Serge Bernstein dans Le modèle Républicain parle d'une sorte d' « écosystème social » pour désigner le modèle républicain de « consensus social » qui domine la IIIème République. En quoi peut-on dire que la classe ouvrière en est, en partie, exclue ?
Publié le 31/03/2011
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Employer le terme « d'écosystème « pour définir la société de la IIIème République donne une dimension biologique à l'étude de cette société mais aussi quelque peu idéaliste. L'« écosystème social « serait un ensemble formé par une communauté ou une association d'êtres vivants et son environnement, ensemble où les éléments vivraient en symbiose les uns avec les autres en créant un réseau d'interdépendance qui permettrait la survie, le développement et la croissance de leur société. Cette vision de Serge Bernstein semble pourtant quelque peu idéaliste hors de son contexte. On pourrait en effet en déduire que la période de la IIIème République est exempte de problème sociaux car l'harmonie semble n'être envisagée que dans sa dimension sociale et que les crises de la France seraient alors davantage politiques et économiques. Pourtant, il y a une nécessaire intrication entre les sphères politiques et sociales puisque le terme de « consensus social « désigne le modèle républicain qui est bien un modèle politique.
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Bernstein nous conduit à étudier de plus près le monde formé par les ouvriers.
Ils se distinguent des autres groupessociaux par leur émergence récente liée à la Révolution industrielle.
Constituant une minorité de la population audébut du XIXème siècle, le développement de l'industrialisation, bien que plus lent que dans d'autres pays commel'Angleterre ou l'Allemagne, constribue à la croissance du monde ouvrier.
Entre 1870 et 1914, ce secteur passe de26 % à 31% de la population active.Ce groupe se distingue d'abord des autres par la spécificité de leur répartition géographique.
Les ouvriers sont eneffet surtout concentrés dans le Nord puisqu'ils y représentent 62,1% de la population active en 1896, mais aussidans la région parisienne et le sud-est.
On note en effet au cours de la période une désindustrialisation du sud de laFrance.
C'est au nord d'une ligne Le Havre-Marseille qu'est regroupée la majorité de la population ouvrière françaiseavec notamment la disparition d'une métallurgie dispersée dans le Midi.
Au contraire, au nord-est, quatorzedépartements regroupent à eux seuls plus de la moitié des ouvriers.
On trouve cependant toujours des noyauxouvriers dans une France encore majoritairement rurale comme dans le Massif Central (Montceau-les-Mines),l'Aveyron (Decazeville) ou le Tarn (Carmaux).Par ailleurs, à une autre échelle, l'habitat ouvrier est isolé de celui des autres catégories sociales.
La restructuration« haussmanienne » de beaucoup de grandes villes de France rejette vers leurs périphéries les activités industriellesainsi qu'une bonne partie des ouvriers qui sont trop pauvres pour payer les loyers des quartiers rénovés.
De soncôté, le patronat, soucieux de fixer et de contrôler la main d'oeuvre qu'il emploie dans ses entreprises l'incite à seloger à proximité de l'usine et organise parfois cet hébergement comme ce fut le cas avec la construction de coronspar exemple dans le nord de la France.La banlieue ouvrière est en effet la forme de développement urbain la plus caractéristique du dernier tiers duXIXème siècle et du début du XXème.
Elle bourgeonne en particulier autour de la capitale et prendra le nom de «ceinture rouge ».
En 1891, la part des ouvriers dans la population active est de 78% à Aubervilliers, 75% à Saint-Ouen et 67% à Saint-Denis (selon Jean-Paul Brunet).
La journée se déroule, du moins pour les hommes entre troispôles très proches les uns des autres, le logement, l'entreprise et le café.
Cette vie en vase clos ne peut alors quefavoriser le développement d'une conscience ouvrière et l'homogénéité est d'ailleurs renforcée par la faible mobilitéexterne des ouvriers.Les ouvriers sont d'autre part caractérisé par leurs mauvaises conditions de vie.
Les salaires restent bas tout aulong de la IIIème République.
La période de dépression de 1878 à 1895 a vue une série d'enquêtes sur le budget etl'on a ainsi pu constater la très grande part consacrée à la nourriture (63%) par rapport aux vêtements (16,5%) ouau logement (12%).
L'épargne est alors très difficile voire impossible pour certains.
D'autant plus que la fluctuationdes salaires est très forte et que les ouvriers ne peuvent compter dessus.
Lors des grèves dures notamment, lesouvriers ne reçoivent aucun salaires bien qu'il existe parfois des solidarités locales qui leur permettent de survivre.Leurs conditions de vie, liées en grande partie au salaire sont alors mauvaises.
Les logements sont insalubres, peuou pas chauffés, les ateliers dans lesquels ils travaillent manquent d'aération et l'absence de protection pourl'utilisation des machines, liée notamment au retard français, rend les accidents de travail fréquents.
Les traitsd'unité de ce monde ouvrier sont donc évidents.
L'insécurité, la vie au jour le jour, l'absence d'épargne, l'impossibilitéd'accéder à la culture, voilà qui définit la condition ouvrière.Pourtant, ce monde est empreint d'une incontestable diversité.
Jusque dans les années 1880, le monde ouvrier esten effet extrêmement hétérogène.
On peut néanmoins distinguer deux pôles, tous deux hérités de l'Ancien Régime :les ouvriers de l'artisanat, que l'on rencontre surtout dans les villes, et les ouvriers de la grande industrie, qu'ontrouve principalement dans les zones rurales, en majorité des ouvriers-paysans qui ont profité de la diffusion dutravail textile et métallurgique dans les campagnes.
Cette situation a perduré jusqu'à la fin du Second Empire carl'agriculture et l'artisanat étaient toujours les deux principaux moteurs de l'économie française.
Les activitésindustrielles nouvelles (liées à la première industrialisation, fondée surtout sur le textile) avaient un rôle secondaireet surtout, elles se développaient majoritairement dans les campagnes.
C'est ce qui explique la faiblesse de l'exoderural en France et le paradoxe du Second Empire où l'activité industrielle progresse fortement, sans que le nombredes ouvriers augmente.
En l880, la moitié des actifs travaillent encore dans l'agricuture (ils ne sont plus que 25%dans ce cas en l840 en Grande-Bretagne, proportion que la France n'atteindra qu'en l950).
Parler alors de la classeouvrière n'a guère de sens et les observateurs les plus avertis, comme Frédérique Le Play, emploient toujours lepluriel.Les ouvriers semblent en fait former une société à part entière au sein de la société française avec notamment uneforme de hiérarchie sociale.
Les compagnons employés dans une toute petite entreprise artisanale ou les petitsartisans à leur compte, cordonnier, ébéniste, tailleur, n'ont pas le minimum d'indépendance économique qui fondel'appartenance aux classes moyennes.
Ils constituent pourtant souvent une élite.
Certes tous, loin de là,n'appartiennent pas à la condition enviable de l'ébéniste du Faubourd Saint-Antoine qui a pu être décrite dans unemonographie de 1891, ébéniste qui gagne près de 8 francs pas jour, va au café-concert ou au théâtre.
Mais ils sontsouvent enracinés dans leurs quartiers, généralement depuis plusieurs générations, fréquentent les milieuxintellectuels militants, ont conservé la mémoire des luttes révolutionnaires passées.
Ils entretiennent des liensétroits avec le monde de la boutique et du petit patronat mais participent d'une tradition de culture ouvrière.
Cesont eux par exemple qui revendiquent avec le plus de vigueur en faveur de l'instruction obligatoire et laïque, ilsaspirent également au développement de l'enseignement professionnel si négligé.
Au sein même d'une activité, lesdifférences sont considérables.
Ainsi, un écart très important existe entre l'ouvrier spécialisé parisien décrit parexemple par Denis Poulot dans Le Sublime et le métallurgiste du Creusot dont la malheureuse condition est décritepar Jules Huret dans son Enquête sur la question sociale.La diversité des salaires est aussi très importante.
Il évolue selon le secteur dans lequel on travaille et est différentselon le poste qu'on occupe dans l'atelier.
Ainsi, dans une fabrique de chaussures à Fougères, les hommes étaienten 1884 payés 4,10frcs alors que les femmes ne recevaient que 2,10frcs.
Les salaires baissent à cause de ladépression et en 1890, les hommes ne touchent plus que 3,80frcs et les femmes 1,90frcs.
On voit de plus que ladifférence hommes femmes s'accentue à cause des problèmes économiques.
Les moyens de recevoir son salaire.
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