ACTE III, SCÈNE 2 - (Fourberies de Scapin de Molière)
Publié le 22/02/2012
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«
Je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope.»
Les reproches de Boileau sont de deux ordres.
D'une part, il ne comprend pas que Molière ait pu associer à lapeinture soignée des caractères (« doctes peintures ») des grimaces bouffonnes : il nous instruit ainsi de la manièredont Molière représentait le personnage d'Alceste dans Le Misanthrope, qui, on le voit, était loin d'être aussi sérieuse qu'on le croit aujourd'hui.
D'autre part, et c'est ce qui nous intéresse ici, il déplore que Molière ait introduitdes scènes de farce dans une pièce dont la structure est empruntée à Térence.
À travers l'évocation du nom de Tabarin et du jeu de scène du sac, l'allusion au genre même de la farce se révèle,en effet, extrêmement précise.
Si Scapin-Molière peut « s'envelopper d'un sac », pour reprendre la formule un peutrop concise de Boileau — car c'est Géronte que Scapin enveloppe et non lui-même —, c'est qu'il a repris un jeu descène traditionnel de la farce et rendu célèbre au XVIIe siècle par les farces tabariniques, représentées à partir de1618 sur le Pont-Neuf et qui ont connu en outre un succès de librairie prodigieux.
Tabarin, en effet, est le typefrançais du valet à manteau inventé par les Italiens (tabar désigne une sorte de man-teau); et ce manteau, attaché à ses épaules comme une cape, pouvait en être retiré à tout moment pour faire office de sac : une foisque, sous un prétexte quelconque, Tabarin avait fait pénétrer dans le sac sa victime (Mondor, son maître pédant etridicule, ou le capitaine Rodomont, les deux autres membres de la petite troupe), il le faisait battre tout à son aise.
De la farce à la comédie
Le plus remarquable dans cette scène n'est évidemment pas la bastonnade.
Ce qui la hisse cent coudées au-dessusde toutes les scènes de farce du même genre, c'est que la fourberie ne se réduit pas à attirer Géronte dans le sacet à le battre.
Car l'on retrouve une nouvelle fois la dimension théâtrale conférée par Molière aux diversescomposantes des Fourberies de Scapin: le jeu farcesque, en effet, s'insère dans une véritable « comédie » aux dimensions plus vastes et dans laquelle Scapin ne se contente pas de donner des coups de bâton.
En premier lieu, à l'imitation de la comédie du soudard dont elle se présente comme le prolongement, celle-ci estconstituée de deux actes :
l'exposition, où Scapin terrorise Géronte par son récit afin de l'amener à se fourrer de son plein gré dans le sac ; etl'action, qui fait intervenir à trois reprises des individus différents des deux protagonistes de l'exposition, comme s'ils'agissait de trois scènes avec entrées et sorties de personnages.
Ensuite, et surtout, la dimension théâtrale estcréée par les jeux de rôles tenus par Scapin.
De ce point de vue, la scène est supérieure à la scène correspondantede l'acte II qui faisait intervenir Silvestre.
Ici, point d'intervention extérieure ; et les entrées et sorties desspadassins qui battent Géronte sont constituées, en fait, par les entrées et sorties de la tête du vieillard cachédans son sac.
Enfin, ces jeux de rôles sont entrecroisés : Scapin ne se contente pas de contrefaire un Gascon, puisun Basque, puis « plusieurs personnes ensemble » ; à l'intérieur de chacun de ces jeux de rôle, il crée un dialoguequi lui permet d'alterner constamment son propre rôle de Scapin défendant son maître et le rôle du spadassin censél'interro-ger, le menacer, puis le battre.
C'est cette alternance constante de voix à travers ce faux dialogue quiconfère leur rythme étourdissant à ces trois tirades.
Aussi la comparaison avec la scène 1 de L'Impromptu de Versailles s'impose-t-elle ici tout particulièrement (voir Textes complémentaires, page 110).
Molière, jouant son propre rôle, y esquissait une « comédie des comédiens »qui lui permettait d'imiter un poète de théâtre (très probable-ment Corneille) et plusieurs comédiens du théâtre rival(dont une comé-dienne !) en train de jouer des pièces de Corneille.
Et un peu plus haut, pour préparer le passage,Mlle Molière (c'est-à-dire Armande, sa femme), lui avait justement dit qu'il aurait dû « faire une comédie où [il]aurait joué tout seul ».
On voit que, huit ans après, Scapin-Molière a profité du conseil : avec Géronte dans le sac,il élabore une comédie où il joue tout seul, et où il donne à admirer tout son talent de comédien et d'imitateur..
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