Robert Schuman
Publié le 22/02/2012
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Il est certain que la Déclaration n'a pas été rédigée par Schuman, mais par l'équipe de Jean Monnet, dont les étoilesétaient alors Pierre Uri et Étienne Hirsch.
Il est non moins certain qu'en faisant du projet "son affaire" et enengageant sur lui le sort de sa propre politique européenne, Robert Schuman a transformé un texte en acte et uneépure en fait d'histoire.
Qui est le vrai père ? Celui qui conçoit le projet ou celui qui le réalise ?
Peut-être pourrait-on évoquer ici, plutôt que la relation classique entre le dramaturge et l'acteur qui fait triomphersa pièce, la coopération créatrice entre l'auteur du scénario d'un film et son cinéaste.
Plus précisément, il y auraitlieu d'examiner quatre ou cinq cas célèbres de coopération "politique" plus ou moins comparables dans leursdifférences et dans leurs ressemblances que l'histoire a pu voir et enregistrer : coopération entre Sully et Henri IV, àpropos du Grand Dessein européen ; entre Benjamin Constant et Napoléon lors de la rédaction de l'Acte additionnelaux Constitutions de l'Empire ; et plus près de nous, collaboration entre Coudenhove-Kalergi et Briand, puis entreAlexis Léger (alias Saint-John Perse) et le même Briand, lors de la conception, puis de la mise en forme du"Mémorandum sur l'organisation d'un régime d'union fédérale européenne" présenté à la Société des Nations en 1930.
Robert Schuman fut réellement l'homme du Plan qui porte son nom, parce que ce plan résultait du problème danslequel s'était noué son drame personnel, et parce que ce plan figurait le dénouement possible de ce drame.
Interrogeons sur cette affaire l'autre protagoniste principal, Jean Monnet lui-même : "L'action de Robert Schumanme paraît avoir été déterminée moins par ses souvenirs du passé qui eussent pu au contraire l'aveugler, que par savision lucide de l'avenir des pays de l'Europe.
Il avait beaucoup réfléchi à la manière de réconcilier la France etl'Allemagne...
dans une Europe unie.
Quand le moyen de commencer se présenta, il sut arrêter sa méditation pouraccepter de passer à l'action."
Oui, mais placé devant le même avenir et en puissance des mêmes moyens, le président du Conseil d'alors, GeorgesBidault, recevant le même texte de l'équipe Monnet, "néglige de l'examiner avec toute l'attention qu'il méritait",autrement dit n'y répond pas : il n'est pas motivé par le même passé.
Et voilà qui permet de résoudre par une sorte de contre-épreuve expérimentale, le problème de la paternité politiquede ce qui allait devenir l'Europe des Six, puis des Neuf, des Douze… en attendant la vraie Europe celle des peupleset non des États.
L'Europe des peuples, des cœurs et des esprits : c'est elle qui motiva au premier chef Robert Schuman.
Aux yeux del'Histoire, il restera l'homme d'État grâce auquel la première Communauté européenne a pu voir le jour.
Mais il s'étaitrêvé tout autre chose, homme de méditation et de culture, au milieu de ses huit mille volumes de collectionneurpassionné.
Et c'est pourquoi il accepta de présider, pour un temps bref mais décisif, deux institutions au sortdesquelles j'avais eu le bonheur de l'intéresser, le Centre européen de la Culture, à Genève, puis, née du Centre, laFondation européenne de la culture, aujourd'hui transférée à Amsterdam.
Dans quel esprit l'homme politique de premier plan qu'était devenu Robert Schuman jugeait-il la fonction de ces deuxentreprises, si modestes au regard de la CECA ? Relisant le précieux recueil de textes Pour l'Europe, réunis par lui àla fin de sa vie, je trouve ces mots qu'on ne saurait souhaiter plus éclairants, et qui servent de titre à son deuxièmechapitre : "L'Europe, avant d'être une alliance militaire ou une entité politique, doit être une Communauté culturelle."Et dans ce même chapitre, je souligne cette phrase : "L'unité de l'Europe ne se fera ni uniquement ni principalementpar des institutions : leur création suivra le cheminement des esprits."
On sent bien ici que Schuman n'a jamais eu, en réalité, à "interrompre sa méditation pour passer à l'action" puisquec'est tout naturellement que sa méditation s'est poursuivie en création et n'a cessé de soutenir son action.
Voilà pourquoi cet homme d'État, d'allure volontairement modeste, aura été plus créateur que les grands ténors dece siècle.
Piéton tranquille sur les chemins de l'Histoire, il a frayé la voie vers l'union fédérale en s'y avançant lepremier.
Et certes, il n'a jamais entretenu l'illusion qu'il irait lui-même jusqu'au but.
Il m'avait dit un jour de 1960,dans un moment de confidence : "Je suis sans doute trop vieux pour surmonter l'idée de Nation souveraine, danslaquelle j'ai été élevé.
Ce sera l'affaire de votre génération...".
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