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ACTE II, SCÈNE 3 (Electre de Giraudoux)

Publié le 17/01/2022

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Ainsi, de bienveillant, le langage est devenu un persiflage ambigu, d'abord incompréhensible pour Oreste (« Que dit-elle ? », demande-t-il, p. 83), avant d'être une source de malaise et de désarroi. Ayant abandonné leurs masques les Euménides reprennent leur visage habituel, ce que signale l'effet de rupture de l'exclamation : « Parlons-en du printemps ! » Elles recouvrent leur identité initiale, telle qu'elles la définissaient au début de la pièce : « Nous mentons. Nous médisons. Nous insultons » (acte I, scène 1).

« (cf « La distanciation tragique », p.

48).

L'humour est glacé, voire macabre : « Je te perds ta vie, et je m'excuse » ; « Ils enlèvent leur tête pour se saluer.

» Contrepoint du tragique et du pathétique, cette ironie ne peut laisserindifférent.

Elle oblige le héros à la clairvoyance et aux choix conscients. Bonheur et conscience : un problème de légitimité Le bonheur est-il légitime ? Telle est la question que soulève le personnage d'Oreste.

Le frère d'Électre rêve d'unevie paisible, sans complication.

Aussi ne peut-il que reconnaître ses propres visions dans les propos ironiques desEuménides brossant le tableau conventionnel du bonheur où se conjuguent la royauté, l'amour et même le printemps(« Les jeunes filles dans les parcs royaux qui donnent du pain au cygne » ; « C'est magnifique, l'amour, Oreste ! Onne se quitte jamais, paraît-il ; « le dos un peu mouvant des animaux qui broutent l'herbe »). Oreste est bien prêt à succomber à cette tentation.

Il est tenté de se laisser aller, de s'en remettre au hasard («Pourquoi ne pas prendre la première route et aller au hasard ? »).

la légilimité d'une quête de la vérité, à la traceque veut suivre Électre, Oreste oppose « la piste de ce gibier qui s'appelle le bonheur ».

Il propose un ailleurs (laThessalie), une maison (et non un palais) « perdue dans les roses et les jasmins ».

Pour toute autre qu'Électre,l'ambition d'un tel bonheur serait légitime ; pour elle, il s'agit d'un relâchement de la volonté.

Seuls doivent compter« la haine de l'injustice et le mépris du petit bonheur ».

C'est le rôle qu'elle assigne aux femmes : éviter aux hommesde reprendre dans leur sommeil « l'armure du bonheur ». Dès lors, à la légitimité du bonheur est substituée celle de la conscience.

Non seulement Électre parvient à réveillerOreste, mais elle réveille sa conscience, d'où l'importance de ce terme dans la scène, d'où l'objurgation redondanteet parfaitement révélatrice : « Réveille-toi de ce réveil.

» Le bonheur est sacrifié au nom du devoir.

Le rôle d'Électrese définit en fonction de celui de toutes les femmes (« Épouses, belles-soeurs, belles-mères, toutes [...] »).

Si laconscience d'Oreste est passive, celle d'Électre est active : le premier est réveillé, la seconde réveille.

Aussi le rôledes femmes est-il légitimé par Électre parce qu'il est une conscience dynamique : « Mais elles sont là, toutes,sculptées par l'insomnie, avec la jalousie, l'envie, l'amour, la mémoire : avec la vérité.

» Fatalité et responsabilité Un des problèmes majeurs que pose la scène est celui de la responsabilité.

Dans une tragédie, les personnages,parce qu'ils sont des héros dépendants, ne peuvent échapper à un destin supérieur.

Il n'en sont pas les artisans,même si leurs actes, leurs pensées ou encore leurs paroles, ainsi que leur passé, peuvent traduire et représenterune certaine part de responsabilité.

Leurs choix sont réduits.

Il sont, dans l'optique classique, les jouets des dieux,des victimes toutes désignées. Or, dans la présente scène, les protagonistes Électre et Oreste sont autant soumis à une fatalité externe (lescirconstances) qu'à une fatalité interne (leurs actes et leurs paroles).

Lorsque Oreste s'éveille, il est la proie desEuménides tentatrices aussi bien que de l'influence directe de sa soeur.

L'image de la « pieuvre » (« Glissons-noushors des bras de cette pieuvre qui va nous enserrer tout à l'heure ») ne représente-t-elle pas la positionirresponsable d'Oreste, placé malgré lui devant une situation impossible (la tentation du bonheur et le devoir à accomplir) ? Il est en état de dépendance aussi bien vis à vis des Euménides (la tentation) que de sa soeur (ledevoir).

Il est ainsi incapable d'exercer son libre arbitre.

L'incitation finale à l'action (« Prends ton épée.

Prends tahaine.

Prends ta force ») est éloquente.

Elle est l'écho direct des propos des Euménides qui voyaient l'épée d'Orestebouger (I, 12).

Après tout, Oreste s'éveille-t-il en pleine autonomie ? Quant à Électre, l'éveilleuse de la conscience fraternelle, la « pieuvre » qui emprisonne Oreste (c'est ainsi quel'identifient les Euménides), est-elle libre, pleinement responsable, ou n'est-elle que le jouet de ses visions nocturnes? Son don de devineresse n'est-il pas aussi donné comme une fatalité, c'est-à-dire le masque d'une véritableparanoïa (obsession de la vérité, mission à accomplir) qui l'obligerait à sacrifier un frère tant aimé, auquel on aseulement le droit de demander pardon ? Électre le dira : elle obéit à sa vocation de femme.

Or, peut-on échapper àce qui est d'abord un destin ? Le problème reste entier.

Il est propre à l'univers tragique de Giraudoux dont les personnages sont à la foisresponsables et irresponsables parce qu'ils sont soumis à une fatalité ambivalente, externe et interne tout à la fois.Il est vrai que les héroïnes, qu'elles aient nom Andromaque, Hélène, Ondine, Alcmène, Isabelle ou Électre sont leséléments majeurs du tragique giralducien, où les femmes ont un rôle prépondérant.

Tel est bien l'avis de Claude-Edmonde Magny qui affirme dans Précieux Giraudoux : « [...] ce sont toujours, chez Giraudoux, les femmes qui sauvent les peuples et redressent les situations, tiennent en échec le destin et s'entretiennent avec les morts.

». »

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