ACTE III : Les Marquis. — Célimène et Arsinoé (Le Misanthrope de Molière)
Publié le 08/03/2011
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Mais, décidément, c'est le jour où tous ceux dont Célimène« berce l'ennui « ont juré de sortir d'incertitude. Nous savons déjà avec quelle ardeur Alceste et Oronte souhaitent que la coquette consente enfin à se prononcer. A leur tour, voici venir, dans des intentions toutes pareilles, Acaste -et Clitandre. La différence est qu'autant Alceste redoute de se voir trahi et Oronte d'être réduit au désespoir, autant les deux marquis s'assurent qu'ils ont toutes raisons de se croire près d'être heureux. Il apparaît ainsi que la coquetterie de Célimène est bien le ressort de l'action qui donne à la pièce tout son mouvement.
«
Elle attache du crime au pouvoir qu'ils n'ont pas.
Après quoi, les sentiments de Célimène pour Arsinoé nous étant connus, il est amusant de l'entendre appeler Dieului-même en témoignage du contentement qu'elle éprouve à recevoir la visiteuse.
Alceste et Clitandre sortent enriant ; nous rions avec eux : jurerions-nous de n'avoir jamais joué notre bout de rôle dans une scène toute pareille ?
Aussi bien, le jeu ne se prolongera-t-il pas.
Arsinoé y coupe court.
Dès les premiers mots, c'est la guerre.
Attaquebrusquée, dont la violence s'accompagne d'hypocrisie, prenant pour armes l'allusion et le mot à double entente, etcamouflant ses traits les plus perfides d'un semblant d'amitié charitable.
ARSINOÉ.
Madame, l'amitié doit surtout éclater Aux choses qui le plus nous peuvent importer ; Et comme il n'en est point deplus grande importance Que celles de l'honneur et de la bienséance, Je viens, par un avis qui touche votre honneur,Témoigner l'amitié que pour vous a mon cœur.
Hier j'étais chez des gens de vertu singulière, Où sur vous du discourson tourna la matière ; Et là, votre conduite, avec ses grands éclats, Madame, eut le malheur qu'on ne la loua pas.Cette foule de gens dont vous souffrez visite, Votre galanterie et les bruits qu'elle excite Trouvèrent des censeursplus qu'il n'aurait fallu, Et bien plus rigoureux que je n'eusse voulu.
Vous pouvez bien penser quel parti je sus prendreJe fis ce que je pus pour vous pouvoir défendre, Je vous excusai fort sur votre intention, Et voulus de votre âmeêtre la caution.
Mais vous savez qu'il est des choses dans la vie Qu'on ne peut excuser, quoiqu'on en ait envie ; Etje me vis contrainte à demeurer d'accord Que l'air dont vous vivez vous faisait un peu tort.
Qu'il prenait dans lemonde une méchante face, Qu'il n'est conte fâcheux que partout on n'en fasse, Et que, si vous vouliez, tous vosdéportements Pourraient moins donner prise aux mauvais jugements Non que j'y croie au fond l'honnêteté blesséeMe préserve le ciel d'en avoir la pensée ! Mais aux ombres du crime on prête aisément foi, Et ce n'est pas assez debien vivre pour soi.
Madame, je vous crois l'âme trop raisonnable, Pour ne pas prendre bien cet avis profitable, Etpour l'attribuer qu'aux mouvements secrets D'un zèle qui m'attache à tous vos intérêts.
Pas un mot qui ne fasse flèche, pas une flèche qui ne soit empoisonnée.
C'est le chef-d'œuvre du genre mielleux etfielleux.
La riposte de Célimène est terrible :
CÉLIMÈNE.
Madame, j'ai beaucoup de grâces à vous rendre : Un tel avis m'oblige, et loin de le mal prendre, J'en prétendsreconnaître, à l'instant, la faveur, Par un avis aussi qui touche votre honneur ; Et comme je vous vois vous montrermon amie, En m'apprenant les bruits que de moi l'on publie, Je veux suivre, à mon tour, un exemple si doux, En vousavertissant de ce qu'on dit de vous.
En un lieu, l'autre jour, où je faisais visite, Je trouvai quelques gens d'un trèsrare mérite, Qui, parlant des vrais soins d'une âme qui vit bien, Firent tomber sur vous, Madame, l'entretien.
Là,votre pruderie et vos éclats de zèle Ne furent pas cités comme un fort bon modèle : Cette affectation d'un graveextérieur, Vos discours éternels de sagesse et d'honneur, Vos mines et vos cris aux ombres d'indécence Que d'unmot ambigu peut avoir l'innocence, Cette hauteur d'estime où vous êtes de vous, Et ces yeux de pitié que vousjetez sur tous, Vos fréquentes leçons, et vos aigres censures Sur des choses qui sont innocentes et pures, Toutcela, si je puis vous parler franchement, Madame, fut blâmé d'un commun sentiment.
A quoi bon, disaient-ils, cettemine modeste, Et ce sage dehors que dément tout le reste ? Elle est à bien prier exacte au dernier point ; Mais ellebat ses gens et ne les paye point...
Pour moi, contre chacun je pris votre défense, Et leur assurai fort que c'étaitmédisance ; Mais tous les sentiments combattirent le mien ; Et leur conclusion fut que vous feriez bien De prendremoins de soin des actions des autres, Et de vous mettre un peu plus en peine des vôtres ; Qu'on doit se regardersoi-même un fort long temps, Avant que de songer à condamner les gens ; Qu'il faut mettre le poids d'une vieexemplaire Dans les corrections qu'aux autres on veut faire ; Et qu'encor vaut-il mieux s'en remettre, au besoin, Aceux à qui le ciel en a commis le soin.
Madame, je vous crois aussi trop raisonnable, Pour ne pas prendre bien cetavis profitable, Et ne l'attribuer qu'aux mouvements secrets D'un zèle qui m'attache à tous vos intérêts.
A l'attaque d'Arsinoé, sournoise et tortueuse, Célimène a répondu par un coup droit.
La promptitude de cette riposten'a d'égale que sa sûreté.
La redoutable escrimeuse a su, du premier coup d'œil, percer le jeu de l'adversaire,décider aussitôt de la parade, et retourner contre Arsinoé ses propres armes.
Arsinoé, on en juge à sa confusion, nes'était pas attendue à une si vigoureuse contre-attaque, et, croyant connaître Célimène, elle n'avait pas soupçonnéen elle ces ressources guerrières.
Célimène est sans pitié.
Elle a été provoquée, elle se défend.
Elle lutte contre une rivale : lutte sans merci.
Et puis,jeune, belle, aimée, adulée, avec cette foi dans la vie qu'aucune atteinte n'a encore affaiblie, elle a la cruauté bienconnue de la jeunesse.
Elle en a l'imprudence.
Apercevant Alceste, amené parle hasard, — qui souvent travaille pour les auteursdramatiques, —elle laisse avec lui cette rivale qu'elle vient de si cruellement offenser.
Combien n'aura-t-elle pas às'en repentir !
Arsinoé, d'ailleurs, aime-t-elle Alceste ? Qu'elle ait du penchant pour lui, ni Célimène.ni Eliante, n'ont manqué de s'en.
»
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