A LA LUMIÈRE D'HIVER de Philippe Jaccottet
Publié le 06/09/2012
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3) Unité a- Progression Car, malgré cette disparité, on observe une grande unité dans tout le recueil 1- Du début précipité, exprimant lʼurgence à parler, à la fin marquée par un apaisement, un ralentissement, de la panique, de la fuite éperdue devant la mort à un accord avec le monde, à lʼacceptation de cette mort ; de la victime traquée à une vision cosmologique du monde. 2- De la parole vitale, à lʼéloge qui parvient à sʼélever 3- Du premier poème à lʼavant-dernier sʼécrivent des échos : impatiemment rappelant patiemment ; le mot graine apparaissant dans les deux textes. Le mot encore, si fréquent dans les autres recueils, semble servir de fil directeur aux poèmes, du premier à lʼavant-dernier, le quintil final faisant fonction de clausule. b- complémentarité Les deux sections dʼA la lumière dʼhiver se complètent de façon dialectique : lʼaction faisant place à la réflexion, le poète sʼarrachant à ses ratiocinations pour faire «ce simple pas risqué dehors« (I3) («je sors enfin, je passe« II,1, 30), quittant le mot écran pour entrer dans le monde, et finir par retrouver la neige-écran qui voile, cache sans dérober, 2
«
mon coeur, dont il sait quʼil ne «la rejoindr[a] pas plus que les autres» - «reine du bal où nul ne fut jamais convié»3
Di encore cela faisait allusion aux «seins nus».
Dans le premier poème, elle s ʼefface, faisant place à la nuit.
Elle n ʼest qu ʼune étape, dépassée.
C ʼest «autre chose» que cherche le poète, au-delà de la belle sansrelâche poursuivie, autre chose de plus caché, mais de plus proche Et de fait, le poème fait disparaître les allusions à cette femme sensuelle : l ʼallégorie disparaît aupro fit du seul sensible.
Subrepticement, les deux premiers poèmes sont rejetés dans le non-dit, le non-écrit, produits d ʼune illusion et illusion eux-mêmes.
Encoreune fois, Jaccottet nous mène aux portes du silence par la promesse d ʼune page suspendue au bord d ʼune page blanche.
Dans le poème suivant, Jaccottet va semettre à l ʼécoute des «invisibles bêtes», venue boire «dasn l ʼeau invisible».
Il va délaisser le voir, II- Mais cette femme sensuelle, étrangère, s'efface du texte auprofit d'une autre figure féminine plus discrète et plus proche 1) Figures multiples A la différence de la femme noire, cette femme peut en désigner plusieurs :compagne tendre ou détournée, servantes si dociles de nos rêves ou vieux visage suppliant Elle est celle vers qui le poète revient, remonte après s ʼêtre laissé fascinépar la dame de la nuit, celle vers laquelle convergent tous les poèmes de la fin du recueil.
3) différence : la première est vue en pied, elle est grande, et les voilestombés du jour révèlent ses pieds, la seconde, au contraire, n ʼest - qu ʼun visage - je me ressouviendrai de ce visage, qui change avec ses yeux limpides - ou desyeux : «beaux yeux clairs», à la clarté bleue (II9) fi dèles yeux (II10) yeux impatiemment fidèles (II9) 2) Au contraire de la première, indifférente, altière, mêmesi les éclats qui percent à travers les mailles du masque sont des perles ou des larmes, la femme proche est - une femme suppliante, impatiemment fidèle - en pleursavec ses larmes répandue sur le visage proche (II6) yeux limpides ou en larmes (II9) Ces deux figures féminines, l ʼune sensuelle mais se dérobant, l ʼautre prochemais douloureuse, étaient réunies en le deuxième poème d ʼautres chants, On aura vu aussi ces femmes —en rêve ou nonmais toujours dans les enclos vagues de la nuit— A saveuur de fruit ruisselant, un fruit, mais qui aurait un regard—et des larmes.
Quel est le statut des images dans la poésie de Jaccottet En raison du travail de déstructuration opéré par Jaccottet sur la prosodie, raréfaction de la rime,hétérométrie très prononcée, de tous les éléments qui instituent traditionnellement le texte en poème, on pourrait penser que la poésie naîtrait chez lui d ʼabord durecours aux images.
Or, l ʼimage est sans cesse remise en question dans les recueils de Jaccottet de la maturité, Leçons, Chants d ʼen bas et A la lumière d ʼhiver.Jaccottet la désigne de manière générique : mais l ʼimage recouvre comparaison, métaphore, surtout, et aussi allégorie.
I- L'image est contestée 1) Un refus réaf firméJʼaurais voulu parler sans images On ne voit plus en eux que des images 2) Un refus réalisé dans le corps du texte Les textes qui commencent par un jaillissementd ʼimages subissent un travail d ʼaltération, de dissolution, d ʼeffacement : Et moi tout entier dans la cascade céleste / La multiplication des images destinée à évoquerla sensation fait place à un deuxième tableau, une épure ; le4La montage ? Même constat pour les deux poèmes qui ouvrent la deuxième section d ʼA la lumièred ʼhiver.
3) Justi fication de ce refus - l ʼimage est souvent une une façon de se couper du monde, au lieu de s ʼen rapprocher : me couvrant d ʼimages les yeux : des ʼaveugler de se protéger du monde au lieu de le dire, ce qu ʼaf firme Jaccottet a contrario : Parler pourtant est autre chose quelquefois, que se couvrir d'un bouclierd'air ou de paille - facilité : splendeur des images utilisées : Fleurs, oiseaux, fruits, c'est vrai, je les ai conviés, je les ai vus, montrés Le poète tend à choisir dans lemonde les éléments qui y sont déjà images, qui se distinguent apr leur trop-plein, leur fertilité, aussi bien printanière, qu'estivale ou automnale.
