ACTE II, SCÈNES 1 et 2 des Fourberies de Scapin de Molière

« Alors qu'Argante allait s'éloigner pour entreprendre de « renverser lobs tacle » du mariage de son fils, Géronte leretient pour lui faire la moral( D'une proposition générale (il faut prendre soin de l'éducation des enfants il passe àune réflexion plus précise (les mauvaises actions des fils sont cau sées par la mauvaise éducation donnée par lespères), pour en venir à une accusation directe: c'est parce qu'Argante a mal éduqué son fils que celui-ci s'est malconduit.

Tel se présente Géronte à sa première apparition: un faiseur de morale hargneux qui se croit supérieur auxautres. Là-dessus se greffe l'effet comique: à son tour, en trois propositions, Argante met en cause la conduite de Léandreet laisse entendre à Géronte qu'il aurait mieux fait de se taire.

Comique fondé sur le thème de la paille Et de lapoutre (forme verbale du jeu scénique de l'arroseur arrosé), il permet de ridiculiser le nouveau venu et d'établirimmédiatement une hiérarchie entre les deux vieillards.

Cet effet comique, Molière l'a soigneusement stylisé: tandisque les propositions de Géronte allaient du général au particulier, celles d'Argente vont du particulier au général.

Deplus, les réflexions de Géronte était suivies des questions dubitatives d'Argante qui ne voyait pas où son compèrevoulait en venir; et c'est au tour de Géronte de manifester son incompréhension, d'abord par des questions («comment ? « Qu'est-ce que cela veut dire? »), puis par un aveu qui révèle qu'il ne va pas comprendre ce qu'il a trèsbien compris: «Je n'entends point cette énigme.

» Père et fils: un jeu de symétrie inversée Progressivement nous voyons se constituer sous nos yeux le deuxième groupe de personnages.

La scène 1 quifaisait apparaître Géronte est complétée par la scène 2 où le fils vient à la rencontre du père.

Molière ainsi inversé lasituation du premier acte qui mettait en scène le premier groupe de personnages: le fils apparaissait avant lepère et, se sachant coupable à ses yeux, ils'enfuyait à son approche; aussi la premièrerencontre entre Argante et Octave n'aura-t-elle lieuqu'a la scène 10 de l'acte III, c'est-à-dire àl'extrême fin de la pièce.

Tout au contraire Léandre,ignorant qu'il vient d'être mis en cause, se croitinnocent aux yeux de Géronte et se précipite verslui, Molière ayant pris bien soin de préciser: «courant vers lui pour l'embrasser».

Au bout du compte, sur le plan de l'intrigue, le résultat est lemême : Géronte menace de déshériter Léandre (« s'ilfaut que tu me déshonores, je te renonce pour monfils »), comme Argante veut déshériter Octave s'ils'oppose à la rupture de son mariage ; et le jeunehomme, de même que son ami, ne réapparaîtra plusdevant son père jusqu'au dénouement. Par là, cette scène instaure un dialogue d'uncaractère bien particulier: le dialogue entre la fausseinnocence sûre d'elle et le soupçon mal assuré quicherche à en savoir plus.

L'effet recherché parMolière est celui de l'ironie de situation : seul lepublic est informé de tout ; il sait que Léandreignore que Géronte a appris qu'il est coupable ; maisil sait aussi que Géronte ne connaît pas le détail dela « faute » de Léandre.

Comble de l'ironie : Scapinest dénoncé comme l'auteur de l'information. La préparation du quiproquo Il va de soi que ce qui compte le plus dans cettescène 2 — et c'est ce à quoi déjà la dispute desvieillards à la scène 1 était partiellement destinée —est la mise en place du quiproquo dont vont êtresuccessivement victimes Scapin, puis, parcontrecoup, Géronte.

C'est en effet Argante qui lepremier met en cause Scapin devant Géronte:Scapin, dit-il, lui aurait laissé entendre que Léandreaurait fait encore pire qu'Octave (fin de la scène 1).Géronte ensuite se contente de répercuterl'information à Léandre, sans en préciser la source: «Scapin pourtant a dit de vos nouvelles », ce queLéandre interprète à tort comme un aveu direct deScapin à son père: « Il vous a dit quelque chose demoi? De là le premier quiproquo dont Scapin sera la. »