A UN FONDATEUR DE VILLE - JOSÉ-MARIA DE HEREDIA
Publié le 18/02/2011
Extrait du document
Las de poursuivre en vain l'Ophir insaisissable, Tu fondas, en un pli de ce golfe enchanté Où l'étendard royal par tes mains fut planté, Une Carthage neuve au pays de la Fable. Tu voulais que ton nom ne fût point périssable, Et tu crus l'avoir bien pour toujours cimenté A ce mortier sanglant dont tu fis ta cité; Mais ton espoir, Soldat, fut bâti sur le sable. Carthagène, étouffant sous le torride azur, Avec ses noirs palais voit s'écrouler ton mur Dans l'Océan fiévreux qui dévore sa grève; Et seule, à ton cimier brille, ô Conquistador, Héraldique témoin des splendeurs de ton rêve, Une ville d'argent qu'ombrage un palmier d'or.
JOSÉ-MARIA DE HEREDIA.
Dans la partie des Trophées intitulée Le Moyen âge et la Renaissance, huit sonnets sont consacrés aux Conquérants, et parmi eux, les trois derniers évoquent Carthagène de Indias, cité au nom évocateur dont le souvenir prestigieux semble avoir obsédé le poète descendant de Pedro de Heredia, le fondateur de ville.
«
:
Depuis Drake et l'assaut des Anglais mécréants,Tes murs désemparés croulent en noirs décombresEt, comme un glorieux collier de perles sombres,Des boulets de Pointis montrent les trous béants.
L'Océan est fiévreux parce que l'eau est chaude et que le climat de la côte engendre la fièvre.
La ville est entouréede lagunes.
Un bras du Magdalena a tendance à s'envaser, mais d'autre part, l'Océan ronge les cordons littoraux, «dévore sa grève ».
Peut-être cette érosion a-t-elle contribué à faire écrouler le mur « bâti sur le sable ».
Ainsil'espoir du fondateur n'a pas été entièrement réalisé et la ville a connu toutes sortes de vicissitudes.
Il fauttoutefois remarquer que cette strophe semble légèrement contredite par la troisième strophe du sonnet suivant :
Assise sur son île où l'Océan déferle,Malgré les siècles, l'homme et la foudre et les vents,Ta cité dresse au ciel ses forts et ses couvents;
Carthagène, appelée par Bolivar « cité héroïque », a actuellement 130 000 habitants.L'apparente contradiction peut s'expliquer par le troisième et dernier sonnet consacré à Pedro de Heredia.
Le «mortier » ne lui a pas assuré l'immortalité parce que la ville fut prise par Drake en 1585 puis par le capitaine françaisPointis en 1697, (dates données par Heredia), et parce que sa puissance matérielle a diminué.
Après avoir été, de1582 à 1735 le grand port colonial où chaque année la « flota » (convoi de galions escortés) de Cadix faisait escale,elle est détrônée maintenant par le port voisin de Barranquilla.
IV - L'IMMORTALITÉ ASSURÉE PAR LE BLASON
Le premier tercet donnait, par son rythme, une impression d'effondrement.Le deuxième tercet rappelle la première strophe : il commence par un adjectif, le second vers est une apposition, etenfin le dernier fait apparaître comme une vision étincelante la ville ressuscitée et immortelle.Le cimier est l'ornement extérieur de l'écu (corps de blason en forme de bouclier) qui surmonte le casque.
C'est doncle blason, l' « héraldique témoin », et non la conquête, la construction matérielle, qui confère l'immortalité.Heredia aimait tellement ces armoiries qu'il les a évoquées dans le sonnet suivant :
...
un palmier ombrageantDe son panache d'or une ville d'argent.
Comme en général dans les sonnets de Heredia, le dernier vers est un tableau fait de deux images complémentaires,une porte ouverte sur le rêve.
Ce blason est symbolique.
Il suggère que seule la poésie, l'art sont éternels.
Lessonnets de Heredia ont la pureté, la netteté d'un emblème héraldique : c'est la doctrine de l'art pour l'art :
Tout passe.
— L'art robusteSeul a l'éternité :Le busteSurvit à la cité.
(Gautier : L'Art.
1857).
Treize ans avant Gautier, Vigny avait célébré la valeur de la poésie dans certains vers de La Maison du Berger qu'onpeut appliquer au rêve de Pedro de Heredia :
...
Comment se garderaient les profondes penséesSans rassembler leurs feux dans ton diamant pur,Qui conserve si bien leurs splendeurs condensées?Ce fin miroir solide, étincelant et dur,Reste des nations mortes, durable pierreQu'on trouve sous ses pieds lorsque dans la poussièreOn cherche les cités sans en voir un seul mur.
Ce poème produit une impression nostalgique, évoque une splendeur immobile et calme :
Là tout n'est qu'ordre et beauté.
»
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