais si évidente, de tout son discours, n'est-elle pas ? « J'ai demandé ta mort, mais je ne veux pas que tu meures.
Préserve ta vie, c'est le seul bien qui mereste.
»
Rodrigue ne peut pas ne pas comprendre ; mais il fait semblant de ne pas comprendre.
Il discute, il raisonne ; ils'épuise à réfuter les arguments de sa maîtresse, parce qu'il n'ose pas lui dire: «Tu ne m'as pas encore donné celuique j'attends.
» Quel jeu subtil et rare, quel jeu émouvant que celui de ces deux êtres passionnés, dont chacun, encette heure pathétique, voudrait lire dans le cœur de l'autre, dont chacun s'efforce de garder son secret !
C'est Chimène qui cède, à la fin.
Le désespoir de ne pouvoir convaincre, l'heure du duel qui approche, l'idée que lemalheur irréparable va s'accomplir, et par sa faute, l'idée affreuse que c'est elle qui devra être la récompense dumeurtrier
de son amant, tout cela la soulève, la transporte, lui arrache l'aveu attendu :
Puisque, pour t'empêcher de courir au trépas, Ta vie et ton honneur sont de faibles appas, Si jamais je t'aimai, cherRodrigue, en revanche, Défends-toi maintenant pour m'ôter à don Sanche ; Combats pour m'affranchir d'unecondition Qui me donne à l'objet de mon aversion.
Te dirai-je encor plus ? va, songe à ta défense, Pour forcer mondevoir, pour m'imposer silence ; Et si tu sens pour moi ton cœur encore épris, [prix.
Sors vainqueur d'un combatdont Chimène est le Adieu : ce mot lâché me fait rougir de honte.
Ainsi, toutes les fois qu'elle est seule avec son amant, cette tendre Chimène finit par céder aux impulsions de soncœur.
Va, je ne te hais point..
»
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