Vienne en 1900 (culture)
Publié le 17/09/2011
Extrait du document

L'esprit viennois est un équilibre subtil de conservatisme tempéré par un mélange de frivolité et d'insouciance. La valse, invention du début du XIXe siècle, adoptée définitivement par Vienne et les salons, n'est pas seulement une danse. Illustrée par la famille des Strauss (Johann-père et fils), elle est un symbole parfait du goût viennois combinant sens de la fête et recherche du plaisir.

«
contemporains comme ceux de Rodin ou de Van Gogh, mais aussi la tradition plus anc ienne et
spécifiquement viennoise
de l'art baroque est
représentée, sans oublier les emprunts orientaux
à
la Grèce ou à Byzance.
Angoisse
et fascination de la mort
La société viennoise aime que les arts lui ren voient une image agréable d'elle-même, qui
flatte son goût du plaisir et excite sans le heurter
son sens esthétique.
Mais , derrière la façade
séduisante qu ' offre cette société , des zones d'ombre apparaissent.
Plusieurs observateurs
attentifs , tantôt inquiets , tantôt impitoyables ,
s'obstinent à dépasser les apparences.
Un écri
vain comme Arthur Schnitzler (1862-1931), qui,
dans ses pièces (la Ronde), ses nouvelles et ses romans (Mademoise lle Else), fait revivre la haute
société vienno ise , cherche à nous faire entrer
dans les profondeurs de l'âme de ses person
nages .
Ces profondeurs sont toutes remplies de
ténèbres , d ' angoisses, d'appétits où la sexua lit é
domine.
Dans une de ses nouvelles , Lieutenant
Freud , inventeur ......
de la psychanalyse, bouleverse la vision antérieure de l'homme.
Il enrichit la connaissance de l'âme humaine en révélant l'existence de l'inconscient.
Il montre l'importance des rêves dans la vie psychique et celle de la sexualité dans la façon dont se construit la personnalité d 'un individu.
Gustl (1900), Schnitzler fait le portrait d'un militai
re obéissant au «Code de l'honneur» (obli gation
de se battre en duel en cas de défi).
En fait,
l'homme
est en proie à une folie suicidaire , ce
qui se traduit par la manie de provoquer des
adversaires en duel pour des raisons futiles.
Dans son premier roman , Les Désarrois de
l'élève T6rless (1906) , Robert Musil (1880-1942)
nous décrit les arrière-plans inquiétants d' un
lycée militaire dont l'organisation hiérarchisée
masque en réalité un univers de violences:
cruauté , masochisme et sadisme y définissent les
liens entre les êtres.
On est bien loin ici d' un uni
vers d'opérette ..
.
Les peintres multiplient eux aussi les images
angoissantes et morbides.
Leurs visions de
l'amour n'ont rien de léger, rien de frivole.
Dis
ciples de Klimt , Egon Schiele ( 1890-1918) ou
Oskar Kokoschka (1886 -1980) sont beaucoup
plus violents que leur maître.
Schiele a le même
goût que Klimt pour les nus féminins , mais les
siens révèlent un érotisme agressif.
Dépouillés de
tout environnement décoratif, les corps sont fixés
dans une tension extrême : on sent qu 'ils ont
renoncé à toute expression séduisante; ils font
seulement voir l'ango isse qui les étreint.
En littérature, on trouve des évocations sem
blables , où l'érotisme est comme envahi par l a
peur
et la fascination pour la mort.
L 'Elektra
(1909 ) de Hugo von Hofmannsthal (1874- 1929) ,
écrivain et poète viennois , est proch e de la Judith
peinte par Klimt à deux reprises: héroïnes
! La vie intellectuelle a viennoise s'est développée autant sous les kiosques à musique des jardins du Prater qu'à l ' ombre des rayonnages de la bibliothèque nationale dans ce décor baroque , si présent dans l'âme autrichienne.
antiqu es, ce sont surtout des femmes névrosées,
minées par les frustrations et submergées par des
pulsions sanguinaires.
