L'ITALIE FASCISTE
Publié le 25/01/2013
Extrait du document

Dans les mois qui suivent l'affermissement de la
dictature et le retour à l'ordre, la confiance des milieux
d'affaires se rétablit: la fiscalité de guerre,
sévère pour les hauts revenus et les bénéfices industriels,
est abolie, l'équilibre budgétaire rétabli. Une
reprise sensible des investissements industriels se
manifeste. Cependant, des difficultés persistent : la
lire se déprécie sur les marchés des changes, les
importations de matières premières et de céréales
(comme en 1924, année de production insuffisante)
entraînent de vives fluctuations de la balance des
comptes constamment déficitaire. Certains économistes
préconisent une politique d'inflation contrôlée,
mais, pour des raisons de prestige international, Mussolini
veut une monnaie forte et engage, dès 1926, la
«bataille de la lire«. Une politique rigoureuse de
déflation et le soutien de capitaux américains apportés
par la banque Morgan permettent un redressement
spectaculaire de la monnaie italienne, stabilisée
dès 1927 à une parité égale à celle du franc. Mais,
ainsi réévaluée, la lire est une monnaie trop forte et
freine les exportations: l'expansion économique qui
s'amorçait en 1923-1924 se ralentit. Elle ne reprend,
difficilement, qu'en 1928-1930.
L'encadrement de la jeunesse et de la nation Pour perpétuer sa domination, le régime fasciste veut annihiler tout esprit critique et donner au peuple italien une «âme collective«. Il cherche surtout à embrigader la jeunesse. Futurs citoyens, mais aussi futurs fascistes, les enfants doivent appartenir à l'État plus qu'à leur famille. Dès 6 ans, ils entrent aux « Enfants de la Louve « et portent l'uniforme; de 8 â 14 ans, ils sont« balillas «, à 14 « avant-gardistes«, â 18 ans, ils entrent aux Jeunes faisceaux de combat. Les adolescents sont soumis à un entraînement militaire. Les jeunes filles relèvent d'organisations parallèles comme les« jeunes italiennes«. L'enseignement est contrôlé, les professeurs doivent prêter serment au régime et les instituteurs faire leur classe en uniforme fasciste. Élevés dans le culte fanatique du Duce, les jeunes ont pour mot d'ordre : «Croire, obéir, combattre. «

«
1 L'éternelle misère du Mezzogiorno Elle est èvoquèe dans un livre cèlèbre
publiè en 1945 par Carlo Levi, opposant au règime fasciste, assignè à rèsidence en
Lucanie, au sud de Naples.
L'Amérique a pour les paysans une double nature.
C'est une terre où l'on va tra vailler, où l'on peine à la sueur de son front, où un peu d'argent est épargné au prix de beaucoup de souffrances et de privations, où parfois l'on meurt et personne ne se sou
vient plus de vous ; mais, en même temps et
sans qu'il y ait contradiction, c'est le para
dis, la terre promise.
Ni Rome, ni Naples, mais New York serait
la vraie capitale des paysans de Lucanie.
( •..
) Les paysans vont en Amérique, et ils restent ce qu'ils sont, plusieurs s'y établissent et
leurs enfants deviennent Américains; mais
les autres, ceux qui rentrent, sont vingt ans
après, les mêmes que lorsqu'ils étaient par
tis.
( ...
) En Amérique, ils vivent à part entre
eux, ils continuent pendant des années à manger du pain sec, comme à Gagliano, et ils mettent de côté quelques dollars.
Puis ils rentrent un jour en Italie avec l'intention de n'y rester que le temps de se reposer, de saluer parents et compères; mais voilà que
quelqu'un leur offre un lopin de terre à ache
ter et qu'ils rencontrent une fille qu'ils ont
connue enfant et ils l'épousent.
( ...
) La terre
leur a coOté cher; pour la payer, ils ont dO donner toutes leurs épargnes de tant d'années de travail américain, et ce n'est
qu'argile et cailloux, il faut payer les impôts,
et la récolte ne couvre pas les frais, des
enfants naissent, la femme est malade, et
dans un temps très court la misère est
revenue, la même misère éternelle que lors
qu'ils étaient partis tant d'années aupara
vant.
Et avec la misère reviennent la rési
gnation, la patience ( ...
) Gagliano est pleine de ces émigrants rentrés : le jour du retour
est considéré par eux tous comme un jour
de malheur.
( ..• ) Les voici de nouveau
paysans avec ana et chèvre, les voici qui
partent de nouveau chaque matin vers les rives à malaria.
D'autres conservent le métier qu'ils exerçaient en Amérique, mais
ici, au village, le travail ne marche pas et ils crèvent de faim.
2
Carlo Levi, Le Christ s·est a"~té à Eboli, Gallimard éd.
(1945), p.
135.
Le problème de la propriété foncière en Italie L'Italie souffre beaucoup de la mauvaise
répartition de la propriété.
Le Piémont et les hautes vallées alpestres ont un régime de
petite propriété, comme la France; le pay san est propriétaire d'un menu domaine qu'il cultive avec sa famille, et où il arrache Aprement sa subsistance à un sol ingrat.
La Lombardie et la Vénétie, les régions les plus riches et les mieux cultivées de l'Italie, prati
quent le fermage ; le propriétaire est un riche bourgeois qui habite à la ville.
La Tos
cane, l'Ombrie et les Marches ont le sys
tème du métayage, où les profits et les pertes sont partagés par moitié entre le pro- priétaire
et
le métayer.
Enfin, dans toute l'Italie méridionale, dans une grande partie de la Sicile, autour de Rome, et sur les rives du Pô, règne la grande propriété.
Comme au temps de Pline 1
, les latifundia continuent à perdre l'Italie.
Un exemple typique de ces grands domaines est celui de Policaro, en .g Basilicate (14000 ha).
Le propriétaire, un ë riche seigneur, le fait gérer, par un inten- f dant.
Des troupeaux immenses, qui corn- 1 .._ prennent jusqu'à 25000 buffles, paissent 5' dans les forêts marécageuses; 250 par- c ~· · sonnes l'habitent seulement de façon per- ~ f., ~ -':6=r;:j)iijf.gi:r.;: llll manente et vivent dispersées dans les ;_ 1•• • fermes, ou massarie; mais à la saison des = grands travaux 4000 ouvriers agricoles des- 8 cendent des montagnes du pourtour : ce @ sont les contadini qui demeurent depuis des .r.
siècles agglomérés dans les villes, afin de se o..
mieux protéger contre les pirates de la mer 4 Â et les brigands de la terre.
Ils viennent, pio-
chent et labourent sous la surveillance de Mussolini l'intendant et de ses parents, couchant dans Panneau de propagande : le masque «viril » des hangars mal clos où pénètrent librement de Mussolini sur fond de « si • (= oui) le froid de la nuit et les exhalaisons Pendant vingt ans le Duce représente aux
humides des marais.
On devine quelles yeux du monde l'Italie nouvelle.
misères engendre un tel régime écono-
mique, et l'on ne doit pas s'étonner que les régions de grande propriété soient celles
d'où l'italien s'expatrie avec le moins de regrets.
A.
Mairey et M.
Fallex, Les grandes puissances
économiques, Delagrave éd.
(éd.
de 1917), p.
356.
1.
Au I"' siècle après J.-C.
3 Une analyse des données sociales et politiques de la crise italienne de
l'après-guerre
Cette analyse a ètè publièe, en français, en 1922, alors que son auteur, Antonio Gramsci, se trouvait à Moscou comme
reprèsentant du parti communiste italien à rexècutif du Komintern.
Les éléments de la crise italienne, qui a
reçu une solution violente par l'avènement
au pouvoir du parti fasciste, peuvent être
brièvement résumés comme suit :
La bourgeoisie italienne a réussi à organi ser son Ëtat moins par sa propre force intrin sèque que parce qu'elle a été favorisée dans sa victoire sur les classes féodales et semi
féodales par toute une série de conditions
d'ordre international
(la politique de Napo
léon Ill en 1 B52-1860, la guerre austro prussienne de 1866, la défaite de la France à Sedan et le développement que prit à la suite de cet événement lempire germa nique).
L'Ëtat bourgeois s'est ainsi développé plus lentement et suivant un processus
qu'on ne peut point observer dans beau coup d'autres pays.
Le régime italien ne dépassait pas le pur régime constitutionnel
à la veille de la guerre, la division des pou voirs ne s'était pas encore produite, les pré rogatives parlementaires étaient très
limitées; il n'existait pas de grands partis
politiques parlementaires.
A ce moment, la bourgeoisie italienne devait défendre l'unité et l'intégrité de l'Ëtat contre les assauts
répétés des forces réactionnaires repré sentées surtout par l'alliance des grands propriétaires
terriens, avec
le Vatican.
La grande bourgeoisie industrielle et commerciale, guidée par Giovanni Giolitti, chercha à résoudre le problème par une alliance de
toutes les classes urbaines (la première pro position de collaboration gouvernementale
fut faite à Turati 1 au cours des premières
années du xx• siècle) avec la classe des
journaliers agricoles; ce n'était pourtant pas là un progrès dans le développement de l'Ëtat constitutionnel dans le sens de la démocratie parlementaire, c'était plutôt des
concessions paternelles d'ordre immédiat
que
le régime faisait aux masses ouvrières
organisées en syndicats et en coopératives
agricoles.
La guerre mondiale brisa toutes ces ten tatives, Giolitti, d'accord avec la Couronne,
s'était engagé dès 1 912 à agir avec I' Alle magne dans la guerre de 1914 ( ...
).
Giolitti
fut violemment écarté par les nouveaux
groupes dirigeants, ceux de la lourde industrie, de la grosse agriculture et de l'Ëtat-Major ( ...
).
Les nouvelles forces politiques, qui devaient apparaitre après l'armistice, se consolidèrent pendant la guerre.
Les pay sans se groupèrent en trois organisations
très puissantes.
Le parti socialiste, le parti
populaire (catholique) et les Associations
d'anciens combattants.
Le parti socialiste
organisa plus d'un million de journaliers
agricoles et de métayers dans l'Italie cen trale et septentrionale; le parti populaire
groupa autant de petits propriétaires et de
paysans moyens dans la même zone territo riale; les associations d'anciens combat tants se développèrent surtout dans l'Italie du sud et dans les régions arriérées et sans
grandes traditions politiques.
La lutte contre la grosse propriété agraire devint rapide
ment très intense sur tout le territoire ita
lien ; les terres furent envahies, les proprié taires durent émigrer vers les chefs-lieux
des régions agraires, à Bologne, Florence,
1.
Un des fondateurs du parti socialiste italien..
»
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