Acte III, scène 5 - Le tombeau du Commandeur - DOM JUAN de Molière
Publié le 10/09/2006
Extrait du document
Sganarelle Cela n’est pas civil, d’aller voir un homme que vous avez tué.
Dom Juan Au contraire, c’est une visite dont je lui veux faire civilité, et qu’il doit recevoir de bonne grâce, s’il est galant homme. Allons, entrons dedans.
Le tombeau s’ouvre, où l’on voit un superbe mausolée et la statue du Commandeur.
Sganarelle Ah ! que cela est beau ! Les belles statues ! le beau marbre ! les beaux piliers ! Ah ! que cela est beau ! Qu’en dites-vous, Monsieur ?
Dom Juan Qu’on ne peut voir aller plus loin l’ambition d’un homme mort ; et ce que je trouve admirable, c’est qu’un homme qui s’est passé, durant sa vie, d’une assez simple demeure, en veuille avoir une si magnifique pour quand il n’en a plus que faire.
Sganarelle Voici la statue du Commandeur.
Dom Juan Parbleu ! le voilà bon, avec son habit d’empereur romain !
Sganarelle Ma foi, Monsieur, voilà qui est bien fait. Il semble qu’il est en vie, et qu’il s’en va parler. Il jette des regards sur nous qui me feraient peur, si j’étais tout seul, et je pense qu’il ne prend pas plaisir de nous voir.
Dom Juan Il aurait tort, et ce serait mal recevoir l’honneur que je lui fais. Demande-lui s’il veut venir souper avec moi.
Sganarelle C’est une chose dont il n’a pas besoin, je crois.
Dom Juan Demande-lui, te dis-je.
Sganarelle Vous moquez-vous ? Ce serait être fou que d’aller parler à une statue.
Dom Juan Fais ce que je te dis.
Sganarelle Quelle bizarrerie ! Seigneur Commandeur… Je ris de ma sottise, mais c’est mon maître qui me la fait faire. Seigneur Commandeur, mon maître Dom Juan vous demande si vous voulez lui faire l’honneur de venir souper avec lui. (La statue baisse la tête.) Ha !
Dom Juan Qu’est-ce ? qu’as-tu ? Dis donc, veux-tu parler ?
Sganarelle fait le même signe que lui a fait la statue et baisse la tête La statue…
Dom Juan Eh bien ! que veux-tu dire, traître ?
Sganarelle Je vous dis que la statue…
Dom Juan Eh bien ! la statue ? Je t’assomme, si tu ne parles.
Sganarelle La statue m’a fait signe.
Dom Juan La peste le coquin !
Sganarelle Elle m’a fait signe, vous dis-je : il n’est rien de plus vrai. Allez-vous-en lui parler vous-même pour voir. Peut-être…
Dom Juan Viens, maraud, viens, je te veux bien faire toucher au doigt ta poltronnerie. Prends garde. Le seigneur Commandeur voudrait-il venir souper avec moi ?
La statue baisse encore la tête.
Sganarelle Je ne voudrais pas en tenir dix pistoles. Eh bien ! Monsieur ?
Dom Juan Allons, sortons d’ici.
Sganarelle Voilà de mes esprits forts, qui ne veulent rien croire.
Après l'épisode campagnard mouvementé de l'acte II, Don Juan a dû fuir pour échapper à la poursuite d'hommes armés. Il a ensuite rencontré un anachorète qu'il a vainement défié, puis il a volé au secours d'un homme attaqué par trois voleurs, lequel se trouva être le frère d'Elvire parti à sa poursuite. Don Juan vient seulement de confirmer à Sganarelle sa lassitude à l'égard de Done Elvire; en conséquence, la double menace qui pèse sur Don Juan (le Ciel et les frères de Done Elvire) reste entière. Tout à fait fortuitement, Don Juan et son valet, au cours de leurs errances dans les bois, arrivent devant le somptueux tombeau du Commandeur. Il s'agit d'un homme tué par Don`juan dans des circonstances que nous ignorons.
«
Eh bien ! que veux-tu dire, traître ?
Sganarelle Je vous dis que la statue…
Dom Juan Eh bien ! la statue ? Je t'assomme, si tu ne parles.
Sganarelle La statue m'a fait signe.
Dom Juan La peste le coquin !
Sganarelle Elle m'a fait signe, vous dis-je : il n'est rien de plus vrai.
Allez-vous-en lui parler vous-même pour voir.
Peut-être…
Dom Juan Viens, maraud, viens, je te veux bien faire toucher au doigt ta poltronnerie.
Prends garde.
Le seigneur Commandeurvoudrait-il venir souper avec moi ?
La statue baisse encore la tête.
Sganarelle Je ne voudrais pas en tenir dix pistoles.
Eh bien ! Monsieur ?
Dom Juan Allons, sortons d'ici.
Sganarelle Voilà de mes esprits forts, qui ne veulent rien croire.
IDÉE DIRECTRICE ET MOUVEMENT DU TEXTE
L'épisode relatif au tombeau du Commandeur que nous étudions ici est tout entier compris dans cette fin de l'acteIII.
Il se prolonge cependant durant quelques lignes au début de l'acte suivant.
Sur le plan dramatique, cet épisode n'a rien à voir avec l'action principale, c'est-à-dire la question de savoir si DonJuan reviendra vers Done Elvire ou s'il s'y refusera.
Molière a cependant pris la peine de préparer l'arrivée de cetévénement fortuit: dans la scène 2 de l'acte I, Sganarelle fait remarquer à Don Juan qu'il vaudrait mieux ne pastraîner dans les parages.
A Don Juan qui ignore ou feint d'ignorer la nature du monument, Sganarelle précise qu'il s'agit du mausolée ques'est fait construire ce Commandeur.
Dans une première phase qui va jusqu'à l'ouverture du tombeau (premièreintervention du surnaturel), les deux hommes s'opposent sur 1 opportunité de visiter les lieux.Une fois sur place, Don Juan ironise sur le goût des splendeurs post mortem et, après avoir cassé les ailes àl'enthousiasme de son valet, il lui demande d'inviter la statue.
Sganarelle rapporte ce qu'il a vu par un simplemouvement de tête (effet comique qui sera repris plus loin).Dans une troisième et dernière phase, Don Juan, pour le convaincre, décide alors d'expérimenter par lui-même.Rendu perplexe par ce qu'il a vu, il sort du tombeau sans rien dire.
AXES D'EXPLICATION
Don Juan cartésien
Don Juan ne croit qu'aux démonstrations, fruits de la raison, comme Descartes dont le Discours de la méthode (1637) paraît une trentaine d'années avant la première de Dom Juan.
Ils estiment l'un et l'autre que nos sens nous trompent et qu'en matière de recherche de la vérité, il faut se limiter à cette aptitude à raisonner qu'utilisent lesmathématiciens.
Descartes avait souhaité que cette méthode rationnelle ne soit pas appliquée aux choses de la religion et de lapolitique, lesquelles étaient très imbriquées à l'époque.
On peut s'interroger sur cette volonté de faire échapper cesdomaines à l'examen personnel pour s'en tenir au dogme.
Descartes était beaucoup plus prudent que Don Juan etavait pris pour devise: «J'avance masqué» (Larvatus prodeo).
Mais la doctrine de Descartes avait son dynamisme propre et ses successeurs étendirent la méthode desmathématiciens à tous les domaines.
Parmi ces successeurs, il faut comprendre évidemment les libertins.
Nous voyons bien, dans ce texte, le conflit entre deux conceptions du monde qui s'affrontent à l'époque: unepensée magique pour qui le monde est régi par une ou des volontés; d'où croyance au surnaturel (des événements.
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