Scipion Émilien (Histoire)

« cousin, Tiberius Gracchus, qui lui-même avait été, sous les murs de la ville espagnole, témoin de la crise de l'arméeet de l'État.

Qu'il ait été au départ utilisé par un groupe de politiciens (d'ailleurs parents et alliés de Scipion, maisopposés à lui), c'est certain : mais le génie de Tiberius les dépassait tous ; lui aussi avait puisé dans la méditation,dans la rhétorique et même la philosophie, une inspiration généreuse, la conscience de ses devoirs envers Rome ; luiaussi était prêt à utiliser, contre les résistances égoïstes du Sénat, l'appui direct d'un peuple proclamé "souverain".Mais ce qu'il proposait la loi agraire était d'une tout autre portée, même si, au départ, dans son esprit, elle étaitseulement destinée à recréer, pour le plus grand bien de l'État, une classe de moyens propriétaires.

Très vite, cettepromesse de redistribution du domaine public va devenir la pomme de discorde, évangile pour les masses appauvries,spectre redoutable pour tous les riches ; l'opposition de ces derniers force Tiberius belle nature grave et passionnéeà une surenchère démocratique invoquant la souveraineté du peuple.

Si bien que, débordés et désarmés, lesoligarques ne trouvent que dans l'émeute et l'assassinat, le moyen de se débarrasser de lui et de ses partisans.Durant le drame, Scipion était à Numance.

Rome entière attendait son verdict, guettait son attitude. Scipion vit d'un seul coup d'œil le point faible de l'œuvre de Tiberius : s'occupant des seuls citoyens romains, cedernier avait laissé en dehors de la protection de sa loi les "alliés" italiens, dont les terres se trouvaient menacées,sans compensation pour les pauvres.

C'était par ce biais qu'il fallait attaquer la loi agraire, si on voulait la supprimer.D'autre part, entre 132 et 129 av.

JC, toute la tactique des partisans de Tiberius consistait à traduire en justice età faire condamner les personnages responsables de la répression de 133 av.

JC.

Tout pouvoir semblait alors devoirs'incliner devant le tribunat de la plèbe.

Scipion se fit donc à la fois le champion des Italiens déçus, et de la luttecontre le tribunat.

Le seul moyen était sans doute de ressusciter la vieille dictature (magistrature sans recours) etde se la faire confier dans un grand mouvement d'unanimité.

Mais il fallait aussi réformer profondément l'État : cettedictature serait donc "constituante".

Les passions étaient à leur comble : pour les populaires, Scipion était un tyran; pour ses amis, un homme providentiel, le seul sauveur de Rome.

C'est alors qu'on le trouva mort dans sa chambre,un matin, alors qu'il préparait un second discours contre la loi agraire… La mort d'Émilien apparaît ainsi, à plus d'un titre, comme un de ces moments où le sort des empires se tient enbalance.

Ce n'est pas un hasard si, moins d'un siècle plus tard, lorsqu'il voudra, dans un ouvrage solennel, donnerson opinion sur la crise de l'État et les remèdes à y apporter, Cicéron, après avoir hésité, choisira la fiction combienvraisemblable d'un ultime dialogue entre Scipion et ses amis, à la veille de sa mort.. »