Derrière la nostalgie de la tradition et le goût
des plaisirs frivoles qui caractérisent l'esprit vien
nois se profilent a insi de dangereux penchants ,
dominés par l'envahissement du souvenir, la peur
panique de vivre, d'affronter le réel , et la fascina
tion de la mort.
Des langages neufs
Au moment même où Arthur Schnitzler s'occupe
de scruter les âmes, un médecin de Vienne, Sig
mund Freud (1856-1939), fait des découvertes
radicalement nouvelles sur le psychisme humain.
Freud lui-même a reconnu la proximité entre
leurs deux approches.
Cependant , si Schnitzler
peint dans ses œuvres littéraires le désarroi des
âmes, Freud est confronté à ce même désarroi
dans sa pratique médicale quotidienne.
Les patients qu 'il soigne sont atteints de
névroses.
Il a d'abord pratiqué une thérapie tradi
tionnelle , fondée sur l'hypnose.
Puis il expérimen
te une nouvelle méthode, fondée sur la parole.
L e
patient s'exprime
devant son médecin par des
associations libr es qui lui font retrouver, enfoui
(«refou lé ») dans sa mémoire , un traumatisme
ancien.
En revivant par le verbe ce souvenir trau
matisant situé à l'origine des troubles psychiques ,
le malade a la poss ibilité de guéri~: D 'une certaine
manière , on peut dir e que Freud s'est opposé à
Vienne: la ville souffre à l'époque d' un attache
ment excessif et morbide pour ses souveniJ:S , qui
l'emp êche de vivre pleinement la réalité présente ,
exactement comme un malade dominé par sa
névrose.
L.:importance des travaux de Freud n'est
pas reconnue immédiatement.
L.:homme parle un
langage trop neuf, et cela dérange beaucoup.
Il connaî t un sort semblable à un autre nova
teur radical, Arnold Schonberg (1874-1951).
Ce
compositeur, am i de Gustav Mahler , commence
par écrire des partitions d' un romantisme tardif
comme les Gurre!ieder (1901), puis il rompt pro
gressivement avec la tradition.
Il abandonne
l'usage de la tonalité au profit d' un langage musi
cal révolutionnaire , qui repose sur l'utilisation
d '
une gamme combinant douze sons.
Erwartung
(1909) , œuvre au contenu ouvertement inspiré
par la psychanalyse , illustre bien cette nouvelle
écr itur e.
Schonberg invente ce qu'on appelle la
musique sérielle ou dodécaphonique (dodéca =
douze).
Alban Berg et Anton Webern , ses élèves ,
vont poursuivre ses recherches , qui bouleversent
durablement la musique savante du XX' siècle.
Crépuscule
Trop accaparée par des plaisirs superficiels, Vien
ne vit un douloureux retour à la réalité.
En 1918 ,
l'Autriche
est dans le camp des vaincus .
La socié
té viennoise est confrontée à l'effondrement des
Habsbourg et de leur empire, que l'on avait voulu
croire éternel.
L.:empire est démembré .
L.:Autriche
devient un petit pays , avec une capitale dont l 'hy
pertrophie rappelle la grandeur passée.
Prises dans les tumultes de l 'entre-deux
guerres , Vienne et l'Autriche cèdent aux démons
venus de l 'Allemagne hitlérienne voisine et
voi ent déferler la vague du nazisme.
Déjà au
début du siècle , Mahler , parce que juif, avait eu
à subir
des attaques antisémites.
Au moment
de l'annexion du pays par l'Allemagne en 1938 ,
une grande partie des artistes et des intell ectuels
-et bien sûr l'intelligentsia juive -qui ont fait
la renommée de la vill e a quitté définitivement
Vienne.
Schonberg a ainsi émigré aux États
Unis dès 1933.
Freud s'est réfugié à Londres.
Vienne qui , vingt-cinq ans auparavant , était une
des grandes capitales culturelles de l'Europe ,
a c e
ssé de vivre..
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