Plus, il peut êtretenté de jouer avec le feu, d ʼen faire varier les signi fications à sa guise, l ʼimage du feu peut être utilisée de multiples manières par le poète.
Il est rouge, il se laissecomparer au tigre ou à la rose4
Poème japonais en trois vers.
C'est matière à poème depuis toujours.
L ʼimage suscite des associations diverses, végétales, animales, sensuelles, mais elle n ʼaffecte pas, elle se produit sans vousbrûler.
Elle est arbitraire et inoffensive.
Jaccottet, qui avait peu de goût pour le surréalisme5 , rejette la conception de l ʼimage propre aux surréalistes, pour qui laqualité de l ʼimage tient au contraire à son plus haut degré d ʼarbitraire : L ʼimage surréaliste la plus forte est celles qui présente le degré d ʼarbitraire le plus élevé,celle qu ʼon met le plus longtemps à traduire en langage pratique.
- il arrive que les images se figent : Un homme qui vieillit est un homme plein d'images raidescomme du fer ou bien, une fois disparue l ʼexaltation qui avait suscité le jeu d ʼimages, elles perdent leur substance : retombé à terre, on ne voit plus en euxprécisément que des images ou des rêves.
(CH, I,6) Ou bien elle est inapte à saisir cet autre chose, ce qui n ʼa ni forme, ni visage, ni aucun nom ce qu ʼon en peutapprivoiser dans les images heureuses, ni soumettre aux lois des mots.
- il arrive aussi qu ʼen raison du poids des mots, la réalité se fige : trop facile de jongler avecle poids des choses une fois changées en mots ! II- Réhabilitation 1) Nécessité des images : a- l ʼimportance du voir dans la poésie de Jaccottet Qu'est-ce donc que lechant? Rien qu'une sorte de regard af firme Jaccottet dans Poésie.
La poésie restitue C'est par les yeux ouverts que se nourrit cette parole.
Rappelle-toi le cormier,rappelle-toi l'aubépine (CH,II, 1) Comment une poésie du regard pourrait-elle se passer du visuel ? b- Certaines images font partie d ʼune conception du monde,recréent constamment l ʼunivers qui lui est si cher 1Le monde extérieur, du plus grand au plus petit - astres (Lé, 7), dans l ʼespace (LU, II10), météore (Le, 16), étoile(Le, 6), comète (Le, 15)
Breton dé finit le surréalisme: «Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, lefonctionnement réel de la pensée en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale».5
- montagne (Le, 12), cascade (Le, 21) - soleil (Le, 22 - semence (Leç, 4, 22 ; Lu) - oiseaux (, plumes des nuages, vols plus blancs (LU,II8) - barque (Le, 18, 20 ;Ch, I, 4, «guéer même la mort» ; Ch, I, 5, LUI, 2) b- le monde de l ʼintimité - maison, avec barrières de sa vie» (Leç, 5), enclos (Le19) clés (clé dorée Lu, I4, LU,II2), porte qui grince sur ses gonds((Ch, II, 1; porte peinte du jour , Lu, II1) pierre (Je l ʼai vue droite et parée de dentelles : pierre mal aimée profond dans l ʼaubierdu coeur, LU, I, 3)) - bougie, qui est tantôt réelle, tantôt métaphorique (Lu, II9) comme ce cierge du poème liminaire des Chants d ʼen bas.
«Elle est déjà comme sonpropre cierge, éteint».
c- le vêtement - tissu (noeud d ʼairLe, 12, 13, déchirure Le, 12, 14 enveloppe, Le11, navette du métier à tisser (Le, 17), ouvrage de dentellièrequi s ʼoppose à la trame simple du tissu, brumes dont on s ʼenveloppe; Ch, I, 1; Ch, I, 8 «Déchire ces ombres en fin comme chiffons» ; ou «fourrure de soleil».
LU, I, 4(«le fil de la mort»), voile ( LU, II, 1 d- les quatre éléments - «verre fragile de l ʼaube» (Ch, I, 3) - feu (Ch, I, , 5, «fumées»; 7, «ces feux timides, nos paroles»),étincelles (LU, I1) - images animales (cabrer Ch, I4), femmes animales dans Ch, II, 2, chauve-souris ou taupe (Ch, II5) e- Cette récurrence des images rend encoreplus remarquable l ʼapparition d ʼimages plus rares : - canne obscure
2) Pouvoir de l ʼimage a-l ʼimage permet la synesthésie, l ʼexpression des sensations qui se mêlent b- Les images toutes ensemble forment un réseau images, unehomogénéité ; il existe comme une circulation entre les
c- l ʼimage n ʼenferme pas le sens : elle le recueille : polysémie, syllepse : elle laisse apparaître le propre et le figuré.
Pour expliquer sa dé fiance vis-à-vis de l ʼimage,Jaccottet passe par l ʼexemple de la métaphore filée, avec un jeu de syllepse sur le feu : le feu est d ʼabord celui du foyer, mais aussi la figure de la mort d- L ʼimage aun pouvoir d ʼépiphanie : elle fait apparaître ce qui ne se voit pas ; elle est le visible exprimant l ʼinvisible e- immédiateté de l ʼimage et hermétisme de l ʼimage : elleest double : elle s ʼoffre tout en gardant une part de réserve, de résistance : elle s ʼoffre et se retire en même temps, elle contraint le lecteur à la peser, la penser.
f- On comprend donc pourquoi les images sont réparatrices, balsamiques : Des images quand même passent elles réparent l'espace relie, tisse en hâte, encorehabille-nous couvre-nous d'un dernier pan doré de jour Un exemple les qualités des images réussies L ʼhiver, le soir.
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