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A. MAUROIS écrit que « les hommes ont toujours vécu au-dessus d'un abîme » et que cette situation ne les a pas empêchés « d'aimer, de travailler et de créer ». Que pensez-vous d'une telle affirmation ?

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

« Les hommes ont inventé le destin afin de lui attribuer les désordres de l'univers qu'ils ont pour devoir de gouverner », écrit ROMAIN ROLLAND. C'est là sans doute cet « abîme » auquel fait allusion MAUROIS. Car l'bomme qui se rend compte bien vite qu'il naît pour mourir quelque cinquante à quatre-vingts ans plus tard — si peu face au Temps ! — a été dès ses origines frappé par sa propre petitesse, sa faiblesse devant des forces plus grandes et d'un autre domaine que lui. La condition humaine ? Comme l'homme est le seul animal capable de réfléchir et concevoir, n'est-il pas le seul aussi à prendre conscience de ses dimensions dans l'univers ? Mais si l'angoisse saisit certains, tel PASCAL qui définit cette condition par « inconstance, ennui (= tourment moral), inquiétude », la masse des humains ne se révèle-t-elle pas besogneuse, résistante, croyant en sa famille, ses amours, ses actes et même une liberté qui lui permet de se raidir contre soi-même et contre le sort ?

« en éveil, l'homme joint une grande vigueur laborieuse.

L'homo faber apparaît tôt sur la terre ; ingéniosité d'esprit etingéniosité manuelle s'allient pour obtenir ces découvertes quotidiennes, progressives, que VOLTAIRE chante auXVIIIe siècle dans Le Mondain : instruments de sauvegarde, de progrès, de confort sont trouvés et perfectionnés aucours des siècles.

Qu'est-ce qui est le plus à louer : la chaise, le lit, les vêtements, la parure, le chariot, le navire,la maison...

? L'homme courant défend et adoucit sa vie de tous les jours avec patience et imagination.

C'est unelutte quotidienne contre les difficultés matérielles, une lente réussite transmise de proche en proche.

Il ne se soucieguère alors du gouffre sur lequel le place sa destinée de mortel ou si oui, c'est pour tenter de trouver des solutionsau moins immédiates.

Le mythe de Prométhée est l'illustration de son premier grand succès : savoir faire du feu etl'entretenir, le conserver, l'utiliser pour davantage que se réchauffer ou cuire ses aliments, mais fabriquer armes etoutils meilleurs à chaque fois.

C'est une épopée millénaire que ce travail de fourmis des hommes, épopée héroïqueaussi où perce le génie créateur de l'homme.

Créateur de tout ce qui lui a été nécessaire, avec une explosionparticulière depuis deux siècles où il réalise ses vieux rêves : sous-marin, avion, marche sur la lune entre autres,lutte contre la maladie où il gagne de plus en plus de terrain, prolongeant ainsi sa longévité, et surtout contre ladouleur, avec les spectaculaires progrès de l'anesthésie et de la chirurgie, sans compter prothèses, médicamentsdivers, appareils sophistiqués...Or ces créations sous-entendent les découvertes scientifiques —mathématiques, physique, chimie, biologie, ...

—qui se sont multipliées à partir du XVIIIe siècle, tandis que depuis les origines les créations humaines dans ledomaine intellectuel et artistique ont fleuri.

Dès la préhistoire nous trouvons sous toutes les latitudes d'admirablesvestiges architecturaux, sculpturaux, picturaux.

Quant aux arts du langage, d'abord oraux (poésie et débuts duthéâtre), ils laissent, de la Chine à la Grèce d'exceptionnels chefs-d'oeuvre.

Certes bien des artistes frémissent des« abîmes » qui menacent l'homme.

Ils ne font qu'y puiser mieux encore leur inspiration.

Ce sont les pages sublimesdes Pensées de PASCAL (Les Deux Infinis), les vers bouleversants de BAUDELAIRE, les hautes méditations desversets claudéliens, les romans de MAURIAC, le théâtre d'Ionesco, sans parler de tous les grands romantiques, detous les philosophes dont les concepts se dessinent depuis la Grèce antique (PLATON), les temps modernes(SpiNozA), l'époque contemporaine (Nietzsche, BERGSON, BACHELARD...).

Il est fort injuste de ne citer que lescréateurs indo-européens et de ne pas nommer tous les grands artistes et penseurs.

Alors la notion d'abîme qui serattache à notre destinée est dominée, puisqu'elle devient création artistique ; c'est bien ce que faisait déjàSOPHOCLE écrivant Œdipe roi au Ve siècle av.

J.–C.

Oui, voici les héros de l'épopée humaine, ces créateurs et leurscréatures grâce auxquelles ils deviennent presque des démiurges.— Cependant le reste de l'humanité remplit bien son rôle, quotidiennement, de générations en générations, d'autantmieux que la solidarité est plus sensible, que ce qui est entrepris et réalisé l'est parallèlement à l'éclosion dessentiments, autre spécificité de l'homme.

Ce dernier parallèlement à ses progrès scientifiques et techniques,matériels, artistiques et intellectuels, a su fonder, tisser les groupes sociaux.

En particulier la famille.

Il y aurabeaucoup à dire contre elle, et les romanciers modernes ne s'en priveront pas.

Elle représente pourtant un despiliers de cette autre force humaine : l'amour.

Là encore au lx' siècle av.

J.–C., HOMÈRE fait ressentir les lienstouchants d'affection humaine : Andromaque disant adieu à Hector qui part au combat exprime ainsi son amour,alors qu'elle craint pour la vie de son mari : « Hector, tu es à la fois mon père, ma mère, mes frères et mon jeuneépoux.

» C'est aussi le délicieux passage où, dans l'Odyssée, la charmante Nausicaa demande à son « papa chéri »une autorisation qu'elle obtient en le cajolant.

Amour familial, qui peut devenir dévouement total : celui d'Antigone(Sophocle) guidant son père aveugle, ou préférant la mort à priver son frère d'une sépulture rituelle.

Que d'histoiresd'amour à travers les oeuvres littéraires, comme au fil de la vie ! Il peut être passion, ainsi Didon pour Énée : elle sefait brûler sur le bûcher qu'elle a édifié elle-même lorsque son amant l'abandonne (VIRGILE : Enéide).

À partir duMoyen Âge et des Temps modernes, les manifestations d'amour se multiplient de Tristan et Iseult à Roméo etJuliette, à Manon Lescaut ou aux amours réelles et célèbres : celles de Mlle DE LA VALLIÈRE pour Louis XIV, d'Eluardpour sa femme NUSH, d'ARAGON pour ELSA ou de MUSSET pour GEORGE SAND...

sans pouvoir parler de toutes lespassions anonymes, celles qui sont heureuses et se muent en tendresse, le dernier vivant suivant parfois très vitedans la mort son conjoint disparu...

Amours plus virulentes aussi, qui s'agitent et se rompent ou qui vont mêmejusqu'à alimenter les faits divers.

Émerveillement des premières rencontres, tendresses tissées au cours de viescommunes, amitiés indestructibles sauf par la mort (MoNTAIGNE et LA BOÉTIE), haines également — le revers —déchirant familles ou clans...

amour pour les dieux, pour la patrie, pour l'Idéal, amour...

ou vengeance, ressortshumains essentiels.Ainsi « fatalité, providence, livre du destin ou livre de Dieu, écrit Vigny dans le Journal d'un poète..., vous êtes uneseule puissance qui fait de moi ce qu'il vous plaît, que je ne dois ni bénir ni maudire, mais ignorer jusqu'à la mort.Voilà la réalité.

» De plus en plus au cours des millénaires de son histoire, l'homme a pris conscience de cette forcequi le mène.

Il s'en est angoissé, mais a souvent sublimé son effroi en élans lyriques, musicaux ou picturaux,architecturaux aussi (les hautes cathédrales gothiques ne sont-elles pas un cri d'amour vers Dieu ?), donc encréations grandioses, actes généreux, sentiments solides...

ou simplement à travers les « choses de la vie ».

Carl'humanité dans son ensemble, patiente et besogneuse, sentimentale et active, imagine, aime, oeuvre, vit sans tropse soucier de ce qui l'attend, en « cultivant son jardin » comme le lui conseille le Candide de VOLTAIRE.

Certesl'homme est plus grand lorsque lucidement il affronte de face sa destinée et ainsi la domine.

Mais n'est-ce pas aussiune tentation dangereuse qui, si elle n'a pas l'appui d'une croyance (les mystiques) ou d'une doctrine (les stoïciensentre autres), peut conduire à des excès répréhensibles.

Quand le Don Juan du Don Giovanni de MOZART crie « non,non » jusqu'à la perdition, face à son destin, même s'il fascine, ne vaut-il pas mieux le bon vieillard de Candidemenant son bonhomme de chemin sans se soucier des vicissitudes du sort des grands de ce monde, entretenantdans sa famille une atmosphère de tendresse équilibrée, recevant ses hôtes le mieux possible, s'appliquant à ce queson travail éloigne de lui les « trois grands » maux dont souffre trop souvent l'humanité : « l'ennui, le vice, et lebesoin ».. »

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