L'orgue Clicquot
Publié le 05/03/2025
Extrait du document
«
L’orgue Clicquot
ou l’heureux temps des réjouissances et du luxe
dans la société du XVIIIe siècle et … les abbayes
On a peine à imaginer, aujourd'hui au XXIe siècle, ce que pouvait être la richesse et l'aisance
financière de certaines abbayes de l'Ancien régime.
De même, il est parfois difficile de
comprendre la puissance et le rayonnement dont bénéficiait l'ordre de Cluny.
Les abbayes
n'étaient certes pas toutes florissantes, mais Souvigny, fille aînée de Cluny, donne au XVIIIe
siècle d’évidents témoignages d'une opulence remarquable.
Même si les livres de comptes et
documents d'époque n'ont pas été retrouvés, on ne peut que constater, toujours visibles de nos
jours, plusieurs réalisations d'envergure : construction d'une nouvelle façade du prieuré,
destruction de l'ancienne chapelle Notre-Dame des Avents pour la remplacer par une élégante
sacristie sur les plans d'Evezard (1771) avec boiseries et peintures, bel antiphonaire (1779),
orgue Clicquot (1782-1786).
Illustration n° 1 : Antiphonaire de Souvigny (1779) - © Maurice Keller, 2019
Voilà plusieurs éléments tangibles et magnifiques d'un vaste programme de travaux.
Sans
doute d'autres réalisations, plus modestes, ont été engagées, maintenant détruites ou perdues
dans la nuit des temps.
Parmi ces dernières, objets de conflit ou litiges, la reconstruction de la
petite flèche qui périclitait1, les travaux sur les anciens et nouveaux dortoirs, les dommages
aux vitraux causés par la grêle2 laissent encore des traces dans les archives et les minutes de
notaire.
À côté de ces signes qui traduisent le dynamisme du prieuré (et nullement la crainte
d'évènements dramatiques qui verront bientôt le jour), on relève ici ou là, mais souvent, des
traces de la magnificence de Cluny.
Ce faste peut choquer aujourd’hui, tels ces quinze jours
de réjouissances précédant l'arrivée du Supérieur général, avec festins, guirlandes et arc de
triomphe !
« J’étais à Cluny, en 1788, […] à l’époque du dernier chapitre qui s’y est tenu.
Le prieur de la
Charité, mon oncle, s’était réuni à Paris, aux chefs de l’ordre qui devaient accompagner le
cardinal de La Rochefoucauld jusqu’à son abbaye.
Mon oncle me proposa de le suivre : je
n’eus garde de m’y refuser.
Ce voyage fut charmant pour moi.
Vous jugez si nous fûmes bien
accueillis dans tous les monastères où nous passâmes à la suite du cardinal.
Il fut reçu avec
toutes les cérémonies usitées à la réception des princes, au son des cloches et de la
mousqueterie.
On lui apporta les clés de la ville.
Tous les environs de Cluny arrivèrent en
foule de toutes parts.
Il y eut bals, spectacles et réjouissances de toute espèce.
Le cardinal tint
table ouverte pendant quinze jours »3.
Il s'agit de la flèche du clocher en bois au-dessus du chœur, disparue dans la tourmente de 1793.
Cf.
Archives
nationales H3615.
2
Ouragan d’août 1776.
Cf.
Archives départementales, Minutes de Me Fallier 3E 1570.
3
BERCHOUX (Joseph de), cité par LORAIN Prosper, Histoire de l'abbaye de Cluny, Sagnier et Bray, Paris, 1845
(2e édition), p.
263.
1
1
Ces manifestations vont de pair avec l'organisation, dans de multiples localités, de fêtes dont
il est difficile de mesurer l'ampleur aujourd'hui.
Tout était prétexte à des réjouissances
s'étalant sur plusieurs semaines et, pour bien saisir cet esprit très particulier du XVIIIe siècle,
nous ne voudrions pas faire l'impasse sur le texte ci-dessous, texte plus détaillé, forcément
plus long, qui mêle le militaire, le clergé, la musique, les notables et le peuple… L'exemple
que nous donnons se situe à Montdidier4 dans la Somme en 1729, à l'occasion de la naissance
à Versailles du Dauphin, le 4 septembre.
"Les gardes du corps en garnison à Montdidier donnèrent le signal.
Peu de jours après cet
évènement, ils firent chanter à Saint-Pierre un Te Deum solennel, suivi d'un feu de joie ; ils
entouraient le bûcher et faisaient des décharges de mousqueterie, chaque fois que le
gouverneur Milon de la Morlière poussait le cri de Vive le roi ! Le soir, ils donnèrent un repas
magnifique.
Personne ne fut oublié ; des vivres furent distribuées au peuple, et une fontaine de
vin, qui coula pendant deux heures sans interruption, satisfit les plus intrépides buveurs.
Le
corps de ville ne tarda pas à suivre cet exemple.
On fit une procession générale, à laquelle
assistèrent les différentes compagnies judiciaires et les chevaliers de l'Arquebuse.
Pendant le
Te Deum qui fut chanté dans l'après-midi, le canon ne cessa de tonner.
De l'église on se rendit
à un feu de joie dressé en face de l'hôtel de ville, et l'on y fit des salves continuelles.
Le soir,
l'édifice fut entièrement illuminé.
[…] À l'heure ordinaire, on servi un souper splendide.
Les
principaux habitants, les chefs de compagnie, les anciens maïeurs et le commandant de la
garnison y prirent place.
Aussitôt que le gouverneur eut porté la santé du roi, le canon se fit
entendre ; pendant plus de trois grandes heures, les décharges se succédèrent, et des fusées
brillantes fondirent les nues.
Le souper fut suivi d'un bal qui dura toute la nuit.
Le jour
suivant, le maïeur fit allumer des feux de joie dans tous les quartiers, les portes et les fenêtres
des maisons particulières étaient illuminées.
Toute la semaine on chanta le Te Deum dans les
églises.
Le mauvais temps ayant empêché l'illumination que les capucins avaient préparée, ils
s'en dédommagèrent en allumant un feu de joie autour duquel les bons pères lançaient
quantité de pétards et de fusées qu'ils avaient faits eux-mêmes.
Les pauvres se ressentirent de
l'allégresse générale, et l'hôpital eut aussi sa part de réjouissances.
Le 29 septembre, jour de
Saint Michel, apôtre de la France, plusieurs personnes de distinction prirent l'initiative, et ce
fut de nouveaux une suite continuelle de festins, de bals et d'illuminations.
Les divertissements se terminèrent par une grande fête donnée par les arquebusiers […] Le 6
octobre, les chevaliers s'assemblèrent, à onze heures du matin, dans le pavillon de leur jardin
où était préparé un ambigu5, et, sur les deux heures, ils se rendirent, tambours battants, à
l'église Saint-Pierre ; la noblesse et les personnes de qualité marchaient entre les rangs.
Après
le Te Deum, la compagnie se plaça autour d'une pyramide de fagots et de bûches qu'elle avait
fait élever vis-à-vis le grand cimetière de Saint-Pierre, et le gouverneur, le commandant de la
garnison, le capitaine de l'Arc, le lieutenant général, le maire et le capitaine de l'Arquebuse,
4
Le choix de cette petite cité n'est pas dû au hasard.
À défaut de trouver un tel texte concernant Souvigny au
XVIIIe siècle, il faut noter que Montdidier possédait un monastère qui eut pour prieur claustral Dom Lacroix,
personnage sur lequel nous reviendrons plus bas, également prieur à Souvigny en 1781.
5
Repas comprenant à la fois les viandes et le dessert.
2
tenant chacun un flambeau à la main, y mirent le feu.
Durant la cérémonie, l'artillerie,
composée de boîtes et de fauconneaux, en position dans le cimetière, retentissait avec fracas.
Les chevaliers firent trois décharges de leurs arquebuses, et crièrent trois fois : Vivent le roi,
la reine et monseigneur le Dauphin ; puis le cortège, reprenant sa marche, alla souper au
jardin de la compagnie, qui avait été brillamment illuminé ; les murs, les arbres, le tir,
resplendissaient de feu.
Les tables étaient dressées au milieu de la grande allée, sous deux
tentes ; le repas fut magnifique.
Les notables de la ville, les officiers de la garnison et d'autres
personnes de distinction étaient au nombre des convives.
On n'oublia pas, comme on pense
bien, de porter les santés de la famille royale, et chaque fois elles furent accueillies au bruit
des instruments et des roulements de tambours.
[…] Après le feu d'artifice, les chevaliers
offrirent […] un bal aux dames qui assistaient à ces réjouissances ; ils leur firent servir des
oranges et toute espèce de rafraîchissement.
Vers minuit, au moment où la danse était plus
animée, parut une bande de masques richement habillés, composé de quatre bohémiens et
quatre bohémiennes, ayant à la main des tambours de basque et des castagnettes ; ils
dansèrent un pas de caractère qui leur valut des applaudissements unanimes.
Après le bal, les
invités furent reconduits chez eux en grande cérémonie, précédé des tambours, des hautbois et
des violons.
La compagnie de l'arquebuse s'attira des félicitations universelles pour le bon
goût et la rare magnificence qui avait présidé à cette fête.
Il y a longtemps que le souvenir des divertissements du XVIIIe siècle est oublié : le plaisir
laisse des traces moins profondes que la souffrance »6.
On voudra bien nous pardonner ce long texte qui n'est qu'un exemple parmi tant d'autres où
sont décrits fastes et réjouissances dont l'Ancien régime était coutumier, divertissements à
côté desquels notre 14 juillet actuel semble faire pâle figure.
Une telle chronique nous paraît
essentielle pour comprendre l'état d'esprit qui régnait avant la Révolution dans une sphère
favorisée de la population.
Essentielle pour comprendre comment, dans une petite bourgade
de province, Souvigny, on a pu faire appel au facteur d'orgues du Roi François-Henri Clicquot
(1732-1790) pour construire un instrument neuf dans....
»
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