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Acte III, scène 1 - DOM JUAN de Molière

Publié le 10/09/2006

Extrait du document

juan

om Juan Ce que je crois ?

Sganarelle Oui.

Dom Juan Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit.

Sganarelle La belle croyance et les beaux articles de foi que voici ! Votre religion, à ce que je vois, est donc l’arithmétique ? Il faut avouer qu’il se met d’étranges folies dans la tête des hommes, et que, pour avoir bien étudié, on en est bien moins sage le plus souvent. Pour moi, Monsieur, je n’ai point étudié comme vous, Dieu merci, et personne ne saurait se vanter de m’avoir jamais rien appris ; mais, avec mon petit sens, mon petit jugement, je vois les choses mieux que tous les livres, et je comprends fort bien que ce monde que nous voyons n’est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit. Je voudrais bien vous demander qui a fait ces arbres-là, ces rochers, cette terre, et ce ciel que voilà là-haut, et si tout cela s’est bâti de lui-même. Vous voilà, vous, par exemple, vous êtes là : est-ce que vous vous êtes fait tout seul, et n’a-t-il pas fallu que votre père ait engrossé votre mère pour vous faire ? Pouvez-vous voir toutes les inventions dont la machine de l’homme est composée sans admirer de quelle façon cela est agencé l’un dans l’autre ? ces nerfs, ces os, ces veines, ces artères, ces…, ce poumon, ce cœur, ce foie, et tous ces autres ingrédients qui sont là et qui… Oh ! dame, interrompez-moi donc, si vous voulez. Je ne saurais disputer, si l’on ne m’interrompt. Vous vous taisez exprès, et me laissez parler par belle malice.

Dom Juan J’attends que ton raisonnement soit fini.

Sganarelle Mon raisonnement est qu’il y a quelque chose d’admirable dans l’homme, quoi que vous puissiez dire, que tous les savants ne sauraient expliquer. Cela n’est-il pas merveilleux que me voilà ici, et que j’aie quelque chose dans la tête qui pense cent choses différentes en un moment, et fait de mon corps tout ce qu’elle veut ? Je veux frapper des mains, hausser le bras, lever les yeux au ciel, baisser la tête, remuer les pieds, aller à droit, à gauche, en avant, en arrière, tourner…

Il se laisse tomber en tournant.

Dom Juan Bon ! voilà ton raisonnement qui a le nez cassé.

Sganarelle Morbleu ! je suis bien sot de m’amuser à raisonner avec vous. Croyez ce que vous voudrez : il m’importe bien que vous soyez damné !

Au moment où commence ce passage, Don Juan et son valet Sganarelle ont déjà connu bien des mésaventures. Don Juan a subi les reproches de sa femme abandonnée; tous deux ont failli se noyer suite à une tentative d'enlèvement manquée; Don Juan séduit deux paysannes qui se disputent son coeur; enfin, ils doivent fuir à la nouvelle que douze hommes armés les poursuivent.  Don Juan montrera par la suite qu'il est courageux mais, dans ce cas, estimant que la partie est trop inégale, il juge compatible avec l'honneur d'échapper par ruse au danger. Il se déguise donc, abandonnant les beaux habits qui éblouissaient Pierrot pour un simple habit de campagne. Sganarelle, de son côté, a revêtu un habit de médecin.  L'acte III commence donc d'une manière tout aussi surprenante que l'acte II puisque le spectateur découvre maître et valet dans une tenue tout à fait inhabituelle. Sganarelle, rendu confiant et inspiré par son habit de médecin, se lance dans un plaidoyer qui devrait amener Don Juan à changer de vie.  Ce dialogue permet à Molière de parodier le débat, très actuel de son temps, entre les dévots et les libertins, les partisans d'une religion qui glorifie l'ignorance et ceux qui prônent la raison critique.

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« Sganarelle apprend avec consternation que son maître ne croit à rien, ni à la médecine, ni à l'enfer, etmême pas au Moine Bourru! Finalement, Don Juan affirme ne croire qu'à « deux et deux sont quatre...

et quatre et quatre sont huit ».

Sganarelle entreprend donc de le ramener à des sentiments plus chrétiens, mais il s'enlise dans un galimatias qui tourne court. Le laconisme de Don Juan tranche sur la volubilité brouillonne de Sganarelle. Le texte s'articule en trois grandes parties.

Dans un premier temps, poussé par son valet, Don Juan faitsa fameuse profession de foi qui tient en une seule phrase.

Sganarelle réagit par un véritable sermon queDon Juan écoute en silence jusqu'à ce que ce discours sombre de lui-même dans le ridicule.

Ce n'est qu'àce moment que Don Juan tire plaisamment la conclusion de cette ambitieuse démonstration. Cette articulation ressemble donc à celle d'une dissertation: — introduction, mettant en place unproblème; développement ;conclusion. Mais, à la différence d'une dissertation, Sganarelle ne développe qu'une seule thèse.

Dans son développement, il estpossible de distinguer différentes phases. La démonstration de Sganarelle s'appuie sur une dénonciation des méfaits de l'instruction et de la science. Dans un premier temps, après avoir plaisanté sur cette nouvelle religion arithmétique, Sganarelle centre ledéveloppement sur lui («Pour moi Monsieur, je n'ai point étudié...

»).

Le bon sens des ignorants est opposé aux égarements des gens instruits, Sganarelle étant le représentant de ce bon sens que n'a pas dépravél'instruction.

Tout ce passage soutient un argument bien connu des théologiens, celui des causes premières.Le mouvement s'arrête au moment où Sganarelle, intimidé par le silence de Don Juan et à court d'idées,interrompt son raisonnement et interpelle Don Juan: « Oh! dame, interrompez-moi donc...» Don Juan ne rompt son silence que pour dire qu'il n'a pas l'intention de parler: «J'attends que ton raisonnement soit fini.

» Dans la fin de l'exposé de Sganarelle se retrouvent les mêmes ingrédients qu'au début.

Mais l'oppositionignorants/savants est cette fois tournée vers la dénonciation des insuffisances propres aux savants («...

quoi que vous puissiez dire, et que tous les savants ne sauraient expliquer »).

L'argument de base reste le même (il faut bien une cause à tout, ce que nous voyons), mais il tourne à la bouffonnerie.

Don Juan n'a même pasbesoin d'argumenter et Sganarelle dépité ne peut qu'une fois de plus évoquer la menace du Ciel (« ...

que vous soyez damné! »). AXES D'EXPLICATION Sganarelle et son maître L'habit fait le moine: le domestique doit sa toute neuve assurance à l'habit de médecin qu'il a racheté chez un prêteur sur gages pour remplacer son propre habit que Don Juan lui a pris de force au moment de leur fuitede chez les paysans.

Sganarelle le dit lui-même: «...

cet habit me donne de l'esprit, et je me sens en humeur de disputer contre vous...

» Cet effet de l'habit sur l'humeur de Sganarelle est avant tout comique et fait partie de la charge contre lamédecine, qui était, on le sait, un thème de prédilection de Molière.

Mais il n'est pas anodin que, dès qu'il metcet habit, un ignorant comme Sganarelle se gonfle du sentiment de son importance.

Cette soudainemétamorphose renvoie à la fausse science qui s'impose sous l'autorité conférée par l'habit ou par les titres. Cette audace culminera dans le sermon que le valet osera infliger à son maître avec un air de supériorité endissonance comique avec la qualité des propos tenus et la cohérence d'un raisonnement qui finit par « se casser le nez ». Sganarelle peut jouer au maître parce que celui-ci se divertit d'un jeu sans conséquence.

Cette prétention est une source de comique.

Cependant, elle laisse entrevoir l'envie et le ressentiment du petit peuple enversles Grands. Ce qui relève ici de la bouffonnerie deviendra réalité un siècle plus tard.

Par cet aspect, les relations entreSganarelle et Don Juan annoncent Jacques le Fataliste et son maître de Diderot et le Figaro de Beaumarchais. Il n'est question, ici, que d'un travestissement de comédie, mais il trahit déjà l'ambiguïté des rapports entre lesserviteurs et les maîtres.

La prétention de Sganarelle, par ailleurs très conscient d'amuser son maître, seraridiculisée par l'échec de sa démonstration.

Mais elle n'exprime pas moins un réel désir d'émulation qui ferafinalement craquer l'édifice social. Molière reprendra plus tard ce thème dans Georges Dandin et surtout dans Le Bourgeois Gentilhomme.

Cette scène est une fugitive ébauche des travers dérisoires de ces personnages déclassés. Le comique de caractère se double souvent, chez Molière, d'un comique social qui a une fonction satirique.

Il. »